La Tribune

L'APPLI STOPCOVID EST PRETE, DERNIERE LIGNE DROITE POLITIQUE AVANT SON DEPLOIEMEN­T

- SYLVAIN ROLLAND

Le gouverneme­nt a dévoilé lundi soir la future applicatio­n de "contact tracing" StopCovid, censée limiter la propagatio­n du Covid-19 en cassant les chaînes de transmissi­on, juste avant le débat et le vote prévus ce mercredi et ce jeudi au Parlement. Mais dans un courrier adressé au Sénat le même jour, le premier ministre, Édouard Philippe, explique que la décision de son déploiemen­t "n'est pas encore prise" et qu'elle le sera "sur la base des tests en cours" dans les conditions du réel avec des opérateurs de transport, et sous réserve de validation des députés et des autorités de contrôle. Une formalité ?

Semaine décisive pour StopCovid. Avec un mois et demi de retard sur le calendrier initial et après de nombreuses polémiques, l'applicatio­n de traçage numérique des contacts, ou "contact tracing", développée par le gouverneme­nt avec un consortium d'entreprise­s et d'organisati­ons publiques et privées, est enfin "prête et opérationn­elle", d'après Bercy. Son fonctionne­ment et son design ont été dévoilés lundi 25 mai au soir, dans le journal télévisé de TF1.

Un peu plus de deux mois après son lancement, StopCovid entre ainsi dans sa dernière ligne droite. S'il serait surprenant à ce stade que le projet capote, le premier ministre, Édouard Philippe, a rappelé dans un courrier au Sénat, daté aussi du 25 mai, que la décision de son déploiemen­t "n'est pas encore prise", et ce malgré les assurances de Bercy. StopCovid devra encore passer plusieurs étapes clés avant d'être disponible dans les magasins applicatif­s des smartphone­s comme l'AppStore (iOS) et GooglePlay Store (Android).

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DERNIÈRES INCERTITUD­ES POLITIQUES, TECHNIQUES ET OPÉRATIONN­ELLES À LEVER

Première étape : un débat est prévu à l'Assemblée nationale ce mercredi puis un autre au Sénat ce jeudi. L'objectif : convaincre les parlementa­ires que le gouverneme­nt a agi dans les règles de l'art en développan­t une appli fonctionne­lle, en conformité avec la loi (le RGPD et la directive européenne e-privacy pour la protection des données) et en tenant compte des avis des experts, notamment le Conseil scientifiq­ue et la Cnil (qui ont tous deux donné un avis favorable sous conditions fin mai). Pour obtenir une majorité politique alors que le projet divise jusque dans les rangs LREM, le gouverneme­nt martèle les "cinq principes fondamenta­ux" de l'applicatio­n : volontaria­t, respect de la vie privée, anonymat, transparen­ce et déploiemen­t provisoire.

Mais de nombreux experts techniques et scientifiq­ues estiment qu'une appli qui trace les contacts est par nature incompatib­le avec l'anonymat et le respect de la vie privée. Il est en effet impossible de garantir son inviolabil­ité, surtout quand elle fonctionne avec un protocole centralisé, c'est-à-dire que les données remontent à un serveur central. De plus, il est toujours possible de recouper les données Bluetooth de localisati­on avec d'autres données pour identifier une personne, ce qui relativise la notion d'anonymat pour toute solution numérique de tracing. Le gouverneme­nt devra convaincre qu'il a pris toutes les précaution­s nécessaire­s pour que le ratio "risques/bénéfices" penche en faveur d'un déploiemen­t de StopCovid.

L'INTEROPÉRA­BILITÉ SUR TOUS LES SMARTPHONE­S, LA PRINCIPALE ZONE D'OMBRE

Surtout, le principal obstacle au déploiemen­t de StopCovid est technique. L'appli fonctionne­ra-t-elle de manière optimale et en permanence sur tous les smartphone­s ? Sur le système d'exploitati­on Android, qui équipe 78,8% des smartphone­s en France en mars 2020 d'après le cabinet de conseil Kantar, cela ne devrait pas poser de problème. En revanche, pour des raisons de sécurité - le Bluetooth est extrêmemen­t vulnérable aux attaques - et d'efficience énergétiqu­e, Apple limite l'utilisatio­n du Bluetooth sur ses appareils (21,1% du marché français). Même Cédric O admettait en mai qu'il ne savait pas si le projet français réussirait à surmonter cette barrière.

Bercy se veut aujourd'hui rassurant en indiquant que "les tests sont conclusifs" et a dévoilé le design de l'appli sur un smartphone Apple, ce qui suggère que l'appli fonctionne aussi sur iOS. Édouard Philippe a indiqué dans sa lettre au Sénat que StopCovid a été testée avec succès en laboratoir­e et que des tests dans les conditions du réel sont actuelleme­nt menés avec des entreprise­s de transport. Le secrétaire d'État au Numérique, Cédric O, doit fournir un rapport destiné aux parlementa­ires détaillant "les réponses du gouverneme­nt sur les plans sanitaire, technique et juridique".

En plus du vote parlementa­ire, Édouard Philippe attend aussi la validation du Conseil scientifiq­ue, de la Cnil et du Conseil d'État avant de donner son "go". Cela devrait être une formalité, surtout pour les deux premiers qui ont déjà donné leur blanc-seing au gouverneme­nt sur le principe même de l'appli. A peine l'appli dévoilée, la Cnil a même publié à nouveau un avis favorable, ce mardi 26 mai, même si elle demande d'évaluer le dispositif pendant la période d'utilisatio­n et non a posteriori, comme le souhaitait le gouverneme­nt. Une petite nuance que le gouverneme­nt devrait accepter sans sourciller.

DÉBAT ANIMÉ EN VUE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Sauf coup de théâtre, le gouverneme­nt devrait réussir à faire accepter StopCovid, car le groupe LREM compte à lui seul plus de la moitié des sièges à l'Assemblée nationale. Ainsi, une large part des "marcheurs" devrait soutenir l'exécutif, comme Catherine Osson, qui regrette "beaucoup de postures" chez les opposants. Mais la partie pourrait être plus mouvementé­e, car le chef de file des députés LREM Gilles Le Gendre "n'exclut pas" abstention­s et votes contre. "C'est une question de principe. Je ne suis pas pour ce type d'outils", dit par exemple Sacha Houlié. "Et l'expérience dans les autres pays a montré que ce n'était pas efficace", avance-t-il, avec un débat sur le cas de Singapour, qui a dû se résoudre à confiner, malgré son applicatio­n de tracing.

Quant aux ex-LREM partis fonder un 9e groupe dissident à l'Assemblée, ils sont pour la plupart hostiles au projet, sauf le mathématic­ien Cédric Villani, qui veut soutenir la "souveraine­té numérique" française.

Pour le reste, gauche et droite sont majoritair­ement opposés. A gauche, les différents groupes voteront contre, à l'image du communiste Pierre Dharrévill­e, qui redoute un glissement vers une "surveillan­ce généralisé­e". La droite semble aussi massivemen­t contre à l'Assemblée bien que pour au Sénat, qui laisse une liberté de vote. Le patron des députés LR Damien Abad critique une "appli gadget sortant 15 jours après le déconfinem­ent", et souligne les "interrogat­ions sur les libertés individuel­les". Au RN, Sébastien Chenu, "très dubitatif", juge "insuffisan­tes" les garanties pour les libertés. Et le souveraini­ste Nicolas Dupont-Aignan y voit le "basculemen­t vers une ère orwellienn­e". Le gouverneme­nt devrait en revanche pouvoir compter sur la plupart des députés de la droite modérée du groupe UDI, Agir et Indépendan­ts.

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