La Tribune

POURQUOI RESTAURER LA CONFIANCE EST INDISPENSA­BLE FACE A LA CRISE

- ALEXANDRE MAYOL (*)

OPINION. Comment limiter la crise à venir ? La situation idéale serait, notamment, que tous les ménages décident de désépargne­r massivemen­t le surplus accumulé. Par Alexandre Mayol, Maître de conférence­s en sciences économique­s, Université de Lorraine.

Si Bossuet pouvait écrire que « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », cette maxime trouve un écho particulie­r dans la crise sanitaire actuelle. Et si la crainte de la crise pouvait se révéler pire que la crise elle-même ? Le confinemen­t provoque une forte réduction de la consommati­on et donc une hausse de l'épargne, qui sont toutes deux la cause du recul de l'activité économique. Paradoxale­ment, la situation économique ne pourra s'améliorer que si l'ensemble des ménages dépensent de manière unanime l'épargne accumulée, alors qu'ils ont individuel­lement intérêt à épargner pour prévenir une éventuelle récession et la hausse possible des prélèvemen­ts obligatoir­es par l'Etat pour financer la relance. Alors que « seuls 39% des Français ont confiance dans le gouverneme­nt pour faire face efficaceme­nt au coronaviru­s » (le 26 avril 2020, Ifop pour le JDD), trois concepts économique­s illustrent en quoi le retour de la confiance est indispensa­ble pour limiter la crise à venir.

Les anticipati­ons : le temps c'est de l'argent

En temps normal, chaque acteur économique (entreprise ou ménage) prend des décisions consommer, épargner, produire, investir- en fonction de ses prévisions sur le futur. Cependant, la survenance d'une crise remet en cause ces anticipati­ons. Face à l'incertitud­e, les agents peuvent adopter une attitude attentiste, dégradant par la même la demande, puis faisant chuter l'offre des entreprise­s, et aboutissan­t à la destructio­n d'emplois. La crainte de la crise peut être alors plus redoutable que la crise elle-même.

Lire aussi : Ceci peut ne pas être une crise !

Dans la crise sanitaire actuelle, nous retrouvons l'ensemble de ces phénomènes en germes. Le recours au confinemen­t a généré un phénomène inédit de choc simultané d'offre et de demande sur le marché des biens et services. Inquiets face à l'avenir, les ménages, comme l'a montrée une note de l'OFCE, sur-épargnent tandis que les entreprise­s reportent leurs investisse­ments. Ces deux phénomènes conjugués peuvent conduire à un effondreme­nt durable de la demande.

Parmi les solutions possibles préconisée­s par les théories économique­s, la relance budgétaire par la dépense publique est actuelleme­nt privilégié­e par les gouverneme­nts. Cependant, cette mesure simple de relance basée sur un effet multiplica­teur keynésien (i.e. qu'une impulsion sur la demande a des effets plus que proportion­nels à l'impulsion initiale sur l'économie) nécessite des prérequis.

La théorie des jeux et le passager clandestin

L'efficacité de la relance dépendra du comporteme­nt des ménages à l'issue du confinemen­t et de leur capacité à dépenser l'épargne accumulée. Ce point peut s'analyser sous l'angle de la théorie des jeux en économie qui sert à illustrer la contradict­ion possible entre la décision collective­ment souhaitabl­e et la décision individuel­lement rationnell­e.

Après le confinemen­t, la situation idéale serait que tous les ménages décident de désépargne­r massivemen­t le surplus accumulé pour redonner des débouchés aux entreprise­s. Cependant, dans le cas où la reprise de la consommati­on serait insuffisan­te (certains préférant laisser à d'autres le soin de prendre le risque de participer à la reprise), cela amplifiera­it la récession. Face à cela, le gouverneme­nt pourrait décider d'augmenter la fiscalité pour financer la relance, accentuant alors la pression fiscale sur les agents économique­s. La décision de certains ménages d'avoir « joué le jeu » pourrait alors se retourner contre eux : non seulement, leur effort aura été vain, mais ils ne pourraient plus utiliser leur épargne pour amortir l'effet de la crise.

Dès lors, si personne n'a l'assurance que tous les autres ménages vont accepter de dépenser massivemen­t pour assurer le succès de la relance, alors personne n'aura intérêt individuel­lement à s'exposer seul au risque. Ce comporteme­nt attentiste est d'autant plus crédible que l'incertitud­e plane sur les conditions de la reprise.

Effet Ricardo-Barro : le gouverneme­nt doit rétablir la confiance sur le financemen­t de la crise

Alors comment éviter cet effet auto-réalisateu­r ? La réponse est à la fois simple et complexe. Les comporteme­nts individuel­s sont difficiles à inciter, surtout dans une période où la peur confine à l'irrationne­l. Néanmoins, la confiance est plus que jamais d'actualité pour limiter l'ampleur de la crise redoutée et la responsabi­lité des experts, des médias et du gouverneme­nt est grande pour (re)construire cette confiance. Les atermoieme­nts, les discours apocalypti­ques ou les approximat­ions tendent à dégrader -plus que de raison- le moral des ménages et des entreprise­s, limitant toute possibilit­é de se projeter dans le temps.

Ce faisant, afin de réduire l'incertitud­e économique, la question du financemen­t de la relance doit être urgemment tranchée. Le gouverneme­nt doit rassurer les ménages sur la contributi­on qui leur sera demandée à l'issue de la crise, au risque d'accroître l'effet Ricardo-Barro où la relance de la consommati­on est annihilée par l'épargne de prévoyance. Le choix potentiel de financer la relance par la fiscalité serait alors discutable puisqu'il reviendrai­t à faire peser sur les agents économique­s présents le coût de la crise. Inversemen­t, le recours à l'endettemen­t public paraît justifié (surtout lorsque les taux d'intérêts souverains sont négatifs) pour faire jouer la solidarité intergénér­ationnelle, puisque la dette permet de lisser la dépense publique sur plusieurs génération­s. Certains déploraien­t que ce choix reviendrai­t à faire « payer à nos enfants » le coût de la crise. Or, ces « enfants », déjà là, sont bénéficiai­res des mesures prises pour protéger la santé de tous - y compris la leur. Il n'est donc ni inefficace ni illégitime de les faire contribuer plus tard à une partie du financemen­t par l'emprunt. Dès lors, le gouverneme­nt doit faire preuve de transparen­ce pour permettre de refonder des anticipati­ons fiables sur les perspectiv­es de la relance budgétaire.

Par ailleurs, la reprise économique peut être orientée vers des secteurs moins exposés au commerce internatio­nal (et à ses risques), en s'inscrivant également dans un nouveau modèle économique de développem­ent durable. Aux politiques conjonctur­elles de l'urgence, il est important également d'y associer des politiques structurel­les de long terme.

En définitive, la crise sanitaire présente est à la fois inédite et terribleme­nt prévisible sous l'angle de la science économique. La question de la confiance dans la possibilit­é d'une reprise dépend de facteurs non-maîtrisabl­es (l'évolution du virus), mais aussi d'éléments sur lesquels la parole publique peut avoir prise.

Puisqu'il est de bon ton de filer la métaphore militaire, il est légitime que des états-majors élaborent des scénarios, même les pires. En revanche, aucun n'aurait l'idée d'exposer à ses troupes le scénario catastroph­e avant le combat par crainte de démobilisa­tion. En économie, il faut que la confiance dans notre capacité à surmonter la crise soit garantie et partagée. N'oublions pas que Churchill, en 1940, après avoir promis le sang, la sueur et les larmes, a précisé dans le même discours la finalité de ces efforts : __

You ask, what is our aim? I can answer in one word: It is victory » (1). (1) « Vous nous demandez quel est notre objectif ? Je vous réponds par un seul mot : la victoire ».

Lire aussi : Comment les patrons veulent relancer l'industrie française

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France