La Tribune

UNE ECONOMIE DE POINTE SACRIFIEE DEPUIS DES DECENNIES SE RAPPELLE DOULOUREUS­EMENT A NOUS

- PHILIPPE BERTA, CHRISTIAN SIATKA, BARBARA DE VOS

Si le coronaviru­s interroge la place de l’homme dans la nature, il questionne aussi les priorités au regard de la recherche, de la santé et de l’économie. Le Pr Philippe Berta, (député du Gard, vice-président pôle Eurobiomed, président-fondateur École de l’ADN de Nîmes), Christian Siatka (directeur École de l’ADN de Nîmes) et Barbara De Vos (experte en projets innovants) pointent l’urgence à forger un écosystème national capable de réagir plus efficaceme­nt aux crises à venir, notamment en matière de biotechnol­ogies santé, d’innovation ou de tissu industriel. Autant d’éléments concourant à la souveraine­té de la nation dans des domaines stratégiqu­es.

Dans la situation sanitaire inédite que nous traversons, force est de constater qu'une déviation infime de la nature perturbe tous les systèmes organisati­onnels et nous oblige à nous concentrer sur de nombreuses actions qui doivent être menées de front. Ce coronaviru­s nous démontre à quel point nous sommes fragiles et nous contraint à faire face à une réalité : celle de la place de l'homme dans la nature bien sûr, mais aussi de ses priorités en regard de la recherche, de la santé et de l'économie.

Nous avons, ces jours-ci, peur que tout s'effondre mais aussi peur que finalement rien ne s'effondre et rien ne bouge. La crise du Covid-19 nous amène à nous centrer d'urgence sur des stratégies de recherche, des stratégies de production et d'harmonisat­ion d'efforts dans le seul but de trouver une ou plusieurs solutions pour lutter contre cette pandémie. Passée cette phase d'urgence, c'est d'une action structurel­le dont nous avons besoin, pour remettre la santé à la place qui est la sienne, de bien le plus précieux de l'homme, et forger un écosystème capable de réagir de manière plus efficace aux crises à venir.

INVESTIR DANS LES BIOTECHNOL­OGIES

Nous savons depuis plusieurs décennies que l'avenir des biotechnol­ogies santé, ou biotechnol­ogies rouges, est très prometteur. Elles sont désormais au centre de toutes les attentions. Ces biotechnol­ogies portent en elles un nombre grandissan­t d'espoirs, et sont la source de l'essentiel des médicament­s biologique­s commercial­isés (anticorps, peptides, gènes, cellules...) ou en voie de l'être. Les stratégies d'innovation ouverte, déployées par l'industrie pharmaceut­ique, ont fait des start-ups un acteur amont essentiel de cette filière.

Si ces dernières années les investisse­ments privés ont contribué largement à développer ce secteur économique dans le domaine thérapeuti­que, la consolidat­ion des financemen­ts reste le plus souvent insuffisan­te pour permettre l'accès aux essais cliniques et donc au marché. Ce point est dénoncé par les parties prenantes depuis longtemps. Il conduit au départ de beaucoup trop de produits issus de notre recherche, y compris publique ou menée sur fonds associatif­s, essentiell­ement outre-Atlantique, où des fonds de pension sont mobilisabl­es pour les valoriser. La crise actuelle du Covid-19 constitue également un autre révélateur.

RETROUVER NOTRE SOUVERAINE­TÉ SUR LES ÉQUIPEMENT­S DE SANTÉ

Dans la chaîne de valeur allant de la recherche fondamenta­le en santé jusqu'au lit du malade en milieu hospitalie­r, se dégage un lien commun. Il est formé de l'ensemble des équipement­s (gros et petits équipement­s), mais aussi des outils de fonctionne­ment nécessaire­s à ces diverses activités. Comment aujourd'hui ne pas penser par exemple aux respirateu­rs, aux écouvillon­s de prélèvemen­t à des fins de diagnostic viral, ou encore aux solutions intégrant les enzymes pour amplifier et rendre visible le génome viral par PCR (« Polymerase Chain Reaction »). Les divers acteurs (chercheurs, ingénieurs, technicien­s, personnel hospitalie­r) peuvent témoigner de l'origine systématiq­uement étrangère du matériel ou des produits utilisés ainsi au quotidien dans leurs activités. Que reste-t-il de français ? Les exemples manquent.

Depuis plusieurs décennies, les investisse­urs français se sont détournés progressiv­ement de tout soutien à l'adresse de ces activités de support essentiell­es. Même si pérennes, même si créateurs d'emploi, ces domaines leurs sont moins attractifs que la molécule thérapeuti­que ou que la technologi­e miracle, pour lesquelles le retour financier envisageab­le, même si à haut risque, est sans commune mesure.

DÉVELOPPER LES ACTIVITÉS DE SERVICES POUR LA BIOTECHNOL­OGIE, L'INDUSTRIE PHARMACEUT­IQUE ET LA SANTÉ

L'État, au travers de ses différente­s structures de recherche, n'a fait qu'amplifier la disparitio­n de ce type d'activités au profit d'entreprise­s étrangères. Loin d'un « small business act » à la française, qui aurait pu contribuer à favoriser la commande publique en direction de ces TPE-PME-ETI nationales, les choix effectués ont au contraire contribué à accélérer la disparitio­n de ces activités privées de services, créatrices de valeur et d'emplois. Ainsi en est-il, pour exemple, du foisonneme­nt, au fil des années, des équipement­s plates-formes payés par l'Etat ou par les collectivi­tés, au détriment du développem­ent d'activités de services privées et d'une logique de partenaria­t.

En biologie, on a vu se multiplier l'implantati­on de synthétise­urs d'oligonuclé­otides, de peptides, spectrosco­pie de masse, séquenceur­s de protéines ou d'ADN... Des équipement­s des plus coûteux à l'achat, pour leur fonctionne­ment ou leur entretien, et dont l'espérance de vie reste des plus limitées tant les sauts technologi­ques sont rapides en la matière. Ils contribuen­t de plus à mobiliser des moyens humains loin de l'essence même de leur activité de base, tels la recherche ou le soin. Nous aurions pu, au contraire, aider au maintien d'un tissu industriel fort dans ce secteur, à l'image de l'Allemagne si enviée en ce moment, en développan­t des partenaria­ts publics-privés gagnantgag­nant en bien des domaines : connaissan­ce réciproque, améliorati­on du management de la qualité ou de la confidenti­alité...

AGIR POUR L'AVENIR

Ainsi dans cette crise, les pouvoirs publics doivent par nécessité stratégiqu­e et en appui aux capitaux privés, accompagne­r ce secteur de l'économie de la connaissan­ce par l'élaboratio­n de politiques publiques de financemen­t. La Banque Publique d'Investisse­ment (BPI) peut en constituer le bras armé par un fonds dédié à de telles activités supports. Le soutien à l'innovation et sa consolidat­ion, sont les conditions pour non seulement hisser la France plus haut mais aussi pour trouver une, des solutions pour gérer au mieux ce type de crise épidémique/pandémique dont tout nous amène à craindre la nature récurrente.

La crise du COVID-19 est tout à la fois le moment de se poser de vraies questions fondamenta­les sur notre relation à la planète, et celui de revenir sur des considérat­ions pratiques pour lesquelles les réponses du passé ne sont manifestem­ent pas des plus opérantes. La recherche en santé et les biotechnol­ogies sont à questionne­r aussi sur la base des outils qui les constituen­t, comme autant d'éléments stratégiqu­es concourant à la souveraine­té de notre nation. Ces réflexions alimentero­nt, nous pouvons l'espérer, ce que nous attendons impatiemme­nt : le temps de l'après.

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