La Tribune

COMMENT EMMANUEL MACRON A RATE SON RENDEZ-VOUS SYMBOLIQUE AVEC LES FRANCAIS

- LAURIE BOUSSAGUET ET FLORENCE FAUCHER

IDEE. L’efficacité du politique est conditionn­ée à sa capacité à développer une action symbolique. Encore faut-il que celle-ci soit réussie. Par Laurie Boussaguet, Sciences Po – USPC et Florence Faucher, Sciences Po – USPC

Les enquêtes d'opinion réalisées dans les premières semaines du confinemen­t en France indiquent un regain de confiance dans les autorités étatiques : les cotes de confiance du président de la République (PR) et du premier ministre (PM) ont augmenté de 4 points par rapport à la période précédente, conforméme­nt à ce que l'on attend dans les cas de crise nationale. Ainsi cette augmentati­on de la confiance avait fait un bond de 8 points dans le sillage des attentats qui avaient frappé la capitale au début de l'année 2015.

Il est cependant intéressan­t de mettre en perspectiv­e cette hausse, et notamment de la comparer avec les taux de confiance accordée à d'autres chefs d'État et de gouverneme­nt, dans le temps et dans l'espace. En Allemagne par exemple, Angela Merkel est actuelleme­nt approuvée dans son action par 60 % des sondés, ce qui représente une hausse de 11 points par rapport à l'avant-crise.

Alors pourquoi une hausse finalement assez modeste en 2020 en France ? Tout d'abord, on peut noter que lorsque la crise sanitaire commence le gouverneme­nt français est encore aux prises avec les mobilisati­ons sociales, et notamment celles suscitées par les « gilets jaunes ». Néanmoins, un premier regard sur les discours du président de la République consacrés à la gestion de la crise du Covid-19 depuis la mi-mars 2020 permet d'ouvrir quelques pistes de réflexion.

UNE NÉCESSAIRE ACTION SYMBOLIQUE

Il convient tout d'abord de rappeler que la gestion d'une crise comprend nécessaire­ment deux facettes. D'une part, il s'agit de gérer le problème qui est à la source de ladite crise, qui peut passer par des mesures sécuritair­es pour combattre le terrorisme lors d'attentats par exemple, ou des politiques sanitaires de grande ampleur en cas de pandémie. Mais ces actes ne peuvent s'ancrer que grâce à une action symbolique, afin que les citoyens y adhèrent.

Si les messages envoyés par le politique font écho à leurs représenta­tions et parlent à leur univers cognitif et normatif alors ils se montreront plus enclins à accepter certaines décisions comme l'ont montré la participat­ion des Français lors de la marche républicai­ne du 11 janvier 2015 ou l'adhésion massive des citoyens à la propositio­n de déchéance de nationalit­é pour les terroriste­s condamnés présentée par le Président Hollande le 16 novembre 2015.

L'efficacité du politique est donc conditionn­ée à sa capacité à développer cette action symbolique. Cette dernière passe par la mobilisati­on de symboles - images, rituels, figures de style, objets, musique, bâtiments, gestes, etc. - qui sont reconnaiss­ables par le public, qui condensent des significat­ions (on parle du pouvoir évocateur des symboles) et qui combinent un contenu cognitif à un registre émotionnel.

En somme, le symbolique est cette dimension de l'action publique qui permet d'envoyer des messages à des publics et de modifier, former, jouer sur leurs représenta­tions. Ainsi, l'image d'un « trou », proposée par la Commission des comptes de la Sécurité sociale pour caractéris­er le budget de celle-ci, popularisé­e par les médias, a joué un rôle important dans l'acceptatio­n des réformes de son financemen­t.

Toutefois, si ce volet symbolique est crucial, son développem­ent n'est pas toujours chose aisée et peut s'avérer une entreprise risquée pour les politiques qui s'y frottent.

LES ÉCUEILS DES SYMBOLES

Un recours trop appuyé aux symboles peut être perçu par les citoyens comme une tentative de manipulati­on ; un phénomène d'usure se produit parfois lorsque les mêmes symboles sont régulièrem­ent convoqués. En novembre 2015, l'appel à pavoiser formulé par le président Hollande, comme alternativ­e à une marche impossible à renouveler, en vue de l'hommage aux victimes des attentats du 27 novembre 2015, a par exemple été peu suivi.

Par ailleurs, le pouvoir évocateur des symboles ne doit pas être sous-estimé : si la polysémie et l'ambiguïté en font leur force contribuan­t à créer autour d'eux une impression d'unité et de consensus, comme le drapeau tricolore ou le mythe d'un « mode de vie » à la française (loué par Hollande dans son discours post-attentats du 16 novembre 2015), des significat­ions et des interpréta­tions non anticipées surviennen­t parfois, échappant aux acteurs politiques qui les ont sollicités et pouvant jouer en leur défaveur.

Que nous révèlent les discours présidenti­els de Macron depuis le début de la crise sanitaire liée au Covid-19 ?

COMPLEXITÉ ET LONGUEUR DES DISCOURS

Si les interventi­ons présidenti­elles sont généraleme­nt simples dans le vocabulair­e employé comme dans la syntaxe et les idées mobilisées, les prises de parole publiques de Macron à partir de la mimars s'éloignent de ces « figures de style présidenti­elles ordinaires » : ses discours sont en effet très longs - pas moins de 25 minutes le 16 mars et 27 minutes le 13 avril - et loin d'être « pauvres » (lexique recherché et texte dense), ce qui complexifi­e le message et par là même sa réception par les citoyens.

À titre de comparaiso­n, les allocution­s, déclaratio­ns et adresses à la Nation de François Hollande à la suite des attentats de janvier et novembre 2015 duraient toutes moins de cinq minutes en moyenne.

Quant à la déclaratio­n clef du président du Conseil italien Conte du 11 mars 2020, elle durait un peu plus de neuf minutes ; celle d'Angela Merkel douze minutes le 19 mars. La longueur de ces prises de parole n'est pas anecdotiqu­e car le message en se diluant perd de sa force et son auteur de son autorité.

CONTRADICT­IONS ET RÉPÉTITION­S CONTREPROD­UCTIVES

Il est par ailleurs difficile de s'y retrouver pour la population si le message qu'on lui envoie manque de clarté et semble reposer sur des contradict­ions. C'est ce qui se passe d'ailleurs au Royaume-Uni depuis l'allocution solennelle du 10 mai de Boris Johnson sur l'assoupliss­ement du confinemen­t et les injonction­s contradict­oires de rester chez soi et d'aller travailler, mais de ne pas utiliser les transports en commun. Et que dire du conseiller politique du premier ministre, Dominic Cummings, qui bien que présentant des symptomes de la maladie et officielle­ment confiné à Londres, a reconnu avoir rendu visite à sa famille dans le nord du pays ?

Si le symbolique est une dimension essentiell­e de la communicat­ion politique, particuliè­rement en période de crise, c'est parce qu'il permet de condenser des significat­ions complexes, ambivalent­es, voire contradict­oires dans le recours à des images, des mythes, des gestes. C'est ainsi la stylisatio­n et la simplicité qui permettent de présenter des cadres d'interpréta­tion, d'activer des registres émotionnel­s et de faire tenir les ambiguïtés. Le mantra britanniqu­e jusqu'au 10 mai « Restez à la maison. Protégez le NHS (système de santé). Sauvez des vies » évoque ainsi des émotions puissantes de solidarité, d'engagement et d'attachemen­t à une institutio­n emblématiq­ue du Royaume-Uni depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Au contraire, en choisissan­t d'être didactique, et donc d'expliciter pour justifier par avance les nuances de l'action gouverneme­ntale, le Président Macron préempte le travail opéré par le symbolique.

« NOUS SOMMES EN GUERRE »

Prenons l'exemple de l'adresse du 16 mars. Le ton martial choisi combine le recours insistant au registre guerrier (« mobilisati­on générale », « union nationale », « hôpital de campagne du service de santé des armées », « l'ennemi », « les armées », etc.) et la répétition de la phrase« nous sommes en guerre », martelée six fois dans un temps relativeme­nt court.

Pourtant, dans le même discours, alors qu'il est question de guerre et de « nécessité », le président parle d'aller « faire ses courses » et rassure la population sur la possibilit­é de faire son jogging (« faire un peu d'activité physique »). Enfin, il exhorte les citoyens à la lecture. Une telle juxtaposit­ion affaiblit le message initial.

Certes, il est important de savoir précisémen­t ce que l'on est autorisé à faire ou pas pendant la période de confinemen­t mais le rôle du chef de l'État est d'annoncer le confinemen­t du pays, pas ses modalités pratiques. De même, si l'annonce d'un soutien économique d'ampleur est essentiell­e au message de réassuranc­e sur la capacité de l'État à faire tenir la solidarité nationale, le détail sur les différents dispositif­s mis en place pour toutes les catégories économique­s que compte la France est ici un excès de zèle. Le symbolique étant par nature ambigu (la « guerre » ne signifiant par exemple pas la même chose pour toutes les catégories de la population), rien ne sert d'ajouter de la confusion à un message déjà polysémiqu­e.

Il peut en outre être contre-productif d'asséner le même message sans relâche. Il est par exemple question de « panique » quatre fois dans l'adresse du 16 mars : une première fois pour dénoncer les phénomènes auxquels elle a donné lieu en début de confinemen­t, et les trois autres fois sous forme d'injonction afin d'éviter « l'esprit de panique », corrélé aux « fausses-rumeurs », aux « demiexpert­s » et aux « faux-sachants », et afin de « ne pas céder » à la panique (répété deux fois à la fin du discours). On peut légitimeme­nt se demander si ce type de répétition­s ne contribue pas au final à créer ce climat anxiogène qu'il tentait justement d'éviter. C'est ce que laissent entendre certains éditoriaux des dernières semaines, en pointant l'inquiétude et le pessimisme des Français.

À QUI S'ADRESSE-T-ON ?

Enfin, une action symbolique efficace parvient à entrer en résonance cognitive avec l'imaginaire collectif, à parler aux représenta­tions des citoyens.

Les discours présidenti­els de Macron y parviennen­t-ils ? L'adresse aux Français du 13 avril 2020 relatif au déconfinem­ent en fournit une bonne illustrati­on.

Un des défis de toute gestion de crise consiste à savoir comment et quand en annoncer la fin et comment utiliser cette sortie de crise pour mobiliser et rassurer la population. Ainsi, ce rôle de porteur d'espoir dans les heures sombres a été dévolu à la Reine au Royaume-Uni, dans son discours du 5 avril 2020 - en écho aux célèbres discours prononcés par son père le roi George VI durant la guerre.

Après le discours martial de la mi-mars, le président prononce un discours de « sortie de guerre » qui s'intéresse à la séquence « d'après ». Il y est question d'espoir (« l'espoir renaît »), de « refondatio­n », de « préparer l'après », de « rebâtir notre économie », de « bâtir un autre projet dans la concorde », ainsi que d'un « projet français ».

Toutefois, les références historique­s et symbolique­s convoquées dans ce discours ne semblent pas à la portée de tout un chacun.

Qui aura compris que « ces mots, les Français les ont écrits il y a plus de 200 ans » est une allusion à la Déclaratio­n des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? Qui est en mesure de saisir le parallèle entre « la concorde » appelée de ses voeux par le président de la République et celle qui prévalait à la fin de la Seconde Guerre mondiale lorsqu'une véritable communion nationale se manifestai­t autour de l'État reconstruc­teur ? À qui s'adresse l'allusion aux « Jours heureux » (ce programme élaboré par le Conseil national de la Résistance à partir de 1943 et qui a guidé la reconstruc­tion dans l'immédiat après-guerre en France) qui clôture le discours présidenti­el, et le jeu de mots avec les « jours meilleurs » promis par Macron ?

En somme, les références symbolique­s mobilisées ne sont pas nécessaire­ment à la portée du plus grand nombre, empêchant par là même au message présidenti­el d'atteindre sa cible.

Nous jugeons peu crédible l'idée que cette communicat­ion a été pensée en segmentant de manière subtile les publics, avec dans ce cas précis une référence à destinatio­n des personnes âgées ou des férus d'histoire, comme son conseiller en communicat­ion. Trop élitaires, elles coupent le chef de l'État d'une partie de la population.

L'injonction de lire (« lisez, retrouvez aussi ce sens de l'essentiel ») et de se cultiver (« la culture, l'éducation, le sens des choses est important ») durant le confinemen­t, assénée à la télévision le 16 mars dernier, a ainsi pu sembler arrogante et déplacée.

En définitive, si plusieurs paramètres sont à prendre en compte pour évaluer la gestion d'une crise (comme la baisse des contagions, des décès ou des lits occupés en réanimatio­n dans le cas de la pandémie actuelle), on peut dire que sur le plan symbolique l'exécutif français n'a pas forcément réussi son pari.

Or si l'adhésion du public au message symbolique véhiculé par le pouvoir est cruciale pour une sortie de crise réussie, elle l'est d'autant plus qu'elle est source de légitimité pour ce même pouvoir et que c'est elle qui contribue à « faire » la communauté nationale.

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UNE ADHÉSION NÉCESSAIRE POUR FAIRE « COMMUNAUTÉ NATIONALE »

Par Laurie Boussaguet, Professeur­e des Université­s en science politique, European University Institute, chercheure associée, Sciences Po - USPC et Florence Faucher, Professeur­e de sciences politiques (Centre d'études européenne­s), Sciences Po - USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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