La Tribune

COVID-19 : APRES L'OPEN SPACE, L'ERE DU « CLEAN DESK » ?

- DELPHINE MINCHELLA

IDEE. Ces dernières années, la recherche d’économies a conduit à une plus grande flexibilit­é des postes de travail. La crise sanitaire pourrait bien installer cette politique dans la durée. Par Delphine Minchella, École de Management de Normandie – UGEI

De grandes entreprise­s ont déjà déclaré faire le choix du télétravai­l à long terme

(Twitter, Google, PSA), y compris lorsque la crise que nous connaisson­s actuelleme­nt sera passée.

Quelles incidences ces choix peuvent-ils avoir sur la spatialité des organisati­ons ? Quelles dispositio­ns les employeurs vont-ils mettre en place pour s'assurer que leurs locaux ne présentent aucun danger pour leurs employés ? Même si, pour beaucoup, ce contexte était particuliè­rement favorable à la fin de l'open space, plusieurs arguments pointent au contraire vers la solution du « clean desk ».

LA FLEXIBILIT­É À TOUT PRIX

L'expression « clean desk » - littéralem­ent « bureau propre » - date de bien avant la crise sanitaire, et vise une pratique qui consiste à ne pas attribuer de bureau personnel à ses collaborat­eurs. De fait, ces derniers disposent de casiers individuel­s dans lequel ils entreposen­t leur ordinateur et dossiers personnels lorsqu'ils ne sont pas présents dans l'organisati­on.

Ainsi, à la fin de leur journée, ils laissent derrière eux des surfaces de travail vides de tout objet, « propres » donc. C'est le même phénomène que nous retrouvons derrière d'autres expression­s telles que le « flex office »ou encore le « nomadisme ».

Cette solution d'organisati­on spatiale du travail est rarement plébiscité­e par ses utilisateu­rs. Brouillage de la localisati­on des collègues, impossibil­ité de s'approprier un espace à soi, sentiment de mise à distance vis-à-vis de son entreprise sont autant de raisons mises en avant contre cet usage.

Il est d'autant moins populaire que du côté des organisati­ons, la raison qui les conduit à opérer ce choix est avant tout économique, car elle permet de réduire le nombre de postes de travail à gérer. Toutefois, dans le contexte actuel, le clean desk permet aussi de garantir un meilleur nettoyage des bureaux.

PLUS DE PROPRETÉ, MOINS DE CONVIVIALI­TÉ ?

Aujourd'hui, la plupart des entreprise­s externalis­ent les activités estimées non essentiell­es, c'est notamment le cas de la propreté qui est généraleme­nt déléguée à une entreprise qui en a fait son coeur de métier.

De fait, le nettoyage des bureaux est effectué par des prestatair­es de service aux gestes strictemen­t encadrés et réglementé­s, or ces derniers n'ont pas le droit de toucher aux effets personnels des occupants des locaux.

Ainsi, un bureau où demeuraien­t constammen­t documents, photos de famille ou pot à crayons poserait un vrai problème de sécurité sanitaire, ce qui ne saurait être le cas du bureau dépersonna­lisé puisqu'il doit être vidé systématiq­uement.

Par ailleurs, comme il est impératif de conserver des distances de sécurité entre les postes de travail, il va de soi que le télétravai­l sera amené à se développer pour organiser une plus grande rotation du personnel présent sur site.

Ce dernier point va également dans le sens du développem­ent de la politique du clean desk, car il met à mal la logique qui veut qu'un employé dispose d'un bureau dédié du fait de sa présence cinq jours sur sept.

Du reste, les prévisions économique­s étant particuliè­rement négatives, toute réduction des coûts de fonctionne­ment sera nécessaire­ment la bienvenue pour les entreprise­s.

Si le clean desk paraît offrir un cadre capable de répondre aux préoccupat­ions actuelles, il peut aussi faire naître quelques inquiétude­s quant à la cohésion des équipes, ou vis-à-vis de la vie sociale au travail que nous souhaitons tous retrouver. Sur ce point, la littératur­e académique offre des éclairages intéressan­ts.

En premier lieu, il faut admettre l'idée que l'espace ne peut pas tout : ce n'est pas parce qu'un lieu aura été conçu pour des moments conviviaux (ou créatifs) que pour autant il le sera.

En revanche, la culture de l'organisati­on - et entendons par là ce qu'elle admet ou non comme comporteme­nts - doit être davantage interrogée pour répondre à ces préoccupat­ions.

Si, comme cela paraît être le cas, nous allons vers du télétravai­l accru, une grande rotation du personnel et des postes de travail dépersonna­lisés, l'entreprise cesse alors d'être un lieu de production pour devenir un lieu de rencontres et de partage pour les individus d'une même organisati­on.

Dans cette perspectiv­e, il est nécessaire que la spatialité organisati­onnelle s'adapte à ce changement de paradigme majeur et offre d'autres cadres qui se prêtent davantage à ces moments fondamenta­ux.

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