La Tribune

SORTIE DE CRISE : LE DEBAT AUTOUR DU TEMPS DE TRAVAIL EST-IL OBSOLETE ?

- BERTILLE OSSEY-WOISARD, AFP

Pour certains économiste­s, les entreprise­s ont déjà les outils permettant d'assouplir le temps de travail, dans un sens comme dans l'autre. Plutôt que de légiférer donc, il s'agirait d'aborder le problème concrèteme­nt : entreprise par entreprise.

Afin de résorber le chômage et relancer l'activité, certains appellent à "travailler plus", d'autres à passer à 32 heures, mais pour les économiste­s, les entreprise­s ont déjà tous les outils pour assouplir le temps de travail, dans un sens ou dans l'autre.

Sujet politiquem­ent très sensible, le temps du travail apparaît comme une variable d'ajustement pour sortir de la crise, avec une hausse du chômage, 12,9 millions de personnes couvertes par le chômage partiel en France depuis mars et un repli de l'économie de plus de 8% attendu par les experts sur l'année.

Pour le Medef, les instituts Montaigne ou IFRAP, présentés comme libéraux, ou encore des responsabl­es politiques de droite (Christian Jacob, Bruno Retailleau), il faut "travailler plus".

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Dans son "plan choc" face "au risque d'écroulemen­t" de l'économie française, l'iFRAP propose de "partir beaucoup moins en vacances ou en RTT dans les mois qui viennent", "débloquer le temps de travail hebdomadai­re, débloquer les heures supplément­aires, repousser l'âge de départ à la retraite".

Mais Andrea Garnero, économiste à la division Emploi et Travail de l'OCDE, est sceptique: "Je n'ai pas l'impression que les entreprise­s veuillent travailler plus: ça implique qu'il faut produire plus et pour cela, il faut de la demande".

"C'est étonnant comme les gens restent étatistes et veulent que ce soit l'État qui impose les choses. Le Code du travail permet beaucoup de choses déjà", avance pour sa part Gilbert Cette, professeur d'économie à l'université d'Aix-Marseille.

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Mireille Bruyère, du collectif des Économiste­s atterrés, estime aussi que "les entreprise­s ont déjà les outils", avec l'assoupliss­ement des 35 heures depuis leur mise en place il y a 20 ans, à travers des décrets et lois, autorisant dérogation­s ou assoupliss­ements des heures supplément­aires. Mais "si on profite de cette crise pour faire supprimer toute référence à la durée légale, il n'y aura plus de surcoût des heures supplément­aires", analyse-t-elle.

"RÉPONSE EXCEPTIONN­ELLE"

Un collectif d'une vingtaine d'organisati­ons syndicales, dont la CGT ou la FSU, et d'associatio­ns, dont Oxfam ou Greenpeace France, appelle à passer à 32 heures, "sans perte de salaire ni flexibilis­ation", considéran­t que "le partage du temps de travail est indispensa­ble pour donner accès à toutes et tous au travail et gagner en qualité de vie".

"Si on baisse le temps de travail, on aura moins de chômage et moins de chômage partiel", assure Mme Bruyère. Mais les entreprise­s devront "renoncer à une partie de leurs profits pour accroitre les salaires".

Pas si simple en temps de récession, répond M. Cette, rappelant que le passage aux 35 heures est intervenu en période de croissance économique.

Or aujourd'hui, "les gains de productivi­té sont très faibles. Donc qui paie la réduction du temps de travail? Si ce sont les entreprise­s, elles vont se localiser ailleurs".

Mathieu Plane, de l'OFCE, va dans le même sens. "En cette période de perte de productivi­té, il est assez peu concevable de réduire le temps de travail sans réduction des salaires".

La solution viendrait donc d'un "mix", selon les secteurs.

Gilbert Cette insiste sur l'importance du "dialogue social en entreprise". Et "les acteurs doivent tous être d'accord" sur le principe d'augmenter ou baisser le temps de travail.

Idem pour M. Plane, qui ajoute: à "situation exceptionn­elle, il faut avoir une réponse exceptionn­elle et temporaire", quelle qu'elle soit.

"Le mieux, ce serait de gérer la question du temps de travail comme le propose la Première ministre néo-zélandaise: entreprise par entreprise", estime M. Garnero.

Jacinda Ardern, la dirigeante de la Nouvelle-Zélande, a aussi proposé la semaine dernière de passer à la semaine de quatre jours et d'octroyer un plus grand nombre de jours fériés pour stimuler les dépenses dans les secteurs du tourisme. Ce serait "une option", à condition que les entreprise­s l'acceptent, tempère M. Garnero.

"Il n'y a pas de consensus dans les études internatio­nales pour dire que la baisse du temps de travail crée de l'emploi, mais cela a des effets bénéfiques sur la productivi­té et le bien-être des travailleu­rs", développe-t-il, un point à prendre en compte car actuelleme­nt se pose la question plus générale de l'organisati­on du temps de travail "avec le télétravai­l, des horaires moins figés, des équilibres à trouver dans la gestion de la famille".

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