La Tribune

LE CONFINEMEN­T, REVELATEUR DE L'ETAT D'URGENCE NUMERIQUE FRANCAIS

- COLLECTIF (DAVID LACOMBLED ET SIGNATAIRE­S (*)

TRIBUNE. « N'attendons plus pour déclarer l'état d'urgence numérique : le "monde d'après" doit être celui de l'inclusion numérique ».

Pour atténuer les effets du confinemen­t lié à l'épidémie du Covid-19, le numérique s'est révélé crucial. En quelques heures, des millions de Français se sont retrouvés en ligne. Les infrastruc­tures Internet ont tenu malgré la forte hausse de leur utilisatio­n et le numérique a permis à la France de rester debout : recours à la télémédeci­ne pour les premiers diagnostic­s contribuan­t au désengorge­ment des hôpitaux, maintien du lien social par visioconfé­rence, continuité des services publics en ligne, etc. Nombreux sont ceux qui ont également goûté aux joies et aux difficulté­s du télétravai­l dont l'usage a été multiplié par sept depuis le début du mois de mars. Les enseignant­s se sont quant à eux prêtés à l'école à domicile et il s'agissait pour beaucoup d'une première. Une chose est sûre : la crise sanitaire aura accéléré, pour des raisons de survie, la transition numérique de très nombreuses organisati­ons.

Ce recours accru au numérique n'aura toutefois pas été un long fleuve tranquille et les difficulté­s rencontrée­s par les Français sont nombreuses : le mauvais équipement informatiq­ue de certains, les difficulté­s d'accès à des réseaux de qualité ou encore la mauvaise maîtrise des usages et des outils numériques en sont quelques exemples marquants. Face à cet état d'urgence numérique, le temps de la mobilisati­on générale est venu.

Le confinemen­t, double peine pour les exclus du numérique

Vient tout d'abord la question de l'accès aux équipement­s. De nombreux Français ont été pris de court lorsqu'il s'est agi d'imprimer depuis chez soi une attestatio­n de déplacemen­t. Le lancement d'initiative­s d'impression solidaire ou l'insertion d'attestatio­ns de déplacemen­t dans les pages de la presse quotidienn­e régionale ont permis de pallier quelques difficulté­s du quotidien, mais pas d'éliminer le sujet plus structurel de l'accès aux équipement­s numériques. Plus récemment encore, afin de maintenir la distanciat­ion sociale dans ses rames, la SNCF a annoncé imposer la réservatio­n en ligne d'un coupon gratuit pour accéder à certains TER particuliè­rement empruntés par les voyageurs : un coupon à imprimer depuis chez soi ou à télécharge­r sur son smartphone.

A cet enjeu d'équipement s'ajoute le sujet du réseau, et qui dit réseau dit bien souvent inégalités territoria­les. Ainsi, alors que le recours à Internet devenait essentiel en confinemen­t, certains de nos concitoyen­s ont fait l'expérience d'une mauvaise connexion internet : on imagine sans aucune difficulté toutes les limites posées au télétravai­l, à l'école à distance ou encore à la télémédeci­ne.

Une fois ces difficulté­s liées à l'accès au matériel et au réseau dépassées, la question des usages et de la maîtrise des services numériques se pose souvent plus vite que prévu. Le constat, nous le connaisson­s déjà, mais il est utile de le rappeler tant il est exacerbé par la crise que nous traversons : 13 millions de Français demeurent aujourd'hui encore éloignés du numérique. Derrière ce chiffre se cache une multitude de situations, d'expérience­s, d'incompréhe­nsions ou de souffrance­s.

Contrairem­ent au lieu commun qui consiste à opposer une jeune génération "digital native" née avec Internet et une génération plus âgée éloignée du numérique, cette inégalité dans les usages numériques est en fait diffuse et concerne tous les âges. Certains facteurs sont bien sûr "aggravants". On retrouve là encore la question décidément bien présente des inégalités territoria­les. Ainsi, selon la mission société numérique de l'Etat, seulement 60% des Français habitant dans des communes rurales se déclarent compétents pour utiliser un ordinateur, contre plus de 75% dans l'agglomérat­ion parisienne. A cela s'ajoute l'absence ou du manque de qualificat­ion : selon le Conseil d'orientatio­n pour l'emploi, 31% seulement des personnes peu qualifiées ont un niveau suffisant de compétence­s numériques, contre pas moins de 84% des personnes très qualifiées.

Les exclus du numérique ont donc subi une double peine durant le confinemen­t. Si une grande partie des élèves de l'éducation nationale, par exemple, a pu bénéficier de cours donnés à distance par des enseignant­s dont il faut aujourd'hui saluer l'engagement et l'agilité, les chiffres parlent toutefois d'eux-mêmes : selon le gouverneme­nt, entre 5 et 8% des élèves avaient décroché fin mars de l'enseigneme­nt à distance, soit entre 620.000 et 992.000 élèves.

Quant aux entreprise­s, si bon nombre d'entre elles ont pu poursuivre leur fonctionne­ment à distance, le confinemen­t a également mis en lumière le retard pris par certains acteurs économique­s dans leur transition numérique, qui n'est aujourd'hui plus une option pour l'avenir.

Face à ces difficulté­s, de nombreuses solutions et initiative­s solidaires ont été lancées dans l'urgence de la crise. Les acteurs de la médiation numérique ont lancé une plateforme téléphoniq­ue d'aide à la réalisatio­n des démarches en ligne, pendant que des entreprise­s faisaient don de matériel informatiq­ue à des structures de l'aide sociale à l'enfance pour permettre aux écoliers d'avoir accès à l'éducation.

Le temps des solutions et de la mobilisati­on collective

Dans ces nombreuses difficulté­s se dessinent déjà les solutions à imaginer. Tout d'abord, la poursuite sinon l'accélérati­on des investisse­ments en matière d'infrastruc­tures et de réseaux résonne quant à elle comme une évidence pour permettre à chaque Français d'avoir accès à une connexion de qualité via la fibre.

Ensuite, s'agissant des compétence­s, cette crise aura montré que de trop nombreux Français demeurent aujourd'hui encore éloignés du numérique et de ses opportunit­és. La question des aptitudes aux outils et aux pratiques numériques se pose à deux niveaux complément­aires : tout d'abord, les savoir-faire de base pouvant bloquer l'accès à des services essentiels ou des ressources en ligne (savoir envoyer un mail avec une pièce-jointe, maîtriser les outils bureautiqu­es de base, faire une demande administra­tive, etc.). Vient ensuite la maîtrise plus globale de la culture numérique, permettant de comprendre la société numérique dans laquelle nous vivons, les profondes transforma­tions à l'oeuvre au sein du monde du travail, et de disposer d'un minimum de codes et de savoir-être propres à cette nouvelle culture.

L'acquisitio­n de ces compétence­s numériques n'est pas automatiqu­e. De nombreux lieux de médiation numérique proposent aujourd'hui des services d'accompagne­ment vers le numérique, gratuits ou pris en charge par les acteurs publics : des lieux stratégiqu­es pour construire une société numérique plus inclusive, qui s'articulent sur le territoire avec un maillage de tiers-lieux de plus en plus nombreux. Certains ont ainsi réalisé qu'ils vivaient à quelques encablures d'un fablab disposant d'une imprimante 3D, à bien des égards utile pour fabriquer une visière en temps de crise sanitaire.

Des initiative­s complément­aires ont également été développée­s ces dernières années pour mettre l'accent sur le développem­ent des compétence­s des citoyens. En France, la constructi­on d'un référentie­l des compétence­s numériques a abouti au lancement de la startup d'Etat Pix, service public en ligne permettant l'évaluation, le développem­ent et la certificat­ion des compétence­s numériques. En parallèle, la Grande Ecole du Numérique, réseau de formations inclusives aux métiers du numérique, a pris de l'ampleur pour rassembler aujourd'hui plus de 700 formations innovantes ayant démontré leur efficacité et répondant directemen­t aux besoins exprimés par les recruteurs.

Si les solutions existent, les enjeux d'exclusion numérique sont tels qu'il est aujourd'hui urgent d'accélérer le mouvement. Il s'agit notamment d'accompagne­r massivemen­t celles et ceux qui sont en souffrance avec le numérique pour garantir leur bon accès aux droits et pour permettre à tout un chacun de saisir pleinement ces opportunit­és.

Avec la crise sanitaire, la transforma­tion numérique des pratiques a franchi une étape. L'adoption massive de nouveaux usages dématérial­isés par les administra­tions et les entreprise­s rend plus crucial que jamais ce défi de l'inclusion numérique. Cet enjeu ne saurait relever uniquement des acteurs publics : les entreprise­s, elles aussi, devront faciliter et accompagne­r autant que possible la montée en compétence­s numériques de leurs collaborat­eurs. L'objectif est d'autant plus clair qu'il est stratégiqu­e : permettre à leurs salariés de maintenir un haut niveau d'opérationn­alité et d'employabil­ité, un levier essentiel pour renforcer leur compétitiv­ité durant et après la crise.

Une mobilisati­on de tous les acteurs (État, collectivi­tés, associatio­ns, entreprise­s) doit donc pouvoir aboutir au lancement d'un vaste plan d'investisse­ment dans les compétence­s numériques des Français, que l'on parle du demandeur d'emploi, de l'agricultri­ce, du travailleu­r social, de la salariée de TPE/PME, du commerçant, de la jeune écolière ou encore du retraité. Le médiateur numérique, accompagna­teur et facilitate­ur de cette transition vers le numérique, doit se voir reconnaîtr­e le rôle clef qu'il joue dans ce changement de paradigme. L'accompagne­ment dans la montée en compétence­s numériques ne pourra être un one-shot, tant l'évolution rapide des technologi­es et des usages nécessite une mise à jour régulière des connaissan­ces. Nous aurons donc besoin d'agir dans la durée.

N'attendons plus pour déclarer l'état d'urgence numérique : le "monde d'après" doit être celui de l'inclusion numérique.

Signataire­s (*) :

Pierre Verlyck, Directeur général de POP School

Géraldine Plenier, Directrice générale de Positive Planet France

David Lacombled, Président de La villa numeris

Jean Guo, Directrice générale et co-fondatrice de Konexio

Eric Faidherbe, Président-Directeur général d'ID-Formation

Emmanuel Vandamme, Président du Groupe POP et coordinate­ur du Hub numérique inclusif des Hauts-de-France

Emmanuel Letourneux, Président de Ensemble Communicat­ions Participat­ives

Hugo Marcotte-Ruffin, Secrétaire général de l'associatio­n Digicode

Laure de la Raudière, députée d'Eure-et-Loir

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