PANDEMIE : LES PROPOSITIONS FISCALES DE PIKETTY ET STIGLITZ POUR LE MONDE D'APRES
Impôt mondial sur les sociétés, taxes progressives sur les services numériques, transparence sur la richesse offshore... face au marasme économique, les deux célèbres économistes plaident pour une refonte en profondeur du système fiscal international.
Dégringolade des marchés financiers, crise pétrolière, fermeture des frontières, commerce mondial à l'arrêt, envolée du chômage, hôpitaux saturés... pendant plus de deux mois, la pandémie a paralysé l'économie mondiale provoquant une récession majeure.
Les États frappés par cette maladie infectieuse et dépourvus de stocks de masques et de tests suffisants ont souvent été obligés de prendre des mesures strictes de confinement pour contrôler la diffusion de l'épidémie et limiter le nombre de victimes.
Les gouvernements ont déjà annoncé des aides parfois jugées insuffisantes pour tenter d'enrayer les ravages de cette crise sur le système productif et le marché du travail. En outre, les États ont sérieusement accru leurs dépenses de santé pour affronter cette pandémie mondiale.
Face à ces montagnes de dépense et pour relancer l'économie, les gouvernements vont devoir faire des choix de politique économique dans les semaines à venir afin de relancer la machine.
En Europe, l'Allemagne a déjà annoncé annoncé un plan massif de relance de 130 milliards d'euros étalé sur deux ans. L'Italie a également commencé à plancher lors d'états généraux le week-end dernier sur des pistes de relance. Enfin, pour la France, le gouvernement a prévu de bâtir un plan cet été pour le présenter à la rentrée en septembre.
Lire aussi : Macron accélère le déconfinement et annoncera en juillet le plan de reconstruction
Dans un document de travail réalisé pour le compte de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des sociétés (ICRICT), plusieurs économistes de renom tels que le prix Nobel Joseph Stiglitz ou l'auteur de Capitalisme et idéologie, Thomas Piketty, ont élaboré un éventail de propositions iconoclastes pour financer ces dépenses.
UNE NOUVELLE FISCALITÉ INTERNATIONALE
La baisse de l'impôt sur les sociétés, actuellement pratiquée dans un grand nombre de pays développés, dont les États-Unis et la France, "'pour stimuler les investissements de reconstruction' ne sont ni économiquement efficaces ni socialement souhaitables" estiment les chercheurs. Face aux partisans d'une politique de l'offre stricte, les universitaires ont formulé cinq grandes propositions visant à réformer le système fiscal international. Ils préconisent :
- l'introduction de "taxes progressives sur les services numériques, sur les rentes économiques captées par les entreprises multinationales dans ce secteur" ;
- l'application "d'un taux d'imposition plus élevés sur les grandes entreprises des secteurs oligopolistiques ayant des taux de rendement excessifs" ;
- la mise en place "d'un taux d'imposition des sociétés de 25% à l'échelle de la planète pour mettre fin à l'érosion de l'assiette fiscale ainsi qu'à la capacité des entreprises de déclarer leurs bénéfices où bon leur semble pour payer le moins d'impôt possible" ;
- "la publication de rapports pays par pays pour toutes les sociétés bénéficiant d'un soutien de l'État" ;
- de rendre publiques "les données sur la richesse offshore afin de permettre à toutes les juridictions d'adopter des impôts sur la fortune progressifs effectifs sur leurs résidents et de pouvoir mieux contrôler les taux d'imposition effectifs sur les contribuables aux revenus les plus élevés".
Lire aussi : Inégalités : Stiglitz plaide pour une autre approche
DES PROPOSITIONS QUI RISQUENT DE DIVISER
Les propositions du groupe d'économistes risquent de diviser sur le plan politique. La concurrence fiscale exacerbée entre les États a rendu difficile la mise en oeuvre de systèmes fiscaux plus équilibrés. En Europe, le Luxembourg, les Pays-Bas, l'Irlande ou Malte font valoir leur régime fiscal pour tenter d'attirer les sièges des multinationales depuis des années au risque de créer des distorsions et de favoriser les pratiques fiscales controversées au sein du Vieux continent. En outre, la compétence fiscale reste du ressort des États et l'application d'un seul taux d'imposition sur les sociétés par exemple nécessiterait l'unanimité des 27. Ce qui semble à l'heure actuelle très complexe sans une profonde réforme des traités européens.
Lire aussi : Piketty: "Tant qu'il n'y aura pas plus de justice fiscale, ce gouvernement aura du mal à réformer"