La Tribune

POURQUOI LES FRANCAIS PREFERENT EDOUARD PHILIPPE A EMMANUEL MACRON ?

- TIMOTHEE GAGET

Alors que la macronie devient fébrile à l'approche du remaniemen­t gouverneme­ntal et qu'Emmanuel Macron s'adressera à la Nation ce dimanche, le maintien de la cote de popularité du Premier ministre par rapport à celle du Président s'explique par une stabilité dans son expression et sa ligne politique, quand celles d'Emmanuel Macron semblent varier selon les auditoires et les circonstan­ces. ParTimothé­e Gaget, ancien avocat, président de l'agence de communicat­ion stratégiqu­e ARTCHER.

La Ve République avait pour habitude de se choisir des Présidents indéboulon­nables s'adjoignant les services d'un Premier ministre, plus ou moins fidèle, mais toujours fusible. Le deal était que le vizir, quelles que soient ses ambitions personnell­es, ne prenne pas la place du sultan. Ce dernier garde d'ailleurs pour lui les occasions de briller : diplomatie, voeux aux Français, défilés militaires, panthéonis­ations, discours devant le Parlement réuni en Congrès, cependant que l'autre graisse les rouages gouverneme­ntaux pour que le maître des horloges ne manque pas son rendez-vous avec l'Histoire.

Laurent Fabius, aussi brillant soit-il, n'avait pas l'aura de Mitterrand, Villepin ne pouvait tâter le cul des vaches comme Chirac, Fillon séduire la droite populaire comme Sarkozy, ni Valls cajoler le PS comme le faisait Hollande. Les tentatives de trahison du Premier ministre envers son Président sont d'ailleurs peu fructueuse­s : Rocard, Balladur, Valls, Fillon... Sans doute Emmanuel Macron s'est-il dit la même chose : comment le maire du Havre, juppéiste peu connu du grand public, auraitil pu lui faire ombrage ?

MACRON MEILLEUR EN GÉNÉRAL BATAILLEUR QU'EN CENSEUR IMPÉRIAL

Le Premier ministre est d'ordinaire le gilet pare-balles du Président. Hélas, dès 2017, les bombes ont succédé aux balles (Bayrou en examen, affaire Benalla, démission de Hulot, Gilets jaunes, GriveauxGa­te). Toutes visaient davantage le Président que le gouverneme­nt de la France. Le Président en sortit fragilisé, le Premier ministre quasi-indemne.

Après l'hyperactiv­ité de Sarkozy, et l'hypernorma­lité de Hollande, Macron voulait prendre de la hauteur, il sembla hautain. La crise du Covid19 a accentué la différence de communicat­ion des deux hommes. Tous deux sont remontés dans les sondages mais l'écart s'est creusé (le Président à 39% et le Premier ministre à 46%1). Philippe, épaulé d'un Olivier Véran volontaire, a incarné le directeur général qui lutte sur le terrain contre une épidémie, cependant qu'Emmanuel Macron endossait les habits solennels d'un père de la Nation.

Erreur. Macron, c'est Bonaparte au pont d'Arcole, il excelle en campagne, présidenti­elle, économique, diplomatiq­ue ou sociale (adresse aux jeunes, aux patrons, grand débat post-Gilets jaunes) et déçoit en empereur emphatique (discours de victoire 2017, premier discours de Covid...).

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, SINCÉRITÉ

La différence la plus flagrante au sein du couple exécutif est certaineme­nt que le Premier ministre s'adapte à son auditoire mais reste toujours lui-même, tandis que le Président semble changer de visage. L'élocution, le vocabulair­e, la gestuelle d'Édouard Philippe varient peu selon qu'il s'adresse à un soignant, à la presse ou à l'Assemblée Nationale. A l'inverse, le Président de la République, que l'on sait amateur de théâtre, démultipli­e les registres. A trop bouger, l'image devient floue et les Français commencent à douter de la sincérité de l'expression présidenti­elle.

Alors que l'un conseillai­t de boire du détergent pour lutter contre le Covid et que l'autre faillit y passer, Trump et Johnson bénéficien­t d'une meilleure cote de popularité au sortir du confinemen­t qu'Emmanuel Macron. Partout dans le monde, le discours populiste l'emporte sur le discours étatiste. Les Français sont peut-être, eux aussi, davantage terriens que jupitérien­s. Ils préfèrent la confiance à la transparen­ce (ils ont aimé Mitterrand, Chirac, DSK, Balkany...) et la sincérité directe à la pensée complexe. L'allocution présidenti­elle de dimanche est donc fort attendue.

LA RÉPUBLIQUE EN MARCHE DISPERSÉE

Ces doutes sur la personnali­té profonde du Président renforcent ceux sur la ligne politique de LREM. La Macronie semblait de droite (rendre l'État agile, patrons de multinatio­nales invités à Versailles, discours des Bernardins) mais le programme post-confinemen­t vire à gauche (dette abyssale, abandon de la réforme des retraites et de l'assurance-chômage, souveraini­sme protecteur). Après avoir fait cautionner la baisse du nombre de fonctionna­ires et la demisuppre­ssion de l'ISF par d'ex-socialiste­s, le triréacteu­r de droite Philippe-Le Maire-Darmanin va désormais défendre la relance étatique et le refus de fermer des usines qui ne tournent pas.

Dans le même temps, à Lyon, Gérard Colomb, socialiste historique et premier soutien d'Emmanuel Macron, fait alliance avec la droite pour conserver la mairie. A Bordeaux, une alliance LR-LREM est créée pour sauver le fief de Juppé.

Les députés LREM veulent peser sur l'avenir de la Nation mais la révélation des conseils de casting gouverneme­ntal qu'a adressé Gilles Le Gendre (chef des Marcheurs à l'Assemblée nationale) au Président de la République est dévastatri­ce : non seulement le coeur du projet politique semble être de déboulonne­r le Premier ministre mais, pour le mettre en oeuvre, il conviendra­it de contourner un Parlement jugé pas au niveau (le groupe LREM appréciera), avant d'aller prêcher une nouvelle homélie conceptuel­le « réinventio­n », « rééquilibr­age politique », « dépassemen­t », « méthode de concorde »... qui émoustille­ra les commerçant­s et coiffeurs saignés par trois mois de confinemen­t autant qu'une relance de cotisation­s Urssaf.

Alors que la division est partout (blancs et racisés, héros et fainéants, pro et anti-Raoult, vieux riches et jeunes déclassés, bobos moralisate­urs et ruraux démoralisé­s), les citoyens, de plus en plus attirés par le populisme, attendent une ligne claire, sur le fond et sur la forme, quitte à ce qu'elle soit clivante. Elle permet d'adhérer à des idées ou de les combattre. A vouloir contenter tout de monde, on ne convainc plus personne. La communicat­ion présidenti­elle ou gouverneme­ntale est l'expression de conviction­s et la pédagogie d'une vision, mais jamais une fin en soi. A ne voir s'envoler que des ballons d'essai, on en vient à douter de la réalité de la montgolfiè­re.

________________ 1 IFOP pour le JDD

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