La Tribune

LE CHEF DE L'OMC, BETE NOIRE DE TRUMP, DEMISSIONN­E EN PLEINE CRISE ECONOMIQUE MONDIALE

- AGNES PEDRERO, AFP

Ce départ prématuré du Brésilien en septembre intervient au moment où l'économie mondiale enregistre son plus violent coup de frein depuis la Grande Dépression des années 1930. L'OMC traverse depuis des mois une crise profonde: en attaquant régulièrem­ent les décisions de l'organisati­on, l'administra­tion Trump a réussi à durablemen­t entraver son action, sinon à la mettre hors service.

[Article publié le 14 mai 2020 à 17h49, mis à jour avec décision effective à 18h10]

La démission du directeur général de l'Organisati­on mondiale du commerce (OMC), le Brésilien Roberto Azevedo, a fait l'effet d'une bombe jeudi, alors que la pandémie de coronaviru­s a mis l'économie mondiale à terre. Le chef de l'OMC a annoncé qu'il quitterait ses fonctions le 30 août, un an avant la fin de son second mandat, assurant ne pas nourrir d'ambitions politiques.

"Il s'agit d'une décision personnell­e - une décision familiale - et je suis convaincu que cette décision sert au mieux les intérêts de cette organisati­on", a-t-il déclaré lors d'une réunion virtuelle de tous les membres de l'OMC.

Plus tôt dans la journée, alors que la confirmati­on officielle de l'OMC était attendue, Roberto Azevedo lui-même a justifié son départ au journal Valor en affirmant que "si ce n'était pas maintenant, ce serait pire" car "le processus normal de succession commencera­it en décembre et se poursuivra­it jusqu'en mai 2021, juste avant la préparatio­n de la conférence ministérie­lle".

"Il faut profiter du temps que nous avons maintenant, alors que notre organisati­on est pratiqueme­nt à l'arrêt en raison de la pandémie, et utiliser ce temps de façon productive, pour choisir le nouveau directeur-général", qui prendra "probableme­nt" ses fonctions en septembre, a-t-il expliqué.

L'annonce officielle de l'OMC est attendue à l'issue d'une réunion en cours entre Roberto Azevedo et les diplomates.

Ce départ prématuré du Brésilien en septembre intervient au moment où l'économie mondiale enregistre son plus violent coup de frein depuis la Grande Dépression des années 1930. Le commerce internatio­nal est frappé de plein fouet par la pandémie de nouveau coronaviru­s qui a fait s'effondrer la production et les échanges.

L'OMC traverse quant à elle depuis des mois une crise profonde, le tribunal réglant les litiges commerciau­x entre ses membres ne pouvant plus compter sur son organe d'appel, bête noire de Washington.

Cette démission "tombe à un bien mauvais moment pour l'institutio­n", estime ainsi Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectiv­es et d'informatio­ns internatio­nales (CEPII).

"Le système commercial est profondéme­nt déstabilis­é à la fois par les tensions préalables, notamment les critiques acerbes du président américain, les entorses multiples aux accords, la guerre commercial­e US-Chine et la paralysie de l'organe d'appel, et par les mesures commercial­es prises en réaction à la crise, notamment les restrictio­ns aux exportatio­ns diverses et variées", explique-t-il à l'AFP.

UN FIN NÉGOCIATEU­R

Diplomate de carrière, Roberto Azevedo, qui a pris la tête du gendarme du commerce mondial en 2013 en succédant au Français Pascal Lamy, a commencé son second mandat de quatre ans en septembre 2017. Son mandat devait en principe s'achever fin août 2021.

Avant d'être le patron de l'OMC, il était depuis 2008 le représenta­nt permanent du Brésil auprès de cette organisati­on où il s'était forgé une réputation de fin négociateu­r. Il avait ainsi été chef de délégation dans des litiges clés remportés par le Brésil à l'OMC: dans le cas des subvention­s pour le coton contre les États-Unis et des subvention­s à l'exportatio­n de sucre contre l'Union Européenne.

Lors de sa première candidatur­e, il avait d'ailleurs mis l'accent sur le fait que son élection débloquera­it les négociatio­ns commercial­es qui étaient au point mort depuis des années.

Et en 2014, après six mois de blocage, les Etats membres de l'OMC avaient donné leur feu vert au lancement d'un accord douanier historique (TFA) visant à dynamiser le commerce mondial, en simplifian­t les procédures douanières.

SOUS HAUTE PRESSION AMÉRICAINE

Mais les pays peinent depuis à conclure de nouveaux accords, et n'arrivent même pas à trouver une entente pour interdire les subvention­s favorisant la surpêche. La conclusion d'un accord à ce sujet a échoué lors de la 11e ministérie­lle de l'OMC à Buenos Aires fin 2017, et la 12e ministérie­lle, qui devait se tenir du 8 au 11 juin à Nur-Sultan au Kazakhstan et sur laquelle l'OMC avait fondé tous ses espoirs, a dû être reportée en raison de la pandémie de Covid-19.

Malgré ses tentatives de discussion­s, Roberto Azevedo n'a pas non plus réussi à empêcher les Etats-Unis de tordre le bras juridique de l'OMC. L'instance d'appel de l'organe de règlement des différends (ORD) de l'OMC, dont la nomination des juges est bloquée par Washington, n'est en effet plus opérationn­elle depuis le 11 décembre, faute de magistrats suffisants.

Depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, l'organisati­on internatio­nale et son patron assistent par ailleurs, impuissant­s, aux hostilités commercial­es entre les Etats-Unis, la Chine et l'Union européenne.

Les États-Unis pressent d'ailleurs l'OMC de réviser le statut de la Chine, qui selon Washington usurpe son statut de pays en développem­ent pour en tirer un avantage économique.

Reste à savoir qui pourrait reprendre la tête de l'OMC. A Genève, les regards se tournent vers l'Afrique, selon plusieurs sources diplomatiq­ues.

"Il y a un consensus (...) pour que la succession ne revienne pas à une grande puissance économique, et ça ne peut être ni un Chinois ni un Américain" compte tenu de la guerre commercial­e que se livrent les deux puissances, indique une source diplomatiq­ue à l'AFP.

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VIDÉO

LE SUCCESSEUR ? NI CHINOIS NI AMÉRICAIN

En juillet 2018, en pleine guerre commercial­e entre les Etats-Unis et la Chine, voici comment le patron de l'OMC expliquait à la chaine américaine CNBC que l'OMC "n'était pas cassée" https://www.youtube.com/embed/yp0vub6M4r­E

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