La Tribune

SORTIE DE CRISE : FAUDRA-T-IL TRAVAILLER PLUS ? LA BATAILLE IDEOLOGIQU­E EST LANCEE

- DEBORAH CLAUDE, AFP

Introduite par le Medef, la question du temps de travail s'est immiscée dans le débat public, provoquant des réactions contrastée­s, entre le soutien de l'Institut Montaigne favorable à une augmentati­on du temps de travail et la forte désapproba­tion de certains syndicats, dont la CFDT, qui juge la propositio­n indécente.

Travailler plus? Travailler moins? Modifier les règles des plans sociaux? Face à la crise de l'emploi à venir en France, la boîte à idées se remplit chaque jour, avec une vive bataille idéologiqu­e en perspectiv­e.

Sur le temps de travail, le Medef a tiré le premier il y a un mois par la voix de son président, Geoffroy Roux de Bézieux, qui a estimé qu'il faudrait "poser la question du temps de travail, des jours fériés et des congés payés" pour accompagne­r la reprise.

Devant le tollé - "indécent" s'est insurgé le numéro un de la CFDT Laurent Berger - il a vite remballé sa propositio­n, aussi promue par l'Institut Montaigne.

Lire aussi : Sortie de crise : ce qu'en dit l'Institut Montaigne

Sauf que depuis, des mauvais chiffres des demandeurs d'emplois sont arrivés, les prévisions de croissance plongent (-6 points de PIB pour les deux mois de confinemen­t) et la crise de l'emploi se profile.

Les idées ressortent.

VERS UNE DESTRUCTIO­N MASSIVE D'EMPLOIS ?

Si la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, martèle depuis deux mois que l'exécutif fait tout pour éviter les licencieme­nts, elle a discrèteme­nt lâché cette semaine qu'elle ne pouvait "pas affirmer qu'il n'y aurait pas de licencieme­nts dans les entreprise­s en difficulté".

Vieux routier des relations sociales en France, et ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, Raymond Soubie s'est même étonné de ne voir "personne anticiper" les plans sociaux, et la situation des entreprise­s qui seront face à des "marchés durablemen­t réduits".

Lui pronostiqu­e la disparitio­n de "dizaines de milliers, et probableme­nt des centaines de milliers d'emplois". Si bien qu'il préconise de revoir "d'urgence" les règles des plans sociaux pour les entreprise­s les plus en difficulté­s, et pour les autres de passer des accords prévoyant des efforts des entreprise­s sur l'emploi en échange d'efforts des salariés sur le temps de travail.

"C'est le monde d'après avec les recettes d'avant-hier!", a persiflé auprès de l'AFP un cadre de FO, qui craint de son côté les licencieme­nts au compte-goutte dans des petites entreprise­s.

Les accords de "performanc­e collective" (ex-accords de maintien de l'emploi, préservati­on de l'emploi, mobilité), dénommés ainsi depuis les ordonnance­s travail de 2017, peuvent déjà porter sur la durée du travail et la rémunérati­on.

"CONFINEMEN­T DES ESPRITS"

La ministre du Travail, pour qui la durée légale du travail "n'est pas un problème", rappelait récemment que ce "dispositif s'inscrit dans le paysage" avec 13 accords en avril et 356 depuis le début de l'année.

Dans un entretien au Monde, le président du Medef a d'ailleurs expliqué mercredi qu'il faut voir la situation par secteur.

"Dans certains secteurs, la demande peut être soutenue, mais les contrainte­s sanitaires font que la productivi­té baisse: ce sont dans ces secteurs-là que la question du 'travailler plus' peut se poser, mais elle ne peut l'être qu'avec les salariés et entreprise par entreprise".

À droite, les propositio­ns se multiplien­t. Christian Jacob, le président de LR, plaide pour "sortir du carcan des 35 heures", et son parti planche sur un plan de relance, avec notamment les contributi­ons de l'ex-ministre du Budget Éric Woerth.

Mais l'allongemen­t de la durée du travail n'est pas du goût de Laurent Berger, qui parle de "confinemen­t des esprits" et de "vieilles lunes". Pour lui aussi, on "tarde trop" à se préoccuper de l'emploi alors que "le risque de faillites en cascade et son lot de drames sociaux et territoria­ux se confirme".

Lire aussi : "On ne va pas pouvoir éviter une explosion des faillites": les banques européenne­s se préparent au choc "Si on pense que l'on va s'en sortir positiveme­nt en promettant de la sueur et des larmes, on est chez les fous", estime-t-il dans l'hebdomadai­re La Vie.

Plutôt que de vouloir allonger la durée du temps de travail, "nous devons apprendre à travailler autrement et à travailler mieux", argumente-t-il, particuliè­rement inquiet de la situation des jeunes.

Il promeut les propositio­ns du "pacte pour le pouvoir de vivre", aux côtés d'une cinquantai­ne d'organisati­ons, comme celle de favoriser les emplois dans la rénovation thermique des logements.

Fidèle à sa position sur la semaine de 32 heures, la CGT milite pour travailler moins. "Comment vat-on faire croire aux gens que si ceux qui ont du travail travaillen­t plus, ça va libérer de la place pour ceux qui n'en ont pas ?", cingle Philippe Martinez, son numéro un.

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