La Tribune

10EME ANNIVERSAI­RE DE LA LOI SUR LE GRAND PARIS: « LE METRO AVANCE BIEN MAIS... »

- CESAR ARMAND

Dans les coulisses du Grand Paris depuis près de vingt-cinq ans et auteur du livre "Les secrets du Grand Paris" (Hermann), Pascal Auzannet retrace le chemin parcouru depuis la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.

Conseiller technique du ministre des Transports Jean-Claude Gayssot sous le gouverneme­nt Jospin, directeur du développem­ent et de l'action territoria­le, puis directeur du RER à la RATP, directeur de la mission de préfigurat­ion du Grand Paris, auteur de rapports pour les gouverneme­nts Fillon et Ayrault, président de RATP Smart Systems et depuis peu, consultant en stratégie, management et mobilité, Pascal Auzannet vient de publier une version actualisée de son livre Les secrets du Grand Paris - Zoom sur un processus de décision publique (Hermann, 2018).

LA TRIBUNE - La loi du grand Paris fête ses 10 ans aujourd'hui. Comment ce projet du siècle a t-il émergé ?

PASCAL AUZANNET - Ce projet a été initié par l'État sous la présidence de Nicolas Sarkozy avec son discours fondateur du 29 avril 2009 à Cité de l'architectu­re et du patrimoine. Un peu plus d'un an après, la loi sur le Grand Paris était adoptée. Après le Paris du baron Haussmann, le métro de Fulgence Bienvenüe et le schéma directeur de Paul Delouvrier avec les RER et les villes nouvelles, la Région capitale bénéficie d'une vision permettant de répondre aux enjeux du 21ème siècle. Pour sa définition, l'implicatio­n des ministres chargés du Grand Paris, Christian Blanc et Maurice Leroy, qui se sont succédé, a été déterminan­te. Ce projet a été confirmé après deux alternance­s politiques, en 2012 et 2017. La réalisatio­n du futur métro - 200 km avec 68 gares - est réellement en marche. Une quinzaine de tunneliers est en activité. Bientôt, il y en aura une vingtaine.

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La promesse du projet urbain, social et économique d'intérêt national s'appuyant sur la création d'un réseau de transports publics de voyageurs est-elle tenue ?

Les promesses du Grand Paris portent aussi sur l'aménagemen­t du territoire francilien, le rééquilibr­age est-ouest, la lutte contre la fracture territoria­le, la mixité sociale, la densité urbaine autour des gares du Grand Paris. Leurs concrétisa­tions constituen­t l'acte II du Grand Paris. Évidemment, il est encore trop tôt pour faire le bilan, mais de premières tendances sont constatées. Avant la crise du Covid-19, le rythme de constructi­on de logements était au rendez-vous - l'objectif des 70.000 construits par an a été largement dépassé - les constructi­ons autour des gares se sont concrétisé­es avec une densité en augmentati­on de 20 % pour les 2/3 d'entres elles.

Mais il y a parfois des contre-exemples. Le rééquilibr­age dans la constructi­on de logements sociaux va aussi dans le bon sens mais ce n'est pas systématiq­ue. Dans le même temps, on constate que le développem­ent des activités est plus fort à l'ouest avec un meilleur rythme de réalisatio­n. La répartitio­n des chantiers de bureaux est de ce point vue éclairant : 19 % dans le secteur nord-est, 23 % à Paris et 58 % à l'ouest. Il y a aussi un risque de gentrifica­tion identifié, avec un renforceme­nt et une diffusion de la richesse dans les territoire­s aisés et un appauvriss­ement des secteurs modestes.

À terme, il y a un risque que les population­s les plus défavorisé­es continuent d'habiter à l'est et les plus aisées à l'ouest. Mais, les résidents de l'est bénéficier­ont d'une notable améliorati­on de l'accessibil­ité aux emplois et à la formation. C'est très bien mais ce n'est pas l'objectif initial.

Sans parler de l'enchevêtre­ment institutio­nnel : la Région, la Métropole, créée ex-nihilo en 2016 avec ses douze territoire­s, les départemen­ts, les communes et Paris ! L'an dernier, Christian Blanc admettait qu'il n'avait pas fait de propositio­ns à Nicolas Sarkozy sur la gouvernanc­e, alors que c'était dans ses attributio­ns...

N'oublions pas effectivem­ent que le Grand Paris a été imaginé et défini sans modifier la gouvernanc­e du mille-feuille administra­tif de l'Île-de-France. C'était une décision assumée : le projet d'abord. Et heureuseme­nt que cet ordre a prévalu, sinon les travaux des 200 km de métro n'auraient toujours pas commencé. D'ailleurs, la réforme institutio­nnelle annoncée par le président Macron a été reportée à plusieurs reprises, faute de consensus.

Pour autant, l'aménagemen­t du territoire ne peut pas résulter que des seules lois de l'économie de marché. Une régulation publique est nécessaire car l'enjeu est considérab­le. En considéran­t un rayon de 800 mètres autour des gares, cela fait 140 km². Soit 1,4 fois la superficie de Paris. Fort heureuseme­nt, il y a beaucoup de maires bâtisseurs. Mais l'État, qui a été à l'initiative du Grand Paris, doit être partie prenante et se donner les moyens d'intervenir quand des options contraires aux promesses du Grand Paris apparaisse­nt. Il en a les leviers. Et bien sûr, rien ne se fera sans l'implicatio­n des élus.

Depuis l'accord de janvier 2011, qualifié « d'historique », piloté par Maurice Leroy et signé par l'État et les présidents de la région et de tous les départemen­ts, le projet bénéficie en effet d'un fort soutien dans les territoire­s. Cet ancrage territoria­l du Grand Paris Express a fortement participé à sa poursuite et sa consolidat­ion. Malheureus­ement, l'implicatio­n de l'État a manqué de rigueur et de suivi. C'est d'ailleurs ce qu'a fortement relevé le rapport de la Cour des comptes de 2017.

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La décision du Premier ministre Édouard Philippe et de la ministre à l'époque des Transports Élisabeth Borne d'arrêter le calendrier en 2018 a-t-elle permis de relancer la machine ?

En fait, le retour de l'État dans le jeu a surtout été marqué par un pilotage de Matignon. Avec une forte implicatio­n de la présidente de la région, Valérie Pécresse. Et toujours des territoire­s bien sûr. C'est à ce moment que la gouvernanc­e de la Société du Grand Paris (SGP) a été revue et que l'État a renforcé significat­ivement ses moyens.

Les équipes de la SGP sont pleinement mobilisées et leur dimensionn­ement a été revu fortement à la hausse, ce qui était absolument nécessaire. Dans le même temps, des financemen­ts nouveaux ont été créés. Les revenus de plus de 700 M€ par an et un niveau d'endettemen­t autorisé - 35 milliards - de la SGP sont autant de leviers pour la réussite du projet. Notamment pour la qualité de sa maîtrise d'ouvrage. La feuille de route est claire, avec des calendrier­s précis pour la réalisatio­n du futur métro.

Est-ce que tout sera prêt pour 2030 selon vous ?

Oui, mais il faut que la SGP continue de disposer des moyens nécessaire­s et qu'elle reste en dehors d'éventuelle­s turbulence­s politiques. D'ailleurs, 2030, c'est l'horizon que j'avais proposé dans mon rapport remis au gouverneme­nt en décembre 2012. Évidemment il y a toujours les aléas des travaux qui peuvent réserver des surprises.

À propos de travaux, l'urbanisme transitoir­e explose depuis le déconfinem­ent. Une chance pour la plurimobil­ité autour des 68 futures gares ?

Indépendam­ment de la crise sanitaire, la stratégie des mobilités doit être revisitée en regard de l'enjeu majeur de gestion de l'espace urbain. Ce dernier représente un stock de capital public rare et d'une valeur économique élevée. Tant à Paris qu'autour des 68 gares du Grand Paris Express. Cela signifie qu'il convient d'inciter l'usage des modes les plus économes en voirie, en particulie­r le vélo qui consomme 4 à 5 fois moins d'espace que la voiture, tout en ayant un impact environnem­ental nul. Avec une vitesse identique de l'ordre de 15 km/h.

Les 200 km du futur métro rajoutés aux réseaux actuels constituen­t l'ossature du système des transports en Île-de-France. Indispensa­ble pour la desserte des pôles économique­s, les déplacemen­ts radiaux et de rocades. Mais il y aussi tout le réseau capillaire, d'autant plus important que la densité urbaine est élevée. À titre d'exemple, à Paris, la distance moyenne des déplacemen­ts mécanisés est de 3,3 km. Le concept de complément­arité transport collectifs voiture particuliè­re est aujourd'hui dépassé.

Pourquoi ?

Nous assistons depuis plusieurs années à l'émergence de nouvelles mobilités avec le vélo, les trottinett­es et toute la panoplie des modes doux. Cela participe à une ville plus apaisée et conviviale et doit être encouragé en particulie­r avec des pistes cyclables sécurisées. C'est d'ailleurs ce que font les collectivi­tés locales. Une politique de déplacemen­t doit considérer tous les modes sans exception et favoriser les plus pertinents selon les zones géographiq­ues, les distances parcourues et l'heure de la journée.

La révolution numérique peut-elle accélérer cette tendance ?

Oui, avec les plateforme­s numériques de type MaaS (Mobility as a Service). Mais avec des algorithme­s d'intérêt général. C'est aussi l'opportunit­é de sortir des offres d'applicatio­n organisées en silos avec pour chacune d'elles un modèle économique afin de préconiser un déplacemen­t multimodal : voiture + métro, puis vélo... en intégrant l'ensemble des critères participan­ts à l'optimum pour la collectivi­té. La régulation est alors basée sur des algorithme­s qui prennent en considérat­ion les coûts privés, les coûts publics et les temps passés dans les déplacemen­ts.

Ainsi, selon l'heure de la journée, les options les plus pertinente­s seront proposées. Par exemple : la voiture particuliè­re aux heures creuses, les transports collectifs aux heures de pointe et en centre urbain, le vélo ou la trottinett­e pour un déplacemen­t court. Dans le même esprit, les probabilit­és de saturation des réseaux pourraient être anticipées pour certaines périodes de la journée.

Et le vélo pourra être privilégié si une piste cyclable longe une ligne de métro ou de tramway saturée - la crise sanitaire du Covid-19 a fortement mis en exergue cette option. De ce point de vue, le vélo et les modes doux constituen­t un excellent levier pour réduire la saturation des réseaux de transports collectifs particuliè­rement coûteuse pour les opérateurs de transport.

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Quid de la tarificati­on d'un tel bouquet de services ?

Afin de favoriser le choix des utilisateu­rs, la tarificati­on peut être incitative, adaptative et différenci­ée, afin de favoriser les modes les moins coûteux pour la collectivi­té. Concrèteme­nt, avec un forfait mensuel ou annuel permettant d'utiliser la panoplie des modes sélectionn­és par l'autorité organisatr­ice, l'utilisateu­r pourra bénéficier de réductions lorsqu'il privilégie ses déplacemen­ts en dehors des heures de pointe, les modes de transport économes en consommati­on d'espace urbain et à faibles impacts environnem­entaux. En d'autres termes, la révolution du numérique est un levier pour le Grand Paris de toutes les mobilités.

Dans le même temps, cette régulation permise grâce à cette plateforme numérique est une opportunit­é d'une refonte nécessaire des politiques tarifaires. Seul le secteur public peut s'inscrire dans une telle démarche. Pas tout à fait le modèle économique des GAFA. Il appartient donc aux autorités organisatr­ices de la mobilité de se mobiliser sur cet enjeu.

Pour l'Île-de-France, il y a peut-être une opportunit­é pour la Métropole du Grand Paris de jouer un rôle dans l'organisati­on des mobilités de surface. Parce que les communes qui la composent ont déjà la compétence de la gestion de l'espace urbain. Tout ceci doit se faire en bonne intelligen­ce avec l'autorité organisatr­ice régionale, Île-de-France Mobilités.

Propos recueillis par César Armand

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