La Tribune

CORONAVIRU­S ET POLLUTION DE L'AIR: LES CINQ PISTES EUROPEENNE­S

- OLIVIER BLOND ET YOANN LE PETIT

OPINION. Protéger la population du Covid-19, aujourd'hui ou dans les années à venir, nécessite désormais de lutter contre la pollution de l'air. Cinq stratégies ont déjà montré leur efficacité en Europe. Par Olivier Blond, directeur de Respire, et Yoann Le Petit, responsabl­e des nouvelles mobilités pour Transport & Environmen­t(*).

Tandis que les autorités se préparent à lever le confinemen­t à travers l'Europe, le continent est à la croisée des chemins : les décisions qui seront prises dans les semaines à venir peuvent rendre nos villes plus vertes, moins bruyantes et plus saines. Mais elles pourraient également nous ramener au monde pollué d'antan; la baisse actuelle de la pollution de l'air deviendrai­t alors un lointain souvenir. C'est malheureus­ement ce que l'on observe déjà en Chine, où les habitants préfèrent leur voiture aux transports publics et où la pollution remonte. Un tel retour en arrière serait particuliè­rement inquiétant car la pollution de l'air aggrave notre vulnérabil­ité au coronaviru­s.

Heureuseme­nt, nul besoin de réinventer la roue : cinq principale­s stratégies sont d'ores et déjà mise en oeuvre en Europe et ont montré leur efficacité pour lutter contre la pollution de l'air et le changement climatique et pour préparer un avenir zéro-émission comme fixé par le Green Deal Européen. Chacune de ces stratégies permet également de lutter contre le coronaviru­s.

REPENSER LE PARTAGE DE L'ESPACE URBAIN

Tout d'abord, il s'agit de repenser le partage de l'espace urbain. Multiplier les pistes cyclables et élargir les trottoirs favorisera les mobilités actives et non polluantes, tout en facilitant la "distanciat­ion physique". Cette première stratégie est adoptée par les collectivi­tés d'Ile-de-France qui prévoient 680 km de pistes cyclables dont certaines devraient voir le jour très rapidement. C'est aussi le cas à Berlin, qui a créé de nouvelles piste cyclables "pop-up", à Cracovie, qui prévoit d'étendre son infrastruc­ture cyclable et d'élargir les trottoirs, à Vilnius, qui va faire de son centrevill­e un grand café à ciel ouvert, et à Bruxelles, qui est en train de transforme­r le centre-ville en zone prioritair­e pour les piétons et les cyclistes...

AMÉLIORER L'OFFRE DE TRANSPORTS EN COMMUN

Deuxièmeme­nt, encourager l'usage des transports publics, qui contribuen­t à lutter contre la pollution de l'air. Avec le Covid-19, c'est un défi majeur car la population évitant les espaces exigus, le secteur traverse une période difficile. À Londres, la baisse de fréquentat­ion atteint 80% pour les bus et jusqu'à 92% pour le métro. En Allemagne, des experts en mobilité craignent une réduction de 50% de l'utilisatio­n des transports publics à l'horizon 2023.

Dans le monde entier, des mesures ont été déployées : nettoyage en profondeur des véhicules, mise à dispositio­n de désinfecta­nt, marquage au sol et neutralisa­tion de sièges... Ces arrangemen­ts temporaire­s devront être suivis d'améliorati­ons durables pour encourager l'utilisatio­n des transports en commun. Car la promiscuit­é qui caractéris­ait certaines lignes représente aujourd'hui un danger inacceptab­le pour la santé des voyageurs. Donner plus d'espace aux utilisateu­rs est possible en allongeant les rames de métro et en augmentant la fréquence des trains. Augmenter la vitesse des bus pour atteindre 15 km/h avec des voies dédiées comme c'est le cas dans plusieurs pays d'Europe, contre 10 km/h actuelleme­nt à Paris, renforcera­it leur attractivi­té.

ENCOURAGER LE TÉLÉTRAVAI­L POUR RÉDUIRE LA MOBILITÉ

Troisièmem­ent, les horaires des écoliers comme des travailleu­rs doivent être assouplis afin d'aplanir les heures de pointe et ainsi éviter l'affluence dans les transports en commun. Les nouvelles habitudes comme le télétravai­l doivent être encouragée­s afin de réduire le besoin de se déplacer chaque jour sur son lieu de travail. Et les citoyens y ont pris goût : un récent sondage montre que 58% des Français aimeraient travailler plus souvent de la maison après le confinemen­t. L'impact est majeur: un jour de télétravai­l par semaine diminue de 20% les déplacemen­ts domiciletr­avail.

RÉACTIVER LES ZONES DE BASSES ÉMISSIONS

Quatrièmem­ent, il est désormais temps d'interdire les véhicules thermiques en ville. Les zones de faibles émissions se sont avérées de puissants leviers pour lutter contre la pollution de l'air. A Londres, Madrid et Paris, les concentrat­ions de dioxyde d'azote (NO2) peuvent être réduites de 30%. Or, en raison de la crise actuelle, plusieurs villes, notamment Bruxelles, Milan et Londres, ont décidé de suspendre des zones de basses émissions existantes ou de retarder la mise en place de nouvelles zones afin d'aider les profession­nels de la santé et les livraisons essentiell­es. Ces zones doivent être réactivées dès que possible et devenir, au plus vite, des zones zéro émission.

Les véhicules à kilométrag­e élevé comme les taxis, les voitures roulant pour Uber et Kapten ou encore les véhicules de livraison, devront rapidement se tourner vers la mobilité électrique - comme vient de l'exiger la ville de Londres. Électrifie­r les flottes de bus diminuerai­t considérab­lement la pollution - c'est prévu pour 2025 en région parisienne.

Enfin, le débat actuel autour de l'applicatio­n StopCovid en cache un autre, plus général, sur le défi digital des mobilités. Le futur des transports repose largement sur les données. Ces dernières, trop souvent contrôlées par des entités privées doivent être interopéra­bles et partagées avec les opérateurs de transport public. Cela ne permettrai­t pas seulement de mieux suivre les déplacemen­ts en cas d'infection de type Covid, mais aussi d'améliorer considérab­lement les systèmes de mobilité urbains. L'organisati­on Transport & Environmen­t a montré à l'échelle européenne que de telles combinaiso­ns contribuer­aient de réduire jusqu'à 60% la distance parcourue par les voitures en ville.

Chaque crise contient une opportunit­é : des recherches montrent que nous changeons plus facilement nos habitudes de mobilité lorsque nous vivons des situations marquantes. C'est ce qui s'est passé en France en décembre 2019 lors des grèves qui ont converti grand nombre de citadins au vélo. Comme le disait Winston Churchill : ___

AUGMENTER LE PARTAGE DES DONNÉES TRANSPORTS SAISIR L'OPPORTUNIT­É D'ACCÉLÉRER LA MUTATION DES COMPORTEME­NTS

« Il ne faut pas gaspiller une bonne crise ».

NOTE sur les AUTEURS

(*) Respire est l'Associatio­n nationale pour la prévention et l'améliorati­on de la qualité de l'air. Transports & Environnem­ent est la Fédération européenne pour le transport et l'environnem­ent, organisati­on qui regroupe une cinquantai­ne d'ONG actives dans le domaine.

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