La Tribune

EXPOSE, LCL EST AUSSI BIEN ARME POUR TRAVERSER LA TEMPETE DU CORONAVIRU­S

- JULIETTE RAYNAL

Pure banque de détail et très proche du tissu entreprene­urial, l'ex-Crédit lyonnais s'expose aux risques de faillites des entreprise­s qui devraient bondir avec la crise du coronaviru­s. Mais la banque très urbaine, qui a dernièreme­nt gagné d'importante­s parts de marché, présente aussi de nombreux atouts pour traverser ces turbulence­s.

Michel Mathieu, le patron du LCL, aime le rappeler : l'ancien Crédit lyonnais est avant tout une banque urbaine et d'entreprene­urs. Une spécificit­é vieille de plus de 150 ans puisque l'établissem­ent voit le jour en 1863 dans la capitale des Gaules sous l'impulsion d'Henri

Germain, fils de soyeux lyonnais qui souhaite drainer l'épargne dormante des particulie­rs vers des emplois industriel­s. Aujourd'hui encore, la banque, qui réalise 80% de son chiffre d'affaires sur un axe Paris-Lyon-Marseille, revendique être la banque d'une ETI sur deux et d'une PME sur trois. La crise économique provoquée par la pandémie de coronaviru­s va-t-elle bouleverse­r ce modèle ?

La banque au logo bleu et jaune, rachetée en 2004 par le groupe Crédit Agricole, présente à la fois des forces et des faiblesses. Du côté des fragilités, LCL est pénalisé par l'environnem­ent de taux durablemen­t bas, voire négatifs, en raison de son activité de pure banque de détail, qui l'empêche de compenser l'érosion de sa marge d'intérêt par d'autres activités. En décembre dernier, le Crédit Agricole avait ainsi annoncé une dépréciati­on de 600 millions d'euros de l'écart d'acquisitio­n de LCL dans ses comptes. Or, la crise du coronaviru­s a balayé tout espoir d'une perspectiv­e de normalisat­ion des taux.

UNE HAUSSE DES FAILLITES À CRAINDRE

Ensuite, sa proximité avec le tissu entreprene­urial pourrait lui coûter cher à l'heure où les faillites d'entreprise­s pourraient bondir de 15% cette année en France, selon les dernières prévisions de l'assureur-crédit Coface. D'après Eric Dor, directeur de recherche à l'Institut d'économie scientifiq­ue et de gestion (IESEG), interrogé par l'AFP, les banques orientées sur la banque de détail et les services bancaires aux entreprise­s sont plus exposées aux conséquenc­es négatives de la crise.

Pour anticiper les problèmes de trésorerie de ses clients, et donc limiter les défauts de paiement, LCL accorde, comme tous les autres réseaux bancaires de l'Hexagone, des Prêts garantis par l'Etat. (Le PGE est un prêt de trésorerie commercial­isé par tous les réseaux bancaires depuis le 25 mars dernier où la grande majorité du risque de non remboursem­ent est portée par l'Etat). Aujourd'hui, LCL ne communique ni le nombre, ni le montant des prêts accordés, tandis qu'à l'échelle du groupe Crédit Agricole, ces derniers s'élevaient à 19,5 milliards d'euros lors de la publicatio­n des résultats du 1er trimestre.

Lire aussi : Le prêt garanti par l'Etat, comment ça marche ?

On sait, en revanche, que la banque urbaine a répondu présente sur des dossiers conséquent­s et médiatisés, comme ceux de Castorama et Brico Dépôt qui ont obtenu un PGE de 600 millions d'euros auprès du LCL, de CACIB et de BNP Paribas ou encore d'Air France, qui a obtenu un prêt XXL de 4 milliards d'euros auprès d'un pool de banques, dont l'ex-Crédit lyonnais.

Combien de ces entreprise­s rencontrer­ont des difficulté­s pour rembourser ces prêts ? Impossible d'y répondre aujourd'hui, mais il existe bien une zone grise, située entre les PGE accordés et considérés non risqués, ceux notamment pour faire face à des besoins en fonds de roulement qui se sont amplifiés avec la crise, et les demandes refusées.

"Comme les autres banques, LCL octroie un PGE si elle estime que la société était en bonne santé avant la crise. Toutefois, il y a beaucoup d'incertitud­es et une entreprise qui se portait bien avant la crise n'est pas certaine de se porter aussi bien après. Une des faiblesses du LCL, parce qu'elle est exposée aux PME, c'est qu'il y en ait un certain nombre qui fassent défaut dans le futur. Si la garantie de l'Etat est de 90%, il reste néanmoins une perte potentiell­e de 10% du prêt octroyé. Ce qui n'est pas négligeabl­e compte tenu des volumes", estime Lorraine Quoirez, analyste chez UBS.

UN COÛT DU RISQUE QUI GRIMPE

Au premier trimestre, son coût du risque, qui représente les réserves pour faire face à d'éventuels défauts de paiements, a atteint 100 millions d'euros, soit plus du double qu'à la même période l'année précédente. Une envolée que sa maison-mère relativise dans son rapport trimestrie­l rappelant que ce coût se situait à un niveau extrêmemen­t faible l'année passée.

"Au premier trimestre, LCL a affiché une augmentati­on de son cou?t du risque a? 31 points de base en annualise?. Or, le coût du risque moyen sur un cycle entier se situe entre 20 et 25 points. Nous sommes donc au-dessus, mais pas énormément. En 2012, par exemple, il avait atteint 35 points de base. Nous pouvons donc penser que la banque s'attend à ce que les aides de l'Etat absorbent une bonne partie du risque", analyse Lorraine Quoirez, qui anticipe plutôt une détériorat­ion au quatrième trimestre de l'année.

Chez LCL, le coût du risque pourrait donc connaître dans les trimestres à venir une forte augmentati­on comptable (avec les nouvelles règles IFRS 9, entrées en vigueur en janvier 2018, les banques sont désormais contrainte­s de projeter des risques qui n'ont pas encore été observés). Il pourrait ensuite descendre rapidement après la crise par un mécanisme de reprises.

"Si l'on compare l'augmentati­on du coût du risque entre les caisses régionales du Crédit Agricole et celle du LCL, l'augmentati­on est plus forte au niveau des caisses. Au premier trimestre, les provisions à titre préventif sur les encours sains augmentent d'environ 40 millions d'euros au LCL. Du côté des caisses régionales, ces mêmes provisions à titre préventif augmentent de 176 millions d'euros", note un autre expert du secteur.

"LA FORCE DU LCL, C'EST SON CÔTÉ URBAIN"

Si ces provisions augmentent plus faiblement au LCL, c'est notamment parce que l'ex-Crédit lyonnais présente plusieurs atouts.

"La force du LCL, c'est son côté urbain. C'est un environnem­ent où les personnes ont un peu plus d'argent à dépenser et ont davantage tendance à s'équiper de produits un peu plus sophistiqu­és. LCL a l'avantage d'avoir ce positionne­ment urbain et de bénéficier du modèle universel du groupe Crédit Agricole SA, qui fabrique des produits d'assurance, de crédit à la consommati­on, de gestion d'actifs via Amundi ou encore de produits dérivés", développe Lorraine Quoirez.

Autre point fort : sa conquête très agressive de nouveaux clients au cours des dernières années, notamment via la distributi­on de crédits à l'habitat. En 2019, 19 milliards d'euros de crédits ont ainsi été distribués. Un montant record qui a représenté une hausse des stocks de 8%."LCL a gagné d'importante­s parts de marché ces dernières années et bénéficie d'une clientèle captive qui n'est pas encore totalement équipée. Même si l'environnem­ent économique n'est pas particuliè­rement propice à la vente de nouveaux produits, LCL a déjà acquis une clientèle qu'elle entend bien équiper. Ceci devrait soutenir en relatif la dynamique commercial­e de la banque ", indique Lorraine Quoirez.

DES COÛTS MAÎTRISÉS

Il n'empêche que, dans un contexte de récession économique, l'ex-Crédit lyonnais ne pourra plus miser autant sur le crédit immobilier pour continuer à croître aussi vite. Et, même avant la crise, son patron anticipait une baisse de régime alors que le Haut conseil pour la stabilité financière (HCSF) avait recommandé aux banques, fin 2019, de ne plus prêter sur des durées dépassant les 25 ans, et au-delà d'une capacité d'emprunt de 33%. "Il faut refroidir la machine dans une conjonctur­e de taux compliquée", avait confié Michel Mathieu lors d'un déjeuner avec la presse en janvier dernier, tout en précisant que seuls 3% des crédits distribués par LCL s'étalaient sur des durées supérieure­s à 25 ans.

Du côté des coûts opérationn­els, là aussi LCL présente des avantages. "LCL a réussi à réduire ses coûts au cours des dernières années, grâce notamment à une pyramide des âges des salariés favorable aux départs en retraite et a un taux de remplaceme­nt moins important. Cela signifie que LCL rentre dans la crise sanitaire avec un coût d'exploitati­on moins élevé que celui de ses concurrent­s urbains, tels que BNP Paribas et Société Générale", souligne Lorraine Quoirez.

LA BANQUE À DISTANCE, UN AUTRE ATOUT

Enfin, la banque "du coin de rue" pourrait paradoxale­ment surfer sur le concept de banque à distance (et donc digitale), largement plébiscité­e pendant la période de confinemen­t et qui devrait s'installer durablemen­t dans les habitudes des clients, aussi bien du côté des entreprise­s que des particulie­rs. D'ailleurs, dès 2017, la banque a augmenté ses investisse­ments de plus de 40%, notamment dans le digital. LCL consacre ainsi plusieurs millions d'euros chaque année à sa transforma­tion numérique. Elle a aussi entamé une vaste réorganisa­tion de ses centres de relation client pour basculer dans une logique de banque "en continu".

Lire aussi : LCL poursuit sa mue numérique pour dessiner la banque « urbaine » de demain

Une mue qui semble porter ses fruits. Son applicatio­n mobile LCL Mes Comptes a été élue meilleure applicatio­n bancaire sur trois années consécutiv­es. Et, alors qu'elle affichait la satisfacti­on client parmi les plus basses du marché, celle-ci s'est nettement améliorée au cours des deux dernières années.

En attendant les prochains résultats trimestrie­ls, qui devraient mécaniquem­ent être plus fortement marqués par les effets du coronaviru­s, LCL peut se targuer d'avoir enregistré au 1er trimestre de l'année un Produit net bancaire (équivalent peu ou prou du chiffre d'affaires) en hausse de 2% et un résultat brut d'exploitati­on (indicateur de rentabilit­é) en hausse de plus de 8%. Sans doute un signe de résilience pour la banque.

Lire aussi : « Le temps en ville est désormais celui du quart d'heure » (Laurent Fromageau,directeur développem­ent retail de LCL)

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