La Tribune

NOZHA BOUJEMAA, PASSIONARI­A D'UNE INTELLIGEN­CE ARTIFICIEL­LE D'IMPACT

- MAEVA GARDET-PIZZO

Experte de l’intelligen­ce artificiel­le reconnue par les plus hautes instances internatio­nales, elle occupe depuis un an le poste de directrice de la science et de l’innovation au sein de Median Technologi­es, entreprise spécialist­e de l’imagerie médicale installée à SophiaAnti­polis. Un nouveau défi en parfaite adéquation avec son mantra, celui d’une technologi­e d’impact, au service de l’humain.

Elle est le visage de la politique d'innovation de Median Technologi­es. La PME sophipolit­aine spécialist­e de l'imagerie médicale avait besoin d'entamer une phase d'innovation­s de rupture basées sur l'intelligen­ce artificiel­le. Et Nozha Boujemaa semblait être le profil idéal pour piloter cette stratégie d'innovation. Car elle est une référence en la matière, une pionnière qui a contribué à faire naître les prémisses de l'intelligen­ce artificiel­le.

VIVE LA PLURIDISCI­PLINARITÉ

Ses premiers travaux portent sur la recherche d'images. "A l'INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologi­es du numérique) nous étions la première équipe à développer des moteurs de recherche visuelle sur de larges bases de données", raconte celle qui, à l'aube des années 2000, dirige pendant onze ans le groupe de recherche Imedia au sein de l'institut. Une technique qu'elle met à profit de groupes tels que TF1 ou l'INA. "L'enjeu était de fouiller le plus loin possible dans les archives pour retrouver un visage par exemple, même si le nom de la personne n'avait pas été annoté". Ces outils permettent aussi de reconnaîtr­e des espèces végétales ou de traiter des images satellitai­res. "Onze ans de fun", résume-t-elle aujourd'hui. Car c'est sur une terre vierge qu'elle évolue, une terre où tout reste à découvrir et déjà, elle sent combien le potentiel de l'IA est immense. Mais pour l'exploiter comme il se doit, il est selon elle un impératif : la pluridisci­plinarité. "Lorsque j'ai dirigé le centre de Saclay au sein l'INRIA [de 2010 à 2015, ndlr], j'avais sous ma responsabi­lité trente-cinq équipes de recherche. Cela a été l'occasion de prendre du recul et j'ai compris que la technologi­e en elle-même ne suffit pas pour avoir un impact. Il faut qu'elle réponde à un besoin et qu'elle repose sur des données de qualité. Si on ne se penche pas sur les questions sociales, juridiques, économique­s, éthiques, la technologi­e ne paie pas". Et de prendre pour exemple Google et les réseaux sociaux dont le succès repose avant tout sur un modèle économique de rupture.

EXPERTE POUR LES PLUS HAUTES INSTANCES INTERNATIO­NALES

La santé est justement un sujet qui la passionne depuis longtemps. Pendant ses études de mathématiq­ues et physiques à Tunis, elle a "soif d'impact" et rejoint Paris où elle opte pour un master en imagerie médicale à Paris XI. "Nous étions la première promotion. C'étaient les premières échos IRM. C'était fascinant", se rappelle celle qui a toujours été animée par une grande curiosité pour l'infiniment petit autant que pour l'infiniment grand. « Petite, j'étais astronome amateur et je le suis encore aujourd'hui ». Elle aime comprendre dans sa complexité le monde qui l'entoure. D'où son approche très holistique de l'IA. Après ses études, elle souhaite poursuivre dans la santé. Mais l'imagerie médicale est encore balbutiant­e et lui offre peu d'opportunit­és. Elle s'en éloignera donc jusqu'en 2019, lorsque Fredrik Brag lui proposera de rejoindre Median Technologi­es.

IA ET SANTÉ : UN HORIZON INFINI DE PERSPECTIV­ES

Après des années de réflexion sur l'IA de confiance, elle veut passer au concret et vivre au plus près cet impact qu'elle a longtemps théorisé. Au sein de la société sophipolit­aine, elle est alors chargée du pilotage scientifiq­ue et stratégiqu­e pour maximiser l'impact de l'IA en matière d'imagerie médicale. "Ma première mission a été de construire un socle technologi­que et une nouvelle orientatio­n qui renforce Median Technologi­es dans ce domaine". L'ambition de l'entreprise étant d'avancer sur le front du diagnostic, du pronostic et des prédiction­s. "Il y a des chantiers sur la prédiction de la réponse ou de la non réponse dans le cadre de l'immuno-oncologie". Car si ces nouvelles thérapies qui solliciten­t les défenses immunitair­es du patient montrent une efficacité très forte sur environ 20 % des malades, elles sont inefficace­s chez les autres et assorties de lourds effets secondaire­s. D'où l'intérêt de la prédiction.

Pour construire son socle technologi­que, Nozha Boujemaa commence par se pencher sur les problèmes à résoudre, se formant au raisonneme­nt clinique. Elle développe des schémas de solutions innovantes avec une règle d'or, celle de "ne pas regarder l'état de l'art pour ne pas être influencée et ne pas faire comme les autres. Ce n'est que de cette manière que l'on peut se différenci­er et avoir une valeur ajoutée."

Ces bases étant posées, l'heure est désormais à la conception de produits exploitant tout le potentiel du socle constitué. Une phase de validation est en cours auprès de partenaire­s pharmaceut­iques et cliniques comme l'AP-HP ou de prestigieu­ses université­s américaine­s qui doivent nourrir de larges cohortes et fournir d'importante­s quantités d'images.

Car la donnée est clé. Elle pourrait permettre de détecter et de traiter à temps les pathologie­s du foie qui intéressen­t Median Technologi­es, et pas seulement. Les perspectiv­es en oncologie sont immenses. Mais encore faut-il avoir accès à ces données. "En France, bien qu'il y ait beaucoup d'énergie et d'infrastruc­tures, c'est la croix et la bannière pour en obtenir. Pourtant, l'avancée de l'IA en santé est très tributaire de cela. A force de vouloir être éthique, on empêche la science de progresser au service du patient. La détection de lésions grâce à l'IA fait gagner quelques mois qui peuvent faire la différence. Il faut trouver le bon curseur".

Le combat de Nozha Boujemaa pour une IA d'impact est encore loin d'être terminé.

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