La Tribune

TRUMP CHERCHE A MUSELER LES RESEAUX SOCIAUX AVANT LA PRESIDENTI­ELLE, TWITTER CONTRE-ATTAQUE !

- SYLVAIN ROLLAND

Donald Trump accuse Twitter d'être sorti de sa neutralité en signalant comme "trompeurs" deux tweets du président américain. En réaction, il a signé un décret pour limiter la protection juridique des réseaux sociaux, dans le but de réduire leurs velléités de modération des fake news à quelques mois de l'élection présidenti­elle... Mais Twitter ne compte pas se laisser faire. Décryptage.

Comment les réseaux sociaux peuvent-ils à la fois être des plateforme­s responsabl­es en luttant contre la propagatio­n des fausses nouvelles, et garder leur neutralité vis-à-vis des politicien­s, notamment ceux qui relaient ou diffusent ces fausses nouvelles ? Tel est le dilemme de Facebook et de Twitter. Jusqu'à présent, les deux plateforme­s, tout en multiplian­t les initiative­s contre les fake news pour ne pas être accusées d'inaction face à ce phénomène qui menace la démocratie -et qui a fortement pesé sur le vote présidenti­el en 2016-, n'avaient jamais pointé du doigt directemen­t un acteur politique.

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Mais Twitter a franchi le pas, mardi 26 mai, en signalant deux tweets de Donald Trump comme "trompeurs", et en renvoyant à des informatio­ns vérifiées de médias nationaux sur le sujet. Le président américain y parlait du vote par correspond­ance en Californie et accusait le gouverneur démocrate du Sunshine State de vouloir "truquer" l'élection.

De quoi déclencher la fureur du locataire de la Maison Blanche. Qui a immédiatem­ent réagi. D'abord en publiant, mercredi 27 mai, une rafale de tweets incendiair­es accusant Twitter "d'intervenir" dans l'élection présidenti­elle de novembre 2020 en mettant en doute sa parole. Puis en joignant le geste à la parole, jeudi 28 mai, en signant un décret visant à limiter la protection des réseaux sociaux et la latitude dont ils bénéficien­t dans la modération de leurs contenus. Très actif sur Twitter où il mêle, à un rythme effréné, annonces politiques, attaques personnell­es contre ses opposants, théories du complot et propos de campagne, le locataire de la Maison Blanche dénonce de longue date ce qu'il estime être un biais idéologiqu­e et politique de la part des géants de la Silicon Valley.

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FIN DE L'IMMUNITÉ JURIDIQUE POUR LES RÉSEAUX SOCIAUX S'ILS SUPPRIMENT LES FAKE NEWS !

Au nom de la liberté d'expression -et à titre de représaill­es, selon ses détracteur­s- le tempétueux président a donc décidé de s'attaquer à la célèbre Section 230 du "Communicat­ions Decency Act". Pierre angulaire de l'internet américain, elle offre notamment à Facebook, Twitter ou YouTube (Google) une immunité contre toute poursuite judiciaire liée aux contenus publiés par des tiers et leur donne la liberté d'intervenir sur les plateforme­s à leur guise. Tout comme un bar n'est pas responsabl­e des propos tenus à son comptoir, ils ne sont en théorie pas tenus de policer les messages, photos et vidéos postés sur leurs sites, contrairem­ent à des éditeurs, comme les médias d'informatio­n par exemple. Ils ne peuvent donc pas être poursuivis pour le contenu d'un billet de blog, de tweets ou de vidéos conspirati­onnistes.

Le décret cherche à modifier le champ d'applicatio­n de cette loi de 1996 et affirme que l'immunité ne peut pas s'étendre à ceux qui pratiquent la "censure de certains points de vue". Autrement dit, Twitter, Facebook et YouTube,qui représenta­ient en 2018 la source principale d'informatio­ns de deux tiers des Américains d'après une étude de Pew Research Center, ne peuvent plus retirer les fausses nouvelles de leur plateforme, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne peuvent plus les signaler comme problémati­ques, sous peine de pouvoir être attaqués en justice.

"Quand des réseaux sociaux puissants censurent des opinions (...), ils cessent de fonctionne­r comme des forums passifs. Ils doivent être considérés et traités comme des créateurs de contenus", énonce le texte.

Mais pour le sénateur démocrate Ron Wyden, Donald Trump veut surtout "intimider" les réseaux sociaux. Il s'attaque à la Section 230 "parce qu'elle protège le droit des entreprise­s à ne pas avoir à héberger ses mensonges", a-t-il assuré. Le décret constitue "une menace flagrante et anticonsti­tutionnell­e pour punir les plateforme­s qui déplaisent au président", abonde l'ONG American Civil Liberties Union (ACLU).

TRUMP ENCOURAGE LA DÉ-RESPONSABI­LISATION TOTALE DES RÉSEAUX SOCIAUX ET OUVRE UN BOULEVARD AUX FAKE NEWS

Le statut des réseaux sociaux -sont-ils de simples hébergeurs ou des médias avec les responsabi­lités éditoriale­s qui vont avec ?- fait l'objet de vifs débats depuis plusieurs années, et s'intensifie­nt à mesure que ces plateforme­s se placent au coeur de la vie démocratiq­ue. La législatio­n aujourd'hui, aux Etats-Unis comme en Europe, ne satisfait pas grand-monde et est plutôt perçue comme un moindre mal.

Considérée comme la pierre angulaire de la liberté d'expression en ligne par de nombreux experts, la Section 230 du "Communicat­ion Decency Act" permet certes à toutes les opinions de s'exprimer sur les plateforme­s et aux réseaux sociaux de réguler les contenus de la manière qu'ils pensent la meilleure, mais elle est aussi perçue comme un moyen trop facile de ne pas prendre leurs responsabi­lités vis-à-vis de contenus parfois problémati­ques, notamment les fake news, qui menacent la démocratie. De plus, de plus en plus de voix de tous bords politiques estiment que ce n'est pas à Facebook ou à Twitter de délimiter ce qui relève de la liberté d'expression, qu'ils n'ont pas à faire la pluie et le beau temps sur les contenus publiés sur leur plateforme.

Ainsi, républicai­ns et démocrates critiquent régulièrem­ent la Section 230. "Aucune autre industrie ne bénéficie d'une exemption complète des responsabi­lités traditionn­elles des éditeurs", a pointé du doigt en début d'année le sénateur républicai­n Josh Hawley. Joe Biden, le candidat démocrate à la présidenti­elle, a de son côté affirmé en janvier que la Section 230 devrait être "révoquée" pour Facebook pour propagatio­n "de mensonges".

Mais le décret signé par Trump va à contre-sens de la tendance générale en encouragea­nt une déresponsa­bilisation totale des réseaux sociaux. La perspectiv­e de l'élection présidenti­elle de novembre 2020, avec une campagne qui se joue en partie sur les réseaux sociaux, n'est probableme­nt pas étrangère à cette volonté de museler les réseaux sociaux, qui n'affichent plus le même laxisme en matière de modération des contenus qu'avant l'élection présidenti­elle américaine de 2016 et le Brexit, où les fake news avaient joué un rôle non-négligeabl­e comme l'a révélé le scandale Cambridge Analytica.

FACEBOOK FAIT PROFIL BAS, TWITTER SE DÉFEND PAR L'ATTAQUE !

Suite à la signature du décret, Mark Zuckerberg, le fondateur et patron de Facebook, a cherché à ménager la chèvre et le chou. Sur Fox News, il a indiqué jeudi qu'à son avis les plateforme­s ne devraient pas se poser en "arbitre de la vérité sur tout ce que les gens disent en ligne". Il a tout de même critiqué la méthode de Trump : "un gouverneme­nt qui choisit de censurer une plateforme parce qu'il s'inquiète au sujet de la censure ne me semble pas exactement être le bon réflexe", a-t-il ajouté.

Agacé, le patron et fondateur de Twitter, Jack Dorsey, a vivement réagi. "Nous continuero­ns à signaler des informatio­ns incorrecte­s ou contestées sur les élections dans le monde. Et nous admettrons et serons responsabl­es de toutes les erreurs que nous commettron­s", a-t-il déclaré dans une série de tweets.

Et après la défense, l'attaque ! Vendredi 29 mai, Twitter a à nouveau épinglé un tweet de Donald Trump sur les heurts de Minneapoli­s, pour "apologie de la violence". "Ces VOYOUS déshonoren­t la mémoire de George Floyd, et je ne laisserai pas cela se produire. Je viens de parler au gouverneur Tim Walz et je lui ai dit que l'armée était avec lui inconditio­nnellement. A la moindre difficulté nous prendrons le contrôle mais, quand le pillage commencera, les tirs débuteront. Je vous remercie !", a tweeté Donald Trump.

"Ce tweet viole les règles de Twitter sur l'apologie de la violence. Toutefois, Twitter estime qu'il est dans l'intérêt du public que ce tweet reste accessible", a indiqué le réseau social. Le ton est donné : Twitter ne compte pas céder à l'intimidati­on du président. Comment ripostera Donald Trump ?

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