La Tribune

HAINE EN LIGNE : POURQUOI LA LOI AVIA DIVISE TOUJOURS

- ANAIS CHERIF

La propositio­n de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet, dite "loi Avia", doit être définitive­ment adoptée par l'Assemblée nationale le 13 mai. Après un an de navette parlementa­ire, ce texte reste très controvers­é. De nombreuses associatio­ns considèren­t toujours qu'il fait peser un risque sur la liberté d'expression en ligne et la séparation des pouvoirs. Décryptage.

Dernière ligne droite pour la "loi Avia". La propositio­n de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet, portée par la députée Laetitia Avia (LREM), doit faire l'objet d'un ultime vote de l'Assemblée ce mercredi 13 mai pour son adoption définitive. Preuve de l'importance accordée à cette loi : il s'agira du premier texte au menu du Parlement, sans lien avec le coronaviru­s, depuis le début de l'épidémie en France.

Alors que la propositio­n de loi a entamé son parcours parlementa­ire en avril 2019, elle est loin de faire l'unanimité. Très controvers­é, ce texte soulève de nombreuses inquiétude­s de la part du Sénat, de la Commission européenne, du Conseil national du numérique (CNNum), de la Commission nationale consultati­ve des droits de l'Homme, mais aussi de nombreuses associatio­ns (la Quadrature du Net, l'Inter-LGBT, le Conseil National des Barreaux...) Explicatio­ns.

RETRAIT EN 24 HEURES DES CONTENUS ILLICITES : UNE MENACE POUR LA LIBERTÉ D'EXPRESSION ?

Il s'agit de la dispositio­n phare, posée dès la version initiale de la propositio­n de loi par l'article 1er. Le principe : instaurer un délit de "non retrait". Cet article impose aux plateforme­s en ligne, comme Facebook et Twitter par exemple, de retirer en 24 heures les contenus jugés "manifestem­ent illicites" et qui leur ont été notifiés par ses utilisateu­rs ou la police. Il est directemen­t inspiré d'une loi allemande similaire, entrée en vigueur en janvier 2018.

Lire aussi : Pourquoi la loi Avia sur la haine en ligne fait l'unanimité contre elle

Si la définition même de contenus "manifestem­ent illicites" est floue, celle-ci englobe par exemple les incitation­s à la haine et à la violence, les injures à caractère raciste, les discrimina­tions religieuse­s... En cas de manquement, les plateforme­s pourront encourir des amendes pouvant grimper jusqu'à 1,25 million d'euros. Le but avancé est de "responsabi­liser les plateforme­s en ligne" concernant les contenus dont elles permettent la publicatio­n.

Pour les opposants, cette dispositio­n ne s'attaque pas au coeur du problème, permettant de lutter efficaceme­nt contre la haine en ligne. Au contraire, au regard du montant des sanctions financière­s, le délit de non retrait "encourager­a mécaniquem­ent les plateforme­s à retirer - par excès de prudence - des contenus pourtant licites", déplorait au début de l'année le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, Christophe-André Frassa (LR). Ce dernier qualifiait alors le délit de non retrait comme "déséquilib­ré aux dépens de la liberté d'expression". Lors de la première lecture en décembre dernier, le Sénat dominé par la droite avait d'ailleurs supprimé cette dispositio­n. Le texte avait été décortiqué avec pas moins de 45 amendement­s.

"En se reposant sur le libre-arbitre des plateforme­s de diffusions, sans passer par la seule compétence de la justice de l'État, il est à craindre que s'opère une amplificat­ion des techniques de filtrage et de suppressio­ns massives de contenus pénalisant lourdement l'expression artistique, certaines activités profession­nelles, la diffusion de messages positifs pour les LGBTQI ou les campagnes de prévention de santé sexuelle", regrette dans une lettre ouverte publiée lundi l'Inter-LGBT.

RETRAIT EN 1 HEURE DES CONTENUS TERRORISTE­S ET PÉDOPORNOG­RAPHIQUES : UNE ENTRAVE À LA SÉPARATION DES POUVOIRS ?

Cette dispositio­n surprise a fait son apparition dans le processus législatif le 21 janvier, lors de l'examen de la propositio­n de loi en deuxième lecture par l'Assemblée nationale, à la demande de l'exécutif. Le texte exige désormais que les sites Internet - et non plus seulement les grandes plateforme­s - retirent en une heure les contenus dits "terroriste­s" et pédopornog­raphiques, signalés par la police. En cas de non respect du délai, la police pourra exiger auprès des fournisseu­rs d'accès à Internet (comme SFR, Orange...) un blocage administra­tif des contenus litigieux sur tout le territoire.

En pratique, un délai aussi court nécessite que les éditeurs des sites soient facilement joignables et extrêmemen­t réactifs. Sur le fond, "la séparation des pouvoirs est entièremen­t écartée", déplore la Quadrature du Net, associatio­n de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet.

"C'est la police qui décide des critères pour censurer un site - en droit, la notion de "terrorisme" est suffisamme­nt large pour lui donner un large pouvoir discrétion­naire (...) ; c'est la police qui juge si un site doit être censuré ; c'est la police qui exécute la sanction contre le site. Le juge est entièremen­t absent de toute la chaîne qui mène à la censure du site", dénonce l'associatio­n.

Ce mécanisme de blocage administra­tif - sans passer par le bureau d'un juge - a déjà été instauré depuis 2004, via la loi sur la confiance dans l'économie numérique. Ce texte exige le retrait des contenus terroriste­s ou pédopornog­raphiques dans un délai de 24 heures, lorsqu'ils sont signalés aux éditeurs de sites par les services de police.

Lire aussi : Haine en ligne : pourquoi les parlementa­ires se déchirent autour de la loi Avia

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