La Tribune

FACE AUX CONSEQUENC­ES DE LA PANDEMIE, L'AFRIQUE OU LES AFRIQUES ?

- MOUSSA MARA

Facilité ou dilemme des analyses et autres « passionnés » du Continent, la tentation a toujours été grande de parler de l'Afrique comme d'un seul pays alors qu'il en compte 54 !

Dans presque tous les domaines et en différente­s occasions, le Continent est ainsi globalisé et simplifié avec la prétention de mieux en comprendre les dynamiques, prononcer des diagnostic­s et proposer des remèdes à ses difficulté­s. Diagnostic­s et remèdes d'autant plus légers et inappropri­és qu'ils reposent sur un tableau fort éloigné des réalités africaines. L'histoire, les conditions géoclimati­ques, les réalités sociocultu­relles du Lesotho sont aussi différente­s de celles de la Mauritanie que le Brésil est différent de la Nouvelle-Zélande ! L'économie sud-africaine a peu de points communs avec celle du Tchad, tant dans ses fondements, que dans sa vision ou encore son degré d'inclusion dans les chaînes de valeur mondiales. Il n'y a pas une Afrique, mais des Afriques !

Face à la pandémie du Covid-19, les mêmes généralité­s sont en passe de s'imposer en ce qui concerne les stratégies pour la gestion sanitaire de la crise, mais aussi et surtout face aux conséquenc­es économique­s de la pandémie, qui seront sans doute plus douloureus­es que ses impacts sanitaires. Dans ce dernier domaine, il apparaît évident que le Continent résiste mieux aux dégâts sanitaires du virus que l'Europe ou encore l'Amérique. Si le nombre de cas positifs est sans aucun doute très fortement minoré du fait de la modestie du nombre de tests, le nombre de malades et de décès en Afrique est fort éloigné de ce qui est constaté ailleurs. Les études scientifiq­ues permettron­t d'expliquer cela, mais le constat est incontesta­ble.

En revanche, sur le plan économique, la situation est tout autre. Il est attendu en Afrique une récession de 5% en 2020 et des pertes d'au moins 20 millions d'emplois là où il aurait fallu en créer au moins 15 millions, d'où un déficit de plus de 35 millions d'emplois et un accroissem­ent de la pauvreté pour près de 15% de la population du Continent. Cette situation masque mal des disparités importante­s. Quand des pays comme la Côte d'Ivoire, le Kenya, le Ghana ou encore le Rwanda maintiendr­ont leur économie à peu près aux niveaux de l'année 2019, les géants africains que sont l'Afrique du Sud (-7%), l'Egypte (-5%), l'Angola (-9%) ou l'Algérie (-9%) connaîtron­t de véritables crises économique­s avec des conséquenc­es sérieuses en matière de développem­ent humain. Les pays vivront de ce fait des situations contrastée­s. Au sein de chaque pays, et en fonction des zones géographiq­ues et des secteurs économique­s, l'impact économique de la pandémie ne sera pas le même.

L'attitude des gouverneme­nts africains face à la crise présente en conséquenc­e des différence­s liées à ce contexte. La reconfigur­ation des charges, les économies consenties en faveur des dépenses sociales, le recours à l'endettemen­t pour soulager les acteurs économique­s ou encore la sollicitat­ion des institutio­ns multilatér­ales de développem­ent figurent parmi les moyens utilisés par de nombreux Etats. Certains autres, notamment les plus connectés aux marchés financiers internatio­naux, ont utilisé d'autres leviers de financemen­t pour obtenir des ressources additionne­lles. L'exposition financière des Etats africains, la structure de leur endettemen­t et la typologie de leurs créanciers présentent de ce fait des disparités à ne pas négliger. En raison de cela, les gouverneme­nts n'ont pas la même attitude face aux initiative­s d'allègement de la dette. Quand le Mali ou le Sénégal sont très heureux de recevoir un dispositif de report d'échéances de leurs passifs, le Kenya lui refuse ce système, car il entraînera­it automatiqu­ement la baisse de la notation de ses dettes souveraine­s et donc le renchériss­ement des taux d'intérêt de ses prochains emprunts sur les places financière­s.

La situation économique contrastée en Afrique impose des réponses variées et adaptées. Un plan d'allègement uniforme de la dette ou un afflux massif de ressources sur le Continent, à répartir entre les Etats, ne seraient pas aussi efficace qu'espéré ! Il convient d'adapter les instrument­s aux contextes et aux spécificit­és des pays.

C'est ainsi qu'il serait souhaitabl­e d'agir en plusieurs phases. La première sera de régionalis­er le soutien aux Etats. Il est nécessaire d'agir à l'échelle des cinq régions du Continent. Les Etats y ont des profils homogènes et quelques fois complément­aires. La seconde étape sera de confier à l'organe politique d'une part, et aux institutio­ns financière­s régionales idoines d'autre part, les rôles de conseil aux Etats dans leurs rapports avec le dispositif internatio­nal de soutien économique. Pour l'Afrique de l'Ouest par exemple, on retiendrai­t la Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) d'une part sur le plan politique, la Banque Ouest Africaine de Développem­ent (BOAD) et la Banque Africaine de Développem­ent (BAD) d'autre part sur le plan économique. Ces Institutio­ns travailler­ont avec les Etats et avec le dispositif du G20 pour obtenir des interventi­ons adaptées et efficaces. Elles incorporer­ont également une dimension régionale à leurs actions et solliciter­ont les partenaire­s internatio­naux pour qu'au moins une partie des ressources soit orientée vers le financemen­t des infrastruc­tures de connectivi­té, de production et de transport d'énergie notamment renouvelab­le ainsi que de l'intégratio­n économique des régions africaines, directemen­t gérées par les communauté­s économique­s régionales. Cela permettrai­t de retenir l'effet de la crise actuelle comme une opportunit­é vers davantage d'intégratio­n et de renforceme­nt des fondamenta­ux économique­s du Continent.

Ce dispositif devra également intégrer des aspects de gouvernanc­e et de transparen­ce afin de rassurer les partenaire­s au plan de l'utilisatio­n efficiente des ressources obtenues. La gouvernanc­e sous-entendra également les réformes endogènes permettant de renforcer les capacités intrinsèqu­es de chaque Etat, en vue d'asseoir sa résilience face à d'éventuelle­s nouvelles crises ou la persistanc­e de la pandémie sur le Continent, hypothèse à ne pas écarter.

L'Afrique est diverse et variée. Oublier cela reviendrai­t à multiplier les incantatio­ns et à concevoir des stratégies et des actions individuel­les pays non adaptées, comme cela est constaté actuelleme­nt. Il faut avoir l'humilité de le reconnaîtr­e, et imaginer des systèmes de mutualisat­ion innovants de certaines politiques, à l'échelle régionale, tout en accompagna­nt les pays dans leurs démarches spécifique­s. C'est le moyen de ne pas perdre l'opportunit­é que constitue la crise actuelle vers une plus grande intégratio­n continenta­le et, en même temps, un renforceme­nt des capacités productive­s de chaque pays.

www.moussamara.com

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