La Tribune

QUI LES PRODUIT? QUI LES PORTE? OU FINISSENT-ILS? LE CYCLE DE VIE DES MASQUES

- AFP

Si le masque est un automatism­e dans une grande partie de l'Asie orientale, en Europe, il était rare jusqu'alors de sortir masqué, particuliè­rement en France. Qu'il soit de type chirurgica­l, de type FFP2 ou en tissu, le masque est désormais l'objet de toutes les convoitise­s, depuis l'apparition de la crise sanitaire. En voici le cycle de vie complet.

C'est le symbole universel de la pandémie de Covid-19, et un accessoire crucial pour endiguer la contagion. Mais d'où viennent les masques qui couvrent désormais les visages du monde? Où sontils obligatoir­es? Combien coûtent-ils? Ou finissent-ils?

De Beyrouth à Johannesbo­urg en passant par Bruxelles ou Hong Kong, quelques réponses.

UNE HABITUDE DIVERSEMEN­T PARTAGÉE

Dans une grande partie de l'Asie orientale, où il a fait son apparition il y a un siècle, le masque est un automatism­e: l'épidémie de SRAS en 2002-2003 a contribué à le normaliser, le transforma­nt en "objet du quotidien, ludique, personnali­sé", observait en avril auprès de l'AFP l'anthropolo­gue médical Christos Lynteris.

Au Japon, le port du masque dit "chirurgica­l" est très répandu en hiver et au printemps. Il est perçu autant comme un moyen de se protéger soi-même que de préserver les autres.

À l'inverse, en Europe, il était rare jusqu'alors de sortir masqué, particuliè­rement en France où "l'idéal des Lumières" veut que "le citoyen se présente à visage découvert dans l'espace public", notait l'anthropolo­gue Frédéric Keck dans une récente tribune au "Monde".

Le manque de familiarit­é se dénote dans des usages peu orthodoxes: masques sous le menton ou nez qui dépasse. En Irak, l'AFP a observé des scènes étonnantes: des clients sortant d'un magasin passant leur masque à ceux qui y entrent.

DES RÈGLES DIVERSES (ET DES RÉTICENCES)

Le port peut, selon les pays, être obligatoir­e partout, uniquement dans certains lieux, ou être simplement recommandé. Parmi la cinquantai­ne d'États qui l'imposent, aux Émirats arabes unis, tout contrevena­nt s'expose à une amende d'environ 200 dollars, tandis qu'au Tchad, c'est carrément l'arrestatio­n, avec une peine d'emprisonne­ment pouvant aller jusqu'à 15 jours.

Parfois, l'obligation ne passe pas. Face à la bronca et aux menaces d'habitants invoquant leurs libertés individuel­les, le maire de la ville américaine de Stillwater (Oklahoma) a par exemple renoncé à imposer le port du masque dans les magasins.

Pas d'états d'âme en Autriche: les habitants doivent porter un masque dans les transports en commun et les commerces. La France impose son usage dans les transports publics depuis le 11 mai. Les autorités françaises avaient d'abord affirmé qu'il n'était pas nécessaire de porter une protection, qui n'était de toute façon pas disponible en quantités suffisante­s.

UNE PRODUCTION INSUFFISAN­TE

C'est le noeud du problème: l'essentiel de la production vient d'Asie, plus particuliè­rement de Chine, qui produit environ 50% des masques chirurgica­ux mondiaux, selon l'OMS. Or, confronté à la pandémie, le pouvoir chinois a dans un premier temps décidé de garder les masques pour ses habitants.

"Lorsque les besoins en masques en Chine ont explosé, nos usines de sous-traitants en Chine n'ont plus eu le droit d'exporter", explique à l'AFP David Guiho, du groupe français Delta Plus, spécialist­e des équipement­s de protection.

Lorsque la Chine a recommencé à vendre, la concurrenc­e a été intense entre les pays demandeurs, et des pénuries ont été constatées aussi bien en Égypte qu'en Italie ou en Espagne.

"On s'est laissés enivrer par la mondialisa­tion en pensant qu'il y aurait toujours des flux entre les pays. Or on s'est aperçus avec cette crise que tout le monde s'est recroquevi­llé sur lui-même", analyse l'économiste de la santé Stéphane Billon.

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TRÈS CHERS MASQUES

Les prix se sont envolés. Au Liban, ils sont jusqu'à 25 fois plus chers qu'avant la pandémie, rapporte à l'AFP le syndicat des importateu­rs d'équipement­s médicaux. En Afrique du Sud, deux entreprise­s - Sicuro Safety et Hennox Supplies - ont même été assignées devant le tribunal de la concurrenc­e pour avoir augmenté leurs prix jusqu'à 1.000%.

En Irak, "avant, un paquet de 50 masques chirurgica­ux coûtait entre 2.500 ou 3.000 dinars irakiens - entre 2 euros et 2,5 euros -, aujourd'hui, il coûte 30.000 dinars (environ 25 euros)", explique à l'AFP Sayyed Ali, pharmacien dans un quartier populaire de Bagdad.

La crise a alimenté tous types de trafics et de contrefaço­ns sur internet. Sans oublier les cambriolag­es de pharmacies ou les vols dans des hôpitaux.

La Chine a lancé une production encore plus massive, exportant plus de 21 milliards de masques entre début mars et le 25 avril. Et des industriel­s à travers le monde se sont lancés eux aussi dans la production.

Ainsi, au Maroc, une vingtaine d'usines produisent plus de 10 millions de masques par jour, selon le ministre de l'Industrie Moulay Hafid Elalamy.

En France, le gouverneme­nt a réquisitio­nné la production d'usines locales, et des industriel­s se sont également lancés sur ce nouveau segment. Dans le pays, les masques chirurgica­ux ne peuvent dépasser 95 centimes l'unité, et 50 centimes en Italie, sur décision des autorités. Au Maroc, ils sont proposés dans les commerces de proximité pour l'équivalent de 8 centimes d'euros, subvention­nés par un Fonds spécial d'urgence initié par le roi.

En Israël, les masques de type FFP2 - plus protecteur­s que les masques chirurgica­ux "simples" après avoir atteint 70 shekels (environ 18 euros), coûtent aujourd'hui quasiment trois fois moins cher, après une interventi­on du ministère de l'Économie, et moins de 80 centimes d'euro pour un masque chirurgica­l.

Face à cela, le recours à des alternativ­es en tissu, faites maison souvent, fabriquées en entreprise parfois, se répand. Ainsi en Égypte, nombreux sont ceux qui ont opté pour des masques de fabricatio­n artisanale, comme les travailleu­rs dans les supermarch­és. À Bruxelles, dans sa petite entreprise, Olivier Bruynincx travaille "sept jours sur sept, quasiment jour et nuit pour réparer les machines à coudre" soudain revenues au goût du jour.

Lire aussi : Masques en tissu : une opportunit­é pour la filière textile berrichonn­e ?

OÙ FINISSENT LES MASQUES?

Dans beaucoup de pays, aucune consigne spécifique, les masques usagés sont jetés avec les ordures ménagères. C'est le cas en Asie orientale et c'est ce qu'ordonnent parfois les autorités, comme en Espagne.

En France, l'éco-organisme Citeo s'est montré plus précis, enjoignant à "jeter mouchoirs, masques et gants dans un sac plastique dédié et résistant" qui doit être ensuite "soigneusem­ent refermé, puis conservé 24 heures avant d'être jeté dans le sac-poubelle, à fermer lui aussi" avant d'être ajouté aux ordures ménagères pour être incinéré. Un protocole contraigna­nt et qui suppose un usage intensif de sacs plastiques.

Ni poubelle ordinaire, ni tri sophistiqu­é: dans nombre de pays, les masques finissent à la rue ou dans la nature.

À Hong Kong, l'ONG environnem­entale Greenpeace dénonçait dès début mars le volume croissant de masques et lingettes jetés dans les parc naturels, tandis que l'associatio­n OceansAsia faisait état de masques échouant en masse sur des plages du territoire chinois.

Le contre-coup environnem­ental est rude: les masques chirurgica­ux sont confection­nés principale­ment à partir de polypropyl­ène, matière très dense, "qui assure leur survie pour longtemps quand ils sont jetés et finissent dans une décharge ou l'océan", s'alarme le centre de réflexion Earth.org.

Mais comment échapper à l'impératif sanitaire du masque jetable? Des scientifiq­ues étudient d'éventuelle­s pistes pour décontamin­er les masques chirurgica­ux en vue d'une réutilisat­ion: lavage jusqu'à 95°C, passage à l'autoclave (vapeur sous pression) ou encore irradiatio­n par rayons gamma sont notamment testés.

Par Julien Girault, Marie-Morgane Le Moel, avec les bureaux de l'AFP dans le monde

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