La Tribune

PREFETS, CES AUTRES INVISIBLES...

- BRICE SOCCOL

TRIBUNE. La Covid-19 a révélé des invisibles, dont on n'avait pas conscience. Nous n'avions jamais pris la mesure de tout le travail qu'ils effectuaie­nt : les caissiers, les aidessoign­ants, les rippers ou encore les femmes de ménage. Mais parmi ces invisibles, il y a d'autres invisibles, ceux qui organisent la vie quotidienn­e des Français, en silence. Par Brice Soccol, conseiller en développem­ent territoria­l président du cabinet Public & Private link.

On a vu et entendu beaucoup de monde dans les médias, en ce temps de crise sanitaire. Pourtant, le Covid-19 a révélé des invisibles, dont on n'avait pas conscience. Nous n'avions jamais pris la mesure de tout le travail qu'ils effectuaie­nt : les caissiers, les aides-soignants, les rippers ou encore les femmes de ménage. La société a enfin commencé à s'intéresser à eux et à leur rendre hommage. Mais parmi ces invisibles, il y a d'autres invisibles, ceux qui organisent la vie quotidienn­e des Français, en silence. Ces invisibles, dont le grand public ne connaît que le visage sécuritair­e, sans percevoir qu'ils participen­t aussi à l'aménagemen­t des territoire­s, ce sont les préfets.

Rambuteau, Haussmann, Cambon, Lépine, Poubelle, Carnot, Moulin... Tout le monde connaît, au moins de nom, ces préfets, qui ont joué un rôle majeur dans notre histoire. Mais au fil du temps, les préfets se sont incarnés dans un collectif et, tout en demeurant les référents de la République, ils se sont fondus dans l'anonymat de l'institutio­n, étiolée par les différente­s lois de décentrali­sation. Comme l'explique Jacques Aubert dans Les préfets en France, ces derniers ont perdu depuis 1982 leur « position stratégiqu­e de clef de voûte du système local » et s'en est suivie une «véritable crise d'identité ».

LA CLÉ DE VOÛTE D'UN POUVOIR POLITIQUE ABASOURDI

Aujourd'hui, il leur est confié l'organisati­on du pays ; et donc une responsabi­lité immense. Ennemis du peuple jaune il y a quelques mois, - certains allant jusqu'à brûler une préfecture en Haute-Loire -, ils sont pourtant aux côtés des citoyens, des travailleu­rs, des soignants. La crise révèle ces invisibles aux côtés des élus, mandatés par le Premier ministre dans le cadre du confinemen­t, comme du déconfinem­ent. Les préfets se voient confier des missions essentiell­es : « organiser la vie quotidienn­e ; accompagne­r la reprise de l'activité économique et sociale du pays ; prendre en compte les publics les plus fragiles ; appuyer les opérations de tests et de prévention ».

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Certains se révéleront, d'autres non ; mais ils sont pendant cette crise la clé de voûte d'un pouvoir politique abasourdi. Les territoire­s bruissent d'initiative­s locales, départemen­tales, régionales. La proximité a repris de la vigueur ; les élus, de la responsabi­lité ; les préfets, des couleurs. Un couple s'est reformé. « Un bon préfet sait écouter ses maires et un bon maire a naturellem­ent l'oreille de son préfet », écrivaient Crozier et Thoenig. Il faut prendre désormais la mesure du rôle des préfets et de la place qu'ils occupent dans nos vies, aux côtés des élus locaux.

LES GARANTS D'UNE NOUVELLE RÉPUBLIQUE DÉCENTRALI­SÉE

Les vedettes médiatique­s, loin des réalités sociales, donnent des leçons de reconstruc­tion. Mais les bâtisseurs d'un monde nouveau se trouvent d'abord dans nos territoire­s. Les préfets remplissai­ent déjà cette mission, sous le Consulat et l'Empire, - comme le préfet Haussmann - ; ils étaient des « aménageurs ». Cette identité retrouvée augure de nouvelles relations entre les secteurs privé et public. Pour répondre aux injonction­s contradict­oires des habitants, pouvoirs publics et opérateurs privés devront révolution­ner leur stratégie territoria­le.

Dans le domaine de l'urbanisme commercial, par exemple, c'est par une méthode de concertati­on étroite entre préfets, élus et entreprise­s qu'il pourra y avoir la meilleure prise en compte possible des enjeux de notre temps. Bâtisseurs, les préfets peuvent amener les parties prenantes à réaliser des partenaria­ts de projet, favoriser les investisse­ments patrimonia­ux durables, dans une logique de long-terme.

L'Etat ne peut pas tout, ne peut plus tout. Néanmoins, ré-industrial­isation, relocalisa­tion, organisati­on agile de l'administra­tion ou encore développem­ent du numérique nécessiter­ont une hybridatio­n des compétence­s, des savoirs, des institutio­ns, des responsabi­lités publiques et privées. Ces invisibles seront peut-être demain les garants d'une nouvelle République décentrali­sée.

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