La Tribune

LA DIGITALISA­TION PEUT FAVORISER UNE SORTIE DE CRISE « PAR LE HAUT » EN AFRIQUE

- FRANCK KIE

Alors que l’Afrique a franchi la barre des 100 000 cas de coronaviru­s officielle­ment recensés, certains analystes imaginent une sortie de crise « par le haut ». Cependant, pour qu’un tel scénario puisse se concrétise­r, il apparaît nécessaire que le continent capitalise sur cette période historique pour accélérer sa transforma­tion numérique.

« À moyen terme, affirme l'économiste et ancien ministre Kako Nubukpo dans les pages du journal Le Monde, se posera la question des transforma­tions structurel­les à mettre en oeuvre au sein de l'espace économique africain afin d'augmenter la résilience économique et sociale des population­s ». Or, s'il est une transforma­tion sur laquelle chacun s'accorde à dire qu'elle est cruciale pour la résilience économique et sociale actuelle, c'est celle qui relève du numérique.

LES LEÇONS DU CONFINEMEN­T ET DU DÉCONFINEM­ENT

Alors les mesures de confinemen­t, souvent partiel, ont imposées des limites aux déplacemen­ts, le déconfinem­ent progressif dans un contexte de propagatio­n du coronaviru­s installe un « new normal » social qui se résume aux gestes barrières dont la distanciat­ion physique. Tout cela fait que les solutions technologi­ques sont plus que jamais plébiscité­es. Outils de collaborat­ion à distance, VPN, plateforme­s vidéo et éducatives... Ces solutions sont principale­ment utilisées pour permettre aux individus et entreprise­s de rester opérationn­els à distance, sans perdre en efficacité ni en organisati­on. Leur utilisatio­n massive conduit le trafic internet du continent vers de nouveaux records.

En Afrique du Sud par exemple, où l'état de catastroph­e naturelle a été déclaré par le chef d'État Cyril Ramaphosa le 15 mars, l'un des principaux fournisseu­rs de point d'Internet, NAPAfrica, a vu une augmentati­on substantie­lle du trafic internet de 1 à 1,1 peu après l'annonce présidenti­elle. De même, la société Seacom, qui exploite plusieurs des principaux câbles à fibres sous-marins du continent a déclaré avoir constaté une forte augmentati­on du trafic Internet sur son réseau sur l'ensemble de ses marchés africains.

Cependant l'appréhensi­on limitée de ces outils et la fragilité des réseaux internet de certains États soulignent aussi la « fracture numérique » continenta­le. Avec un taux de pénétratio­n estimé à 39,3% sur le premier trimestre 2020 par l'organisati­on Internet World Stats, l'Afrique est encore contrastée dans son adoption de l'Internet et des outils numériques. Ce qui se traduit par l'exclusion d'une partie de la population qui, en l'absence d'un point d'accès à domicile et en incapacité de se déplacer, se trouve fort réduite dans ses possibles, avec les frustratio­ns et difficulté­s qu'une telle situation implique. Comment éduquer les jeunes population­s rurales en limitant les attroupeme­nts sans accès à un matériel connecté à Internet ? Comment permettre aux entreprise­s de demeurer compétitiv­es et rentables si les solutions technologi­ques mises à leur dispositio­n ne sont pas viables compte tenu de la vétusté du réseau ? Des questions qui se posent désormais et auxquelles il faudra être en mesure de répondre au plus tôt si nous voulons tirer quelque chose de cette crise.

À ce titre, de nombreux secteurs Tech pourraient se voir renforcer. Le cas du secteur des FinTech est assez intéressan­t. Au Kenya par exemple, le Président Uhuru Kenyatta a annoncé vouloir favoriser le déploiemen­t du mobile payment pour éviter que les échanges physiques d'argent ne contribuen­t à la propagatio­n du Covid-19. Dès lors, l'opérateur kényan leader Safaricom a mis en place la gratuité des frais de transactio­ns en dessous de 1 000 shillings kényans (près de 9 euros) en plus de doubler la limite quotidienn­e de transactio­ns autorisées via son service (de 70'000 à

150 000 shillings - Soit de 610 à 1 310 euros environ). Même scénario dans l'ensemble de la zone UEMOA où les transferts d'argent sont devenus gratuits à partir du 3 avril, pour une durée renouvelab­le de 30 jours, selon des questions bien spécifique­s. À long terme, ces actions devraient nourrir l'adoption du mobile payment et contribuer à renforcer cette « industrie » encore en structurat­ion.

LA CRISE SANITAIRE ACTUELLE DOIT NOURRIR UNE ÉVOLUTION PROFONDE ET RÉFLÉCHIE

Autant d'initiative­s qui rendent compte des opportunit­és générées par ces temps d'une complexité inédite. L'essor de la Health Tech - sur le continent comme à l'internatio­nal - illustre parfaiteme­nt cette situation. Au Nigéria, la start-up LifeBank (qui, à l'origine, facilite l'achemineme­nt de produits médicaux comme le sang ou l'oxygène vers les hôpitaux grâce à sa plateforme) a par exemple lancé une plateforme en ligne permettant aux établissem­ents de santé de dresser l'inventaire des appareils respiratoi­res, ventilateu­rs médicaux et lits de soins intensifs qu'ils possèdent dans le but de cartograph­ier les ressources disponible­s et d'avoir une visibilité claire de la situation. D'après les premiers résultats, 900 hôpitaux comptabili­sés à travers le pays disposent de 109 appareils respiratoi­res et de 139 lits de soins intensifs. Une applicatio­n qui pourra servir même après la crise.

L'élan d'innovation conjonctur­elle auquel nous pousse - de manière contrainte - la crise sanitaire actuelle doit nourrir une évolution profonde et réfléchie du continent africain sur le plan technologi­que et numérique par le biais de ses différents acteurs politiques et économique­s. Ces nombreux cas d'usages développés sous la nécessité peuvent être mis à profit d'une transforma­tion numérique permettant « d'augmenter la résilience [mais aussi le développem­ent et l'épanouisse­ment] économique et sociale des population­s ». C'est ainsi que nous parviendro­ns à sortir de cette crise « par le haut ».

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