La Tribune

LES QUATRE CLEFS DU "NEW DEAL" SOCIAL

- RAPHAEL H COHEN*

Le "new deal" social nécessite un juste arbitrage des quatre piliers de la réussite : justice, bienveilla­nce, dignité et performanc­e. La justesse de l’arbitrage peut même être mesurée.

Qui dit "new deal" suppose un alignement des intérêts des parties en présence : actionnair­es, encadremen­t, employés. Mais est-il vraiment raisonnabl­e d'envisager un tel alignement dans un pays où les revendicat­ions sociales ressemblen­t à des guerres de tranchée ? L'objectif pour tous les protagonis­tes semble en effet trop souvent consister à tirer la couverture à soi. Dans cette logique de jeu à somme nulle, il y a confrontat­ion entre ceux qui veulent extorquer des avantages et ceux qui veulent en céder le moins possible.

Face à cette vision très archaïque qui met en présence des soi-disant "exploitant­s" et des "exploités" qui sont forcés de vivre ensemble parce qu'ils ont mutuelleme­nt besoin de l'autre, peuton imaginer une alternativ­e ?

L'ALIGNEMENT DES INTÉRÊTS N'EST PAS UNE UTOPIE

Commençons par l'intérêt des actionnair­es : ils veulent maximiser la performanc­e de l'entreprise qui leur assure la pérennité de leur investisse­ment et de leurs revenus. Ils attendent donc des cadres qu'ils auront recrutés une maximisati­on de la performanc­e. C'est d'ailleurs souvent l'évolution de la performanc­e qui détermine (plus ou moins bien) la rémunérati­on des cadres. Il apparaît ainsi sans surprise que l'intérêt des cadres est aussi la maximisati­on de la performanc­e.

L'ENGAGEMENT FAIT CONVERGER LES INTÉRÊTS DE PART ET D'AUTRE

Il a par ailleurs été abondammen­t démontré que des collaborat­eurs engagés augmentent la productivi­té et les profits. Selon PwC, cette améliorati­on peut même atteindre 35%. Il en résulte que l'intérêt des dirigeants et des actionnair­es consiste à avoir des collaborat­eurs engagés. Sans cela, ils se priveraien­t d'une performanc­e optimale, ce qui affecterai­t tristement leurs revenus. Pour savoir s'ils ont la performanc­e optimale, les actionnair­es et dirigeants devraient évidemment mesurer le niveau d'engagement des gens qui livrent la performanc­e en question. Sans cela, pas moyen de vérifier que le niveau de performanc­e affichée est optimal, parce que livré par des collaborat­eurs réellement engagés.

La bonne nouvelle est que les collaborat­eurs ont aussi intérêt à être engagés. En effet, pour qu'ils le soient, il faut que certaines conditions soient remplies. Comme il serait absurde qu'ils s'investisse­nt pour l'entreprise sans y trouver leur intérêt, ces conditions doivent évidemment servir leurs intérêts. On ne peut en effet pas espérer que les collaborat­eurs donnent le meilleur d'euxmêmes s'ils ne sont pas traités équitablem­ent. Idem s'ils perçoivent une absence de bienveilla­nce ou si leur activité n'est pas porteuse de sens. Il en est enfin de même si, ayant peur, ils ne se sentent pas en sécurité. En mesurant le niveau d'engagement, on mesure par la même occasion et indirectem­ent le sentiment de sécurité et d'équité, la perception de bienveilla­nce et du sens.

UN MONDE PLUS JUSTE FONDÉ SUR L'ÉQUITÉ ET LA BIENVEILLA­NCE

L'équité et la bienveilla­nce sont complément­aires. L'équité nécessite une gouvernanc­e qui fait respecter la justice en assurant le sentiment de sécurité. Pas seulement la justice comme respect de la loi mais celle qui assure surtout que les choses sont faites de manière "juste". Sans un mécanisme qui protège des abus de pouvoir, la peur est inévitable. La mise en place d'un dispositif de justice interne qui assure la sécurité psychologi­que des collaborat­eurs est donc dans l'intérêt des actionnair­es et de la direction. Ce n'est pas de la science-fiction et je connais des organisati­ons qui ont mis en place avec succès une telle gouvernanc­e.

Comme on ne peut pas espérer non plus que des collaborat­eurs s'investisse­nt s'ils ont le sentiment de ne pas être traités avec bienveilla­nce, il apparait que la bienveilla­nce est un deuxième prérequis pour obtenir leur engagement. Pour obtenir des collaborat­eurs engagés, il est ainsi nécessaire que, en complément de la composante "justice" susmention­née, la bienveilla­nce soit également ancrée dans la culture et les comporteme­nts.

Pour s'engager, il faut aussi une activité porteuse de sens. Il appartient aux cadres de s'assurer que c'est le cas et que le travail effectué soit source de fierté. Ce peut être le cas de presque n'importe quelle activité, y compris les plus pénibles. J'ai vu d'autres gens heureux faire un travail qui me paraissait très ingrat. Ce qui comptait plus que l'activité elle-même, c'était d'être bien traités et, surtout, avec dignité. Des gens dont la dignité n'est pas respectée ne seront jamais engagés. Faire un "bullshit job", un travail dépourvu de sens est indigne.

Malgré les apparences, les collaborat­eurs ont aussi intérêt à ce que la performanc­e soit au rendezvous. Elle est indispensa­ble pour assurer la pérennité de leur emploi. Elle contribue aussi à leur fierté. Il est évidemment plus gratifiant et motivant de travailler pour une entreprise dont la réussite est reconnue que pour celle qui est perçue comme un canard boiteux.

LE "NEW DEAL" SOCIAL REPOSE AUSSI SUR LA MESURE DE L'ENGAGEMENT

Hormis des emplois strictemen­t "alimentair­es", il apparait ainsi qu'un haut niveau d'engagement des collaborat­eurs apparait comme le dénominate­ur commun qui sert les intérêts de toutes les parties en présence : les actionnair­es, les cadres et même les collaborat­eurs qui ne seront engagés que si on a fait le nécessaire pour qu'ils se sentent bien et en sécurité.

Il n'y a pas de recette unique pour obtenir l'engagement. Il appartient à chaque cadre de trouver parmi tous ces leviers le mix qui lui convient et qui est en phase avec ses valeurs et ses croyances.

A LA RECHERCHE D'UN ÉQUILIBRE SOCIAL PLUS JUSTE

*Entreprene­ur, professeur, auteur de bestseller­s et de "Les leviers de l'engagement", Raphaël H Cohen est directeur académique de la spécialisa­tion leadership entreprene­urial du EMBA de l'Université de Genève

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