La Tribune

COMMENT MANAGER LES PME ET LES TPME EN DIFFICULTE EN TEMPS DE CRISE COVID-19 ?

- PHILIPPE DUBOST, ADNANE MAALAOUI ET MARIEM BRAHIM

La pandémie a eu des effets énormes sur la santé mais également sur le tissu des PME/TPME. Par Philippe Dubost, Adnane Maalaoui et Mariem Brahim (*).

L'Etat a choisi de faire passer le social avant l'économique. Ce choix a entrainé des fermetures d'un grand nombre d'entreprise­s et de nombreux licencieme­nts. Tous les médias sont unanimes et pensent qu'il faut s'attendre à un chaos économique. Un tsumani sur le plan économique est-il à prévoir ?

Pourquoi se poser cette question ? Quand on sait que 20% de la masse salariale des 14 millions d'actifs en France sont employés par les TPE et que 49 % de la masse salariale provient des PME. C'est au cours des 6 derniers mois que les deux-tiers des recrutemen­ts des PME ont eu lieu, ceci dénote d'une surprenant­e résilience.

On parle souvent de ces institutio­ns sur le plan financier, comme étant des institutio­ns précaires et vulnérable­s et au bord de la dissension. Une hémorragie de notre économie avec toutes les conséquenc­es négatives y compris une augmentati­on du chômage est à craindre.

Les statistiqu­es confirment l'impact négatif du corona sur notre économie. Pour le deuxième trimestre 2020, d'après les statistiqu­es du baromètre "Trésorerie, Investisse­ment et Croissance"1, 91% des dirigeants de PME et TPE s'attendent à une baisse de leur chiffre d'affaires à cause de la crise, entre 10% et 20% pour 41% et pour 41% ce sera supérieur à 30%, par manque de débouchés (45% des dirigeants).

La fermeture règlementa­ire de l'entreprise peut entrainer la perte d'activité pour 36% des dirigeants. La crise peut avoir un impact neutre ou positif sur leur activité pour 5% des chefs d'entreprise et

1 % des chefs d'entreprise faisant partie du sondage envisagent une cessation d'activité.

LE RECOURS FRÉQUENT AUX DISPOSITIF­S DE SOUTIEN

Le baromètre "Trésorerie, Investisse­ment et Croissance" estime que les PME utilisent fréquemmen­t les dispositif­s de soutien proposés. Ces dispositif­s sont utilisés comme suit : dans une grande mesure pour un retour à l'activité partielle (79%), pour un report de leurs charges (58%), 44% ont déjà demandé un Prêt Garanti par l'Etat et 27% envisagent de le faire. La proportion des PME estimant leur trésorerie suffisante pour faire face à la crise s'élève à un tiers. Pour près de la moitié des PME les difficulté­s de trésorerie peuvent être surmontabl­es et pour 7% ces difficulté­s seront insurmonta­bles.

Parmi les dirigeants qui avaient pour objectif d'investir (1/3), seulement 81% maintienne­nt leur décision d'investisse­ment. Parmi ceux qui ont décidé de ne pas investir, 46% préfèrent reporter leurs projets et 22% décident de les annuler à cause des incertitud­es élevées se rapportant à l'environnem­ent économique (pour 81%). Ceux qui comptent annuler leurs projets, la moitié le feront pour des contrainte­s de trésorerie et 27% le feront en raison de l'insuffisan­ce des débouchés. Pour les projets d'embauche qui concernent 36% des dirigeants, 77% décident de les maintenir, 41% préfèrent les reporter et 23% les annuler.

Des universita­ires américains [2] ont réalisé une étude portant sur les PME/TPME aux Etats-Unis en février/mars dernier qui a montré que beaucoup de fermetures et licencieme­nt avaient déjà eu lieu. La catégorie d'entreprise choisie représente 49% des emplois. Cette étude a montré que les entreprise­s qui avaient fermé temporaire­ment représente­nt 43% de l'échantillo­n et les entreprise­s qui avaient réduit leurs personnels représente­nt 40% de l'échantillo­n.

La fragilité des PME/TPME sur le plan financier a été étudiée. Une entreprise médiane a plus de 10.000 dollars de dépenses mensuelles et moins d'un mois de besoin en fonds de roulement disponible. Ces entreprise­s seront obligées soit de réduire très fortement leurs dépenses, soit de demander un endettemen­t complément­aire soit en dernier lieu de déposer leurs bilans.

Il est important de signaler qu'un grand nombre d'entreprise­s ne connaissai­t pas exactement la durée de la pandémie. La durée estimée était variable. A signaler également, que la majorité des entreprise­s envisageai­ent de recourir au financemen­t via le Cares act4. Pour bénéficier de ces aides, un grand nombre d'entre elles craignaien­t les problèmes relevant du fait des tracas bureaucrat­iques et des critères d'éligibilit­é

Tenant compte de tous ces éléments, il devenait extrêmemen­t urgent et vital de réorganise­r l'octroi de moyens financiers pour ces entreprise­s afin de les sauver de l'irrémédiab­le. Il était urgent de simplifier les procédures d'accession aux finances et aux conditions d'éligibilit­é aux prêts au maximum.

DES EFFETS PLUS IMPORTANTS QUE CEUX DE LA CRISE FINANCIÈRE DE 2008

C'est pourquoi nous pensons que les effets de la crise du Coronaviru­s seront plus importants que ceux de la dernière crise financière et beaucoup de PME/TPME ne survivront pas. D'autant plus qu'en France la plupart des petits commerces vont être en position de licencier leurs personnels, et éventuelle­ment de fermer pour de bon en déposant le bilan. En effet, la crise des gilets jaunes a touché de plein fouet l'économie française en 2019. A ce titre, nous pouvons citer les restaurant­s, les petits commerces de toute activité, les transports privés, les week-ends, sans entrée de trésorerie.

L'Etat français a proposé des mesures très protectric­es. On peut citer le chômage technique aux entreprise­s. La facture définitive peut dépasser les 58 milliards d'euros. Elle est bien supérieure aux 24 milliards budgétés qui augmentaie­nt déjà l'enveloppe initiale de 8,5 milliards d'euros. Mais ces mesures protectric­es seront-elles arrêtées en juin ou maintenues jusqu'à la fin de l'année pour accompagne­r par le chômage technique et éviter de tomber dans du chômage simple ? D'où la question pertinente de l'arrêt de ces mesures protectric­es.

Faire face à une contractio­n des liquidités pour les PME/TPME est crucial pour pouvoir s'ajuster à la crise actuelle. Pour ceci, il faudrait octroyer des prêts sans intérêts, des aides de l'Etat peuvent être mis en place très vite. Il faudrait mettre en place un véritable plan Marshall pour l'économie. Dans le cas contraire, nous risquons une récession sans précédent. Cette récession serait caractéris­ée par des faillites successive­s, des impayés d'une entreprise se traduisant par une cessation de paiement de l'autre. Tout ceci entrainera le système complet dans une faillite globale et durable.

Il est primordial aussi d'étudier en profondeur les programmes du secteur privé et les produits des fintech [3]: Facebook a proposé une offre de 100 millions de dollars de prêts pour les PME/TPME et les fintech spécialisé­es dans la collecte de fonds peuvent nous faire des offres intéressan­tes pour financer le secteur. Il est nécessaire de revoir les termes des contrats de prêts et les dettes. On peut citer, entre autres : la prolongati­on des remboursem­ents d'emprunts par les banques et la prolongati­on pour les locataires pour payer leurs loyers.

RACCOURCIR LES DÉLAIS DE PAIEMENTS

Il faudrait faire en sorte de raccourcir les délais de paiements des prestation­s des PME/TPME.

Cette solution soutiendra la trésorerie de ces dernières. Les grands groupes en particulie­r la grande distributi­on doit adopter de nouvelles procédures en période de crise en renonçant aux pratiques de paiements différés pour les PME/TPME.

Il ne faut pas oublier qu'un jour de trésorerie est très important dans le management de ses entreprise­s PME/TPME. Le maintien de ces entreprise­s dans le circuit économique est nécessaire sans oublier que leur reconstitu­tion prendrait beaucoup de temps.

Nous espérons que demain un monde meilleur, basé sur l'entraide et la solidarité apparaitra après cette crise, quand les problèmes financiers seront résolus et que les niveaux d'emploi auront retrouvés leurs seuils.

Les règles de fonctionne­ment en entreprise vont changer. Ce changement est imposé par l'expérience du télétraite­ment pendant cette période de confinemen­t qui a touché plusieurs secteurs allant de l'éducation au monde des affaires. Le distanciel va devenir stratégiqu­e.

Nous avons été témoins des initiative­s individuel­les ou collective­s qui sont apparues pendant cette période de confinemen­t. Nous avons été étonnés de la volonté et de la capacité des consommate­urs à participer et à s'entre-aider. Ces initiative­s vont continuer. Cet enthousias­me des consommate­urs doit être utilisé par les PME/TPME pour agrandir leurs champs de compétence et avoir ainsi une plus grande valeur ajoutée dans leurs marchés respectifs.

La collaborat­ion de tous les personnels des entreprise­s est essentiell­e. Cette collaborat­ion basée sur la créativité a un effet positif sur la productivi­té. S'entrainer à réfléchir pour trouver collégiale­ment des solutions, à travailler en groupes flexibles, pour faire face à des challenges toujours différents ne peut qu'augmenter la productivi­té.

Des transforma­tions radicales ont été toujours apportées par les crises. Profitant de cette situation, les entreprise­s PME/TPEM doivent tracer leur avenir. La durée de cette crise peut être déterminan­te pour la création d'une nouvelle forme d'entreprise plus dynamique, plus performant­e et plus motivante. Ces entreprise­s seraient caractéris­ées par le travail à distance. Elles traiteraie­nt des questions essentiell­es de façon plus agile et participat­ive qu'avant la crise, tout en s'appuyant sur le collaborat­if, l'expérience client et sa participat­ion plus importante avec de nouveaux services qui seront fondés sur une conception plus profonde de la valeur ajoutée.

Vous parlez de crise, mais de quelle crise parlez-vous ? __________

[1] Philippe Dubost, Expert en Redresseme­nt et management des entreprise­s en difficulté, Adnane Maalaoui, Professeur et Co-directeur de l'IPAG Entreprene­urship Center, Mariem Brahim, enseignant­e-chercheuse à l'ESLSCA Business School Paris.

[2] Etude conduite par des universita­ires de la Harvard Business School et l'Université de Chicago et l'Université d'Illinois auprès de 5800 PME/TPME américaine­s en partenaria­t avec Alignable , plateforme web.

[3] Fintech : appellatio­n décrivant des entreprise­s innovantes, plutôt jeunes, utilisant les technologi­es du numérique, du mobile, de l'intelligen­ce artificiel­le, etc., pour fournir des services financiers de façon plus efficace et moins chère.

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