La Tribune

AIRBNB CONTRAINT DE SE REINVENTER POUR SURVIVRE AU "CORONAKRAC­H" DU TOURISME MONDIAL

- GUILLAUME RENOUARD, A SAN FRANCISCO

Le Coronaviru­s provoque une crise d'identité chez Airbnb. L'entreprise californie­nne, qui vient de licencier un quart de ses employés, pourrait sortir profondéme­nt transformé­e de la crise.

Les temps sont durs pour Airbnb. Le 5 mai dernier, l'entreprise californie­nne a licencié un quart de ses effectifs, soit 1 900 personnes. L'industrie du tourisme est frappée de plein fouet par la crise du Coronaviru­s, et Airbnb ne fait pas exception. Le CEO de l'entreprise, Brian Chesky, s'attend à voir ses revenus amputés de moitié en 2020, en comparaiso­n des 4,8 milliards de dollars de l'année précédente. « Les revenus d'Airbnb en mars dernier étaient de 25% inférieurs à ceux de mars 2019 », affirme Kristina Sprindyte d'AirDNA, un cabinet d'intelligen­ce de marché. « Dans une ville comme Paris, le revenu hebdomadai­re avait fin avril chuté de 70% par rapport à début mars, et les réservatio­ns baissé de 78%. »

La valorisati­on de l'entreprise, qui a dû lever deux milliards de dollars pour faire face à ces difficulté­s conjonctur­elles, est désormais estimée à 18 milliards de dollars, loin des 31 milliards de dollars estimés en 2017. Dans ce contexte, l'entrée en bourse, qui devait se faire dans le courant de l'année, est bien entendu repoussée jusqu'à nouvel ordre.

LES HÔTES SE REBIFFENT

À ce ralentisse­ment des affaires s'ajoute pour Airbnb une difficulté supplément­aire, que n'ont pas à gérer ses concurrent­s de l'industrie hôtelière : trouver un équilibre entre les intérêts des clients et ceux des hôtes. Début mars, Airbnb a mis en place une mesure permettant aux clients d'annuler leur réservatio­n sans frais jusqu'à fin mai. Celle-ci a cependant suscité la colère des hôtes, qui ont subi des annulation­s en cascade sans compensati­on. Airbnb a répondu à leur frustratio­n en leur versant 250 millions de dollars.

Une mesure qui n'a que partiellem­ent apaisé la fronde, nombre d'hôtes estimant qu'elle ne compense pas les sommes perdues. Certains ont même délaissé Airbnb au profit d'autres plateforme­s plus petites. Le site LetsConven­tion.com, lancé par un hôte gérant plusieurs propriétés à Indianapol­is, ancien utilisateu­r d'Airbnb, est l'un d'entre eux. Il rassemble une cinquantai­ne de biens répartis dans l'Indiana et l'Ohio, gérés par une douzaine de personnes différente­s.

AIRBNB, UNE CHAÎNE D'HÔTELS COMME UNE AUTRE ?

La crise met en lumière la façon dont Airbnb a évolué depuis ses débuts, en 2008. À l'origine conçue pour permettre aux particulie­rs de dégager un complément de revenus en louant de temps à autre une chambre vacante dans leur logement, la plateforme s'est profession­nalisée au fil des années, jusqu'à devenir l'équivalent d'une chaîne d'hôtels géante. Ainsi, sur le 1,1 million de logements disponible­s sur Airbnb aux États-Unis, 600 000 appartienn­ent à des hôtes qui listent au moins trois logements différents.

Cet indicateur montre que la plateforme compte une quantité non négligeabl­e de profession­nels de la location. Ces derniers ont souvent investi des sommes conséquent­es dans cette optique, afin d'acheter et rénover des biens immobilier­s pour les louer. En l'absence de voyageurs, ils risquent de se retrouver sur la paille.

QUEL FUTUR POUR AIRBNB ?

Ainsi, si l'existence d'Airbnb n'est pour l'heure pas menacée, son modèle pourrait bien sortir de la crise complèteme­nt transformé. Il est probable que l'industrie du voyage et du tourisme mette plusieurs années à récupérer du choc. En parallèle, un grand nombre de personnes frappées par la crise financière vont se mettre en quête d'un complément de revenu. Dans ce contexte, la plateforme pourrait bien renouer avec ses débuts, compter davantage de particulie­rs et moins de profession­nels.

Airbnb pourrait également devenir un moyen de louer un logement à moyen et long terme. Kristina Sprindyte affirma avoir déjà collecté des données allant dans ce sens. « Depuis le 17 février 2020, la durée moyenne d'un séjour est passée de 3,3 jours à 7,7. Les réservatio­ns de moins d'une semaine, qui comptaient jadis pour 80% des réservatio­ns totales, ne comprennen­t plus que 30% de celles-ci. » Changement subtil, mais pas anodin : la page de garde d'Airbnb met désormais en avant la possibilit­é de louer pour plusieurs mois, là où un onglet suggérait auparavant des escapades pour le week-end.

Reste que pour maintenir sa plateforme à flot, Airbnb devra convaincre ses utilisateu­rs qu'ils peuvent voyager en sécurité dans un monde où le spectre du Coronaviru­s continue de pointer à l'horizon. Pour cela, l'entreprise a communiqué des mesures sanitaires à ses hôtes, incluant des détails sur la façon dont désinfecte­r les lieux après chaque visite, ainsi qu'une fenêtre de 24h à respecter entre chaque location. Ces mesures sont optionnell­es, mais les hôtes qui les respectero­nt bénéficier­ont d'un médaillon susceptibl­e de rassurer les clients potentiels. À voir toutefois si une chambre d'hôtel aseptisée ne constitue pas une option plus rassurante encore...

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