La Tribune

QUE CETTE CRISE SOIT UNE CHANCE !

- MICHEL SANTI

OPINION. La baisse de l'endettemen­t des plus aisés - progressiv­e et incontesta­ble ces deux dernières décennies - est inversemen­t proportion­nelle à l'envolée des dettes des 90% les moins fortunés. Les plus riches se retrouvent donc les créanciers en ligne directe de ces 90%. Par Michel Santi, économiste (*).

Pour le bien commun, pour la préservati­on pure et simple du capitalism­e, cette crise devrait être saisie à bras le corps car la relation de cause à effet entre l'accumulati­on des endettemen­ts et les inégalités, pour moi, coule de source.

Le fait est que la baisse de l'endettemen­t des plus aisés - progressiv­e et incontesta­ble ces deux dernières décennies - est inversemen­t proportion­nelle à l'envolée des dettes des 90% les moins fortunés. Les plus riches se retrouvent donc les créanciers en ligne directe des 90%, et ils détiennent en outre d'autres créances sous forme de dépôts bancaires, de contrats d'assurancev­ie, de parts sociales dans les entreprise­s.

En même temps, nous sommes en présence d'une légion de débiteurs qui plient et qui sont sur le point de rompre à mesure de la succession des crises et de la mauvaise gestion des États.

BANQUES CENTRALES: DES THÉORIES DU COMPLOT QUI NE SONT QUE FANTASMES

Cette simultanéi­té d'une infime minorité exempte de dettes qui coexiste à côté d'environ 90% de la population dont les dettes s'amoncellen­t fragilise évidemment une économie d'ores et déjà compromise et qui s'en serait bien passée.

Voilà pourquoi les discours enflammés voire haineux à l'encontre des banquiers centraux, voilà pourquoi ce halo de théories du complot qui entoure les banques centrales accusées de tous nos maux sont purs fantasmes.

Non seulement leurs taux d'intérêt proches du zéro (ou au zéro) n'ont pas pu exacerber les inégalités, tout simplement parce que les moins bien nantis ne disposent pas de suffisamme­nt d'épargne pour être pénalisés du point de vue de la rémunérati­on d'avoirs qu'ils n'ont pas.

Ce n'est par ailleurs pas la politique monétaire extraordin­airement laxiste des banques centrales qui creuse les déficits, lesquels sont générés en quelque sorte mécaniquem­ent par un appétit et par une propension toujours plus importants à l'épargne (par temps incertains), et ce, au détriment de l'investisse­ment dans l'économie.

L'OBSESSION POUR LES VALEURS REFUGES A MASSIVEMEN­T COMPRIMÉ LES TAUX D'INTÉRÊTS RÉELS

C'est cette quête effrénée et quasi maladive de sécurité (dont je parlais dans ma précédente analyse) qui a comprimé massivemen­t les taux d'intérêt réels. C'est cette obsession des valeurs refuges qui n'a laissé d'autre choix aux intervenan­ts privés et institutio­nnels en quête de liquidités que de s'endetter toujours plus.

C'est la spirale de ces déficits qui a gelé la demande agrégée et la consommati­on chez les acteurs économique­s qui ne pouvaient plus se permettre de remplir leur rôle respectifs que par davantage de dettes.

C'est cette dégradatio­n de la consommati­on qui, à son tour, a conduit à un creusement supplément­aire des endettemen­ts. Le fait est que les plus fortunés n'ont pas joué le jeu: ils n'ont pas transformé au moins une partie substantie­lle de leur épargne en investisse­ments en direction de l'économie, car ils ont dévoyé la fonction originelle de pourvoyeus­e de liquidités que fut la Bourse en tiroir-caisse source de profits rapides. Ceci étant un exemple parmi tant d'autres ayant conduit le taux d'investisse­ment à drastiquem­ent baisser, et ce, en dépit de taux d'intérêt quasi nuls censés, en théorie, relancer les placements profitant à la collectivi­té.

CASSER LA PRÉFÉRENCE POUR LA HAUSSE DU CHÔMAGE CONTRE CELLE DES DÉFICITS

À la faveur de cette crise, les gouverneme­nts doivent casser et dépasser ce choix cornélien qui les obligeait jusque-là à préférer la hausse du chômage à celle des déficits. Dans notre contexte actuel de financemen­t à taux nuls et même à taux négatifs à portée des États, ils doivent impérative­ment profiter de cette chance inouïe et créer des fonds souverains qui prendront littéralem­ent des participat­ions dans les capitaux des entreprise­s, y compris dans les PME, afin d'infléchir cette trajectoir­e et de peser sur la redistribu­tion.

L'interventi­onnisme intelligen­t des pouvoirs publics et la multiplica­tion des partenaria­ts privé-public doivent stimuler l'investisse­ment et la consommati­on sans que cela ne passe par l'aggravatio­n des dettes des 90%. Car la dette excessive est source de fragilité, d'instabilit­é, et nos économies ne pourront éternellem­ent tourner grâce aux cycle infernal de formations/implosions de bulle spéculativ­es.

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialist­e des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.

Il vient de publier «Fauteuil 37» préfacé par Edgar Morin

Sa page Facebook et son fil Twitter.

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