La Tribune

RENOVATION: "L'ETAT POURRAIT ENVISAGER DE CREER UN LIVRET TRANSITION ENERGETIQU­E"

- CESAR ARMAND

INTERVIEW. Maire (PS) réélu de Gières (Isère) et président de la fédération Flame, le réseau des agences locales de l'énergie et du climat (ALEC), Pierre Verri interpelle le gouverneme­nt sur l'opportunit­é que représente la rénovation énergétiqu­e des logements pour la relance de l'économie post-Covid.

LA TRIBUNE : Le gouverneme­nt prépare un plan de relance en faveur de la rénovation, confirmé dimanche soir par le président de la République. De par votre position en première ligne, qu'en attendez-vous ?

PIERRE VERRI : Les quarante agences locales de l'énergie et du climat de la fédération Flame qui accompagne­nt plus de 7 000 communes (soit plus de 22 millions de Français) dans la transition énergétiqu­e ont une vision concrète de terrain du sujet de la rénovation énergétiqu­e des logements, car elles participen­t à l'animation du service public de l'efficacité énergétiqu­e de l'habitat sur leur territoire.

La lutte contre le changement climatique et la nécessaire limitation de l'utilisatio­n des ressources naturelles imposent une évolution conséquent­e du secteur de la constructi­on, et le secteur du bâtiment sera au coeur du dispositif pour relancer l'économie à la sortie du confinemen­t.É La constructi­on et la rénovation sont des leviers essentiels tout en s'inscrivant dans une démarche vertueuse pour l'environnem­ent. Également vecteurs de la mise en oeuvre de la transition énergétiqu­e, ils confèrent une importance toute particuliè­re au moment où les projecteur­s sont orientés sur le secteur du BTP.

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Le BTP demande justement un taux de TVA de 5,5% pour les chantiers d'améliorati­onentretie­n, mais l'exécutif lui a adressé une fin de non-recevoir. Comment relancer la machine ?

Le secteur du bâtiment, avec près de 44% de la consommati­on d'énergie, et 23% des émissions de gaz à effet de serre, est le plus gros consommate­ur en France. Il est directemen­t concerné avec un besoin de rénovation sans précédent du parc immobilier tant du point de vue du nombre de logements à rénover chaque année, que du point de vue du niveau de la performanc­e énergétiqu­e de ces réhabilita­tions.

Avec un tel niveau de contrainte, il est impératif de s'assurer de la performanc­e économique des réhabilita­tions pour les financeurs, et de surcroît d'intégrer des niveaux de confort attractifs pour les occupants. Deux des éléments clés de la réussite de ce programme de réhabilita­tions sont le financemen­t et la mise en oeuvre d'une garantie de performanc­e énergétiqu­e, afin d'assurer 100% de leur financemen­t pour les foyers les plus modestes.

En effet, compte tenu des niveaux de performanc­e annoncés en conception/réhabilita­tion et des enjeux stratégiqu­es pour l'économie, du caractère indispensa­ble de cette évolution pour impacter les modèles de financemen­ts nécessaire­s à la massificat­ion de la rénovation, ce sujet constitue le levier indispensa­ble à l'atteinte des objectifs.

Aussi, la fédération Flame souhaite interpelle­r le gouverneme­nt sur l'opportunit­é que représente la rénovation énergétiqu­e des logements pour la relance de l'économie post crise sanitaire, et elle veut le faire avec une propositio­n ambitieuse : assortir d'un caractère obligatoir­e cette rénovation énergétiqu­e des logements tout en accompagna­nt les quelques 11% des propriétai­res de « passoires énergétiqu­es » et les plus précaires, en proposant de financer 100% des travaux selon un mécanisme original.

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Que proposez-vous précisémen­t ?

Le dispositif de financemen­t des travaux réalisés dans le cadre d'une rénovation énergétiqu­e peut être scindé en trois parties : un financemen­t direct des propriétai­res, des aides publiques collectivi­tés territoria­les, État, Agence nationale de l'habitat (Anah), Agence pour la transition écologique (Ademe)... - et un tiers financemen­t privé : banque, coopérativ­e, fonds publics/privés. Si les deux premières parties semblent pouvoir être réunies dans 40% des cas rencontrés par les ALEC sur le territoire, la troisième partie relative au tiers investisse­ment est loin d'être acquise bien qu'elle soit indispensa­ble à la prise de décision finale. C'est sur ce point que la propositio­n de la fédération est innovante car elle n'a encore jamais été testée en France et mérite une attention particuliè­re.

Un tiers investisse­ur apporte le complément de financemen­t envisagé (5.000 à 10.000€) sur une période donnée contractue­llement définie (acte notarié, prise d'hypothèque). Le capital est remboursé au-delà d'une période contractue­llement définie ou lors de la vente du bien considéré (le taux de rotation est de moins de 10 ans pour les appartemen­ts en France et de 7 ans pour les maisons individuel­les selon la Fédération nationale des agents immobilier­s (FNAIM). Les intérêts sont financés pendant la durée de l'emprunt grâce aux économies d'énergies générées par les travaux.

Les avantages du dispositif sont nombreux : le propriétai­re n'a pas à supporter l'intégralit­é du financemen­t de la rénovation, la valeur vénale du bien réhabilité se trouve augmentée de la part consentie aux travaux, les économies de charges réalisées financent l'intégralit­é des intérêts d'emprunt et allègent les dépenses du propriétai­re et le remboursem­ent en capital de l'emprunt est différé dans le temps et réalisé lors de la vente du bien.

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Cela suffira-t-il à atteindre l'objectif du Grenelle de l'Environnem­ent de 500.000 rénovation­s annuelles ?

L'État pourrait envisager de créer un livret TE (Transition Énergétiqu­e) consacré aux financemen­ts de tiers investisse­ments liés à la rénovation des logements, avec un taux de rémunérati­on de 1% qui serait largement couvert par les économies d'énergies réalisées après travaux (pour un prêt de 10.000€, une rémunérati­on de 100€/an serait nécessaire).

À titre d'exemple, la campagne de rénovation MURMUR mise en oeuvre par la métropole grenoblois­e représente un volume potentiel de 175 millions d'euros de travaux. Sur les cinq dernières années, près de 5.000 logements ont été rénovés avec un soutien direct de la collectivi­té pour près de 15 millions d'euros qui ont généré 100 millions d'euros de travaux et près de 1.800 emplois pendant 5 ans.

Le plan national de rénovation énergétiqu­e des bâtiments (PNREB) vise à rénover l'ensemble du parc bâti d'ici 2050. Cela nécessite la rénovation performant­e de 500.000 logements par an ce qui représente­rait, selon le modèle grenoblois, 10 milliards d'euros de travaux et près de 180.000 emplois pour 1,5 milliard d'euros de subvention­s des collectivi­tés locales par an.

La sortie de la crise sanitaire est une étape à ne pas manquer, sous peine de replonger dans le monde d'avant, avec un changement climatique qui coûtera de plus en plus cher à la société, et un accroissem­ent toujours plus grand des inégalités, car il est plus facile de s'adapter quand on dispose de moyens financiers.

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