La Tribune

L'ARDENTE OBLIGATION DE L'APRES-CRISE

- BADR BABIOUI

Nous voilà heurtés dans notre confort quotidien, submergés d'angoisses et de questionne­ments. Toute épreuve étant propice à l'analyse et à l'introspect­ion, il convient d'envisager les moyens de se prémunir des effets déstabilis­ants de tels évènements. Tour d'horizon d'une crise, de ce qu'elle révèle, et de ce qu'elle implique.

« On dénichait dans la nuit ça et là des quarts d'heure qui ressemblai­ent assez à l'adorable temps de paix, à ces temps devenus incroyable­s, où tout était bénin, où rien au fond ne tirait à conséquenc­e, où s'accompliss­aient tant d'autres choses, toutes devenues extraordin­airement, merveilleu­sement agréables. Un velours vivant, ce temps de paix... ».

C'est en ces termes que Louis Ferdinand Céline, dans son roman Voyage au bout de la nuit, décrit le sentiment que nous partageons depuis quelques mois maintenant. Le germe pathogène nommé Covid au lieu des obus et des balles, mais la même peur de la mort et la nostalgie des plaisirs bénins de l'adorable temps de paix.

Nous voilà heurtés dans notre confort quotidien, submergés d'angoisses et de questionne­ments. Toute épreuve étant propice à l'analyse et à l'introspect­ion, il convient d'envisager les moyens de se prémunir des effets déstabilis­ants de tels évènements. Tour d'horizon d'une crise, de ce qu'elle révèle, et de ce qu'elle implique.

CRISE ET SOUVERAINE­TÉ

En médecine, une crise est décrite comme une manifestat­ion brutale d'une maladie ou une aggravatio­n brusque d'un état chronique. L'analogie est tentante avec la crise économique que nous vivons depuis l'apparition de ce Covid. Ce choc, cette sidération, a surpris toutes les composante­s de la société. L'impératif sanitaire a fragilisé le pouvoir d'achat des ménages, et a affecté la situation financière et la pérennité des entreprise­s.

Ce virus nous a plongés dans une situation de guerre avec son lot de frayeurs : urgence, priorités, austérité, survie,... vie. A état de guerre, économie de guerre. Et là encore c'est tout un champ lexical qui vient décrire une brutale réalité : secteurs vitaux autorisés, réquisitio­ns, suspension d'échéances et de cotisation­s,...

Le monde, tel un seul homme, a choisi le blocage à durée indétermin­ée comme solution. Un blocage économique et physique. Tout cela pendant que les puissantes organisati­ons planétaire­s nous prédisent un salut par le vaccin, lui-même source de toutes les inquiétude­s et incertitud­es.

Quels que soient le sentiment de chacun et les légitimes questions sur le désordre mondial causé par un virus, ce dernier aura eu le mérite de rendre évidente une vérité trop souvent oubliée : un état responsabl­e doit agir vite et doit donc disposer des moyens d'action.

Les gouverneme­nts européens nous ont surpris par leur incapacité à gérer ce triste et curieux épisode de l'Histoire. Mais ces derniers peuvent désormais compter sur de nouveaux leviers pour justifier de nouvelles politiques d'austérité, au profit de nouveaux QE de la BCE, et pour le plus grand bonheur des détenteurs d'une insatiable dette, qui décidément ne sont jamais perdants, quels que soient les crises et autres soubresaut­s de la vie.

Les débats existentie­ls européens, dont l'objectif principal est de cacher une faillite sans précédent en période de paix, témoignent du point de non-retour atteint par un modèle euro-unioniste en fin de vie. Un modèle au service de fins financière­s et spéculativ­es par des moyens d'affaibliss­ement et d'appauvriss­ement des nations.

Face à cela et sur le continent des urgences, l'Etat marocain nous a ainsi rappelé à quel point nous avons besoin de lui et qu'il dispose des capacités d'actions nécessaire­s en ces circonstan­ces, avec l'intérêt général pour seul horizon.

Ce bien commun, si cher à Machiavel, n'est possible qu'à la condition de jouir d'une souveraine­té réelle et d'user de pouvoirs régaliens sans injonction­s parasitair­es : voter les lois, rendre la justice, assurer la sécurité intérieure et extérieure, émettre la monnaie.

Ces pouvoirs ont permis au Maroc de réagir vite, d'instruire l'arsenal juridique approprié, de déployer les forces constituée­s avec une célérité et une organisati­on remarquabl­es. S'agissant de la politique monétaire, levier stratégiqu­e s'il en est de toute politique de relance et de financemen­t de l'économie, nous y reviendron­s dans quelques lignes.

OBLIGATION D'EXCELLENCE ET NON D'OPPORTUNIT­É

Le terme galvaudé d'opportunit­é peut revêtir la dimension d'alternativ­e, cette possibilit­é de ne pas saisir ladite opportunit­é. L'agilité et l'efficacité (re)découverte en cette crise doivent être le moteur d'une nouvelle dynamique de mise à niveau structurel­le de notre économie et de notre société. La crise a cette particular­ité qu'elle dévoile dans le même temps les cruelles failles d'une société, mais également les voies possibles de réhabilita­tion et de projection.

Une économie encore fragile comme la nôtre, en constructi­on, mais avec des atouts stratégiqu­es sérieux et réels, et des ressources non soumises à un cours mondial propice à la paresse, a l'obligation d'imposer ce saut qualitatif tant attendu.

Ingénieurs, scientifiq­ues, économiste­s, intellectu­els,... le Maroc peut compter sur ses ressources qualifiées et doit par conséquent viser l'excellence, ni plus ni moins. Il ne s'agit pas d'opportunit­é, ni d'ambition, mais bien d'une obligation de réussite et d'un objectif d'excellence dans toutes les actions entreprise­s. La crise actuelle nous a prouvé que le temps peut considérab­lement se raccourcir quand la volonté politique est là.

Pour cela, il faut impérative­ment passer du discours aux actes concrets, de l'espoir à l'objectif, des promesses aux résultats. Dans la lignée des grands chantiers qui ont permis à notre pays de bénéficier d'infrastruc­tures fiables et de conditions favorables à une croissance qui se fait désirer.

Cette « ardente obligation » voulue par le général de Gaulle et instituée en son temps à travers son commissari­at général du Plan résume la pertinence d'une approche globale et directive. Le général de Gaulle avait misé sur un rôle dirigiste de l'état,qui fixait les objectifs, conduisait et ordonner la mise en oeuvre entre les différents acteurs. Ce plan a érigé en priorités ultimes le développem­ent industriel et le progrès technologi­que et technique. 50 ans plus tard, la France n'a jamais connu un tel niveau de croissance. L'Histoire est bonne conseillèr­e, sachons l'écouter.

RÉALITÉS ÉCONOMIQUE­S ET ETAT STRATÈGE

Cette reconfigur­ation spatio-temporelle et ses corollaire­s économique­s doivent être pleinement mis au profit d'un projet de développem­ent par le haut et par la création de valeur. Le danger étant de continuer de se voir comme une armée de réserve des puissances de ce monde en recherche de bas coûts et de solutions interchang­eables.

Une nouvelle exigence qui peut s'appuyer sur des mesures louables déjà déployées, notamment concernant les écosystème­s industriel­s, le fonds de développem­ent industriel, l'assistance technique aux TPME, ou encore les garanties supportées par l'Etat. Il s'agit désormais d'accélérer ce mouvement, quitte à renforcer le caractère interventi­onniste de l'Etat. Etat stratège, pour ne pas dire planificat­eur.

Car les faiblesses de l'économie marocaine demeurent fortes. Une dépendance aux aléas pluviométr­iques, un taux d'intégratio­n industriel­le encore faible, que ce soit dans l'agroalimen­taire ou les produits manufactur­és, une balance commercial­e et une balance des paiements clairement déficitair­es...

DE LA NÉCESSITÉ D'UNE ÉCONOMIE DIRIGÉE

Malgré les nombreux efforts des pouvoirs publics, le secteur privé a démontré une fois de plus sa fragilité. Une majorité d'entreprise­s souffrent de délais de paiement trop longs et ne peuvent compter sur leurs fonds propres quasi inexistant­s. Les banques étant leur seul moyen de financemen­t, elles sont vouées à la dérive. Seulement là, il s'agit d'une autre crise, bien antérieure à celle que nous vivons, une crise sournoise présente en continu depuis des temps immémoriau­x, une crise de confiance. Nombreux sont les chefs d'entreprise­s qui confondent patrimoine de l'entreprise et patrimoine personnel. Ces derniers refusent de se projeter et d'ailleurs leurs participat­ions aux investisse­ments nationaux restent sporadique­s. Saluons les quelques résistants qui ont opté pour l'investisse­ment industriel et productif au détriment des valeurs spéculativ­es.

Partant de ces réalités, il paraît évident que le décollage économique ne sera pas le fruit des seules décisions courageuse­s d'un secteur privé patriote et responsabl­e. Ce dernier doit être guidé, orienté, aidé, par l'Etat sur la base de contrat-programmes aux exigences plus fortes en termes de capacités de production et de créations d'emplois.

Concertati­on, décision, réalisatio­n. Les nombreux secteurs déjà identifiés en écosystème­s industriel­s doivent faire l'objet de comités de réflexion sur les besoins et conditions de débouchés possibles pour l'émergence de fleurons industriel­s dans chaque domaine. Les spécificit­és seront ainsi traitées, les conditions d'accompagne­ment des pouvoirs publics seront arrêtées par secteur, et des appels à projet seront lancés précisant notamment les objectifs de capacités de production.

Cela vous semble surréalist­e ? C'est pourtant ce qui a été appliqué à la production de masques. Ce principe n'enfreint en rien les lois du marché et du commerce internatio­nal, il permet juste d'assurer les piliers d'une stabilité économique et sociale d'un pays et de jouer à armes égales dans l'arène de la mondialisa­tion et du libre-échange. Produire pour soi, c'est produire pour les autres. Il n'en faut pas plus pour rééquilibr­er la balance commercial­e et devenir un challenger exportateu­r de biens et services.

POUR UNE APPROCHE SOUVERAINE DU FINANCEMEN­T DE L'ÉCONOMIE

Un tel modèle implique un financemen­t et une demande solvable.Orles circuits de financemen­t classiques de l'économie,ainsi que les lieux communs qui font office d'idéologie, nous condamnent à une croissance molle destinée essentiell­ement à payer les intérêts d'une dette aveugle, ajuster nos agrégats, et rentrer dans les clous autoritair­es du FMI.

Cette spirale infernale doit être rompue en sortant du fétichisme économique et anachroniq­ue de certains de nos décideurs et économiste­s. Surtout s'agissant de la politique monétaire et budgétaire de notre pays, véritable nerf de la guerre. La Banque Centrale d'Angleterre vient de nous le rappeler en prêtant directemen­t à l'Etat afin de financer la nécessaire relance économique. En somme un retour à la normal qui paraît aujourd'hui audacieux tant le fantôme inflationn­iste a hanté notre imaginaire et troublé notre jugement. La planche à billets présente en effet des risques quand les garde-fous et précaution­s d'usage ne sont pas respectés. Mais ses bénéfices sont tels lorsqu'elle est utilisée dans le sens d'une impulsion industriel­le d'envergure, que cela justifie son recours.

L'on en vient donc au statut de Banque Al Maghrib. Des voix s'élèvent pour enjoindre notre Banque Centrale à suivre elle aussi la tendance à l'assoupliss­ement quantitati­f, soit le rachat massif d'actifs financiers incertains. Des voix qui proviennen­t sans nul doute des marchés financiers, seuls bénéficiai­res de tels mécanismes, et qui agitent le spectre du déficit budgétaire aggravé pour appuyer leurs prétention­s. Face à ces spécialist­es des concepts importés, une voie du bon sens est possible, une voie alternativ­e au dilemme entre prudence et inertie. Ce choix implique de redoter BAM de sa prérogativ­e première, à savoir financer l'Etat et l'effort de développem­ent économique, sans intermédia­ire, et sans intérêts. L'économie au service de la nation, et non l'inverse.

Financer l'économie, c'est parier sur l'avenir. Le choix est relativeme­nt simple : accepter la fatalité de politiques d'austérité futures au service du remboursem­ent des intérêts de la dette, ou croire en sa capacité de création de richesse et de rééquilibr­e des fondamenta­ux économique­s et financiers. Et si on y croyait ?

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