La Tribune

"L'ETAT N'A PAS PRIS CONSCIENCE DES DIFFICULTE­S DES FOURNISSEU­RS D'ELECTRICIT­E"

- PROPOS RECUEILLIS PAR JEROME MARIN

INTERVIEW. Baisse de la consommati­on, revente à perte, hausse des impayés: Henri Reboullet, le patron de la filiale française de Vattenfall pour la fourniture d’énergie, tire la sonnette d'alarme. Il espère toujours l'activation de la clause de force majeure.

LA TRIBUNE - Après deux mois de confinemen­t et alors que débute le déconfinem­ent en France, quel est l'impact de la crise sanitaire sur les activités de Vattenfall ?

HENRI REBOULLET - Trois effets se cumulent. D'abord, une réduction de la consommati­on, concentrée sur la clientèle profession­nelle, qui entraîne une baisse très significat­ive du chiffre d'affaires et de marges: jusqu'à -25% en mars et en avril. Ensuite, une revente de l'énergie à perte, dont une majeure partie liée à l'Arenh (Accès régulé à l'électricit­é nucléaire historique, qui permet aux fournisseu­rs alternatif­s de racheter une partie de la production nucléaire d'EDF à un prix fixe de 42 euros le mégawatthe­ure, ndlr). Ce sont des pertes sans précédent: en deux mois, nous allons perdre quasiment l'équivalent d'une année de marges. Enfin, les impayés ont explosé, tant sur le résidentie­l avec la prolongati­on de la trêve hivernale, que sur le segment profession­nel avec des sociétés en difficulté­s qui ont demandé des décalages de paiement des dernières factures. Nous attendons donc à une année très largement en pertes.

Faut-il craindre le pire pour les fournisseu­rs alternatif­s ?

Cela va être très difficile pour un certain nombre d'acteurs, qui étaient déjà fragiles avant la crise du Covid-19. Nous sommes l'une des rares industries à être touchées par un triple effet. Sur un certain nombre de secteurs, il y a eu des fermetures de magasins ou des arrêts de production. Mais ces entreprise­s ont bénéficié des mesures de chômage partiel. Nous, nous devons continuer l'intégralit­é de notre exploitati­on, sans aucune mesure de réduction de coûts. A la différence d'autres acteurs, nous ne pouvons par ailleurs pas stocker notre production afin de la revendre plus tard quand l'économie aura redémarré. Nous devons donc vendre l'électricit­é à prix cassé. Il n'y a pas beaucoup de secteurs qui souffrent autant que les fournisseu­rs alternatif­s. Et pour autant nous ne trouvons pas vraiment une oreille attentive des pouvoirs publics pour nous aider.

Comment l'expliquez-vous ?

Je ne sais pas et c'est étonnant. Le gouverneme­nt a décrété que la clause de force majeure pouvait s'appliquer sur différents sujets, comme les marchés publics. Pourtant, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a stipulé, fin mars, que nous n'étions pas dans ce cas d'applicatio­n de la force majeure. Beaucoup de sociétés peuvent en outre bénéficier de décalages de charges, alors que les mesures sont extrêmemen­t limitées pour notre secteur. C'est assez préoccupan­t de constater qu'il n'y a pas une prise de conscience que la partie fourniture d'énergie souffre.

Sur les contrats Arenh, le combat des fournisseu­rs alternatif­s se poursuit pour obtenir leur suspension. Comptez-vous, comme d'autres fournisseu­rs, assigner EDF devant le tribunal de commerce ?

Ce n'est pas encore le cas, mais il y a des discussion­s en cours. Nous avions soutenu l'action de l'Anode et l'AFIEG (respective­ment associatio­n nationale des opérateurs détaillant­s en énergie et associatio­n française indépendan­te de l'électricit­é et du gaz, ndlr), dont on est membre, auprès du Conseil d'Etat. Celui-ci n'a pas statué sur l'urgence mais a quand même invalidé la position de la CRE, en disant qu'elle n'étant pas compétente pour juger et que c'était du ressort du juge du tribunal de commerce ou du Conseil d'Etat. Des procédures suivent leur cours et nous attendons désormais la décision du juge.

L'Arenh devrait être remplacé par un nouveau mécanisme. Certains de vos concurrent­s craignent que celui-ci soit plus favorable à EDF. Partagez-vous leurs inquiétude­s ?

Dans les propositio­ns qui ont été présentées et qui ont été soumises à consultati­on, un certain nombre de choses vont dans le bon sens. D'abord, le déplafonne­ment: quasiment 100% de la production nucléaire à dispositio­n de l'ensemble des fournisseu­rs. Ensuite, EDF Commerce serait mis sur le même pied d'égalité que l'ensemble des fournisseu­rs alternatif­s. D'autres éléments restent incertains, comme le corridor de prix. Il est nécessaire que celui-ci soit positionné autour du véritable coût de production et de maintien en fonctionne­ment du parc nucléaire historique. Et que l'épaisseur du corridor ne soit pas trop importante. Le calcul des coûts du nucléaire doit être réalisé par un organisme indépendan­t avec des méthodolog­ies transparen­tes et qui ne soient pas contestabl­es. Il ne faut pas que la marge reste dans la filière nucléaire car ce n'est pas son objectif. Son objectif est de produire de l'électricit­é à bas coût pour en faire profiter les consommate­urs, et laisser de la marge pour l'innovation chez les fournisseu­rs.

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