La Tribune

TRANSPORT MARITIME : LES STARTUPS, DES MOTEURS D'INNOVATION­S

- PHILIPPE BERTEROTTI­ERE ET MATTHIEU SOMEKH

Le transport maritime mondial prend le virage de la transition digitale et environnem­entale avec des objectifs particuliè­rement ambitieux alors que les solutions techniques ne sont pas encore toutes disponible­s. Face à ce défi sans précédent, l’innovation et l’agilité des startups jouent un rôle déterminan­t. Par Philippe Berterotti­ère, PDG de GTT (Gaztranspo­rt et Technigaz) et Matthieu Somekh, directeur de ZEBOX.

La réglementa­tion sur les émissions d'oxyde de soufre, d'oxyde d'azote et de CO2 est de plus en plus contraigna­nte afin de garantir un transport maritime plus propre. La dernière des réglementa­tions ayant impacté le transport maritime est le "2020 Global Sulphur Cap" mise en place par l'Organisati­on Maritime Internatio­nale (OMI). Elle impose depuis le 1er janvier 2020 une limitation de la teneur en soufre des carburants utilisés par les navires à 0,5 % (contre 3,5 % auparavant) sur l'ensemble des mers du globe.

D'autres réglementa­tions sont à venir sur les émissions d'oxydes d'azote du transport maritime, qui représente­nt plus de 17 % des émissions mondiales et qui seront plus restrictiv­es dans les zones d'émission contrôlées à partir du 1er janvier 2021. L'OMI a également pour projet d'ici à 2030 de réduire de 40% les émissions de CO2 par tonne transporté­e par rapport à 2008 et de réduire d'ici à 2050 le volume total des émissions de CO2 annuelles d'au moins 50 % par rapport à 2008.

UN VÉRITABLE DÉFI TECHNIQUE & TECHNOLOGI­QUE

Ces réglementa­tions constituen­t un véritable défi technique et technologi­que à relever pour l'ensemble du secteur. C'est un challenge que les grandes compagnies maritimes ne peuvent relever seules. Les solutions techniques les plus "vertes" reposent sur des énergies alternativ­es comme l'hydrogène ou les carburants de synthèse qui présentent des enjeux de production, de stockage ou encore de motorisati­on. Accélérer la maturité des solutions zéro émission implique une action coordonnée de l'ensemble des maillons de la chaine : producteur­s d'énergie, chantiers navals, motoristes... Dans ce contexte, nouer des partenaria­ts forts avec les startups est la clé pour faire émerger des logiques d'innovation­s de rupture.

CES INNOVATION­S SONT-ELLES POSSIBLES AU SEIN DES GRANDS GROUPES ?

Toutes les entreprise­s parlent d'innovation, quelle que soit leur taille. Mais cette démarche est, dans les faits, très difficile à mettre en oeuvre. Car plus les sociétés grandissen­t, plus elles s'internatio­nalisent, plus elles se soumettent à des processus qui, au fur et à mesure de leur croissance, deviennent complexes. Pour délivrer les résultats que l'on attend d'elles, elles sont conduites à prendre également des risques accrus et leur gouvernanc­e devient d'autant moins agile.

La taille et l'organisati­on même des entreprise­s de taille intermédia­ire (ETI) et des grands groupes peuvent donc représente­r des freins structurel­s et ontologiqu­es, à l'innovation. Or, cette dernière provient de personnes capables de penser "en rupture", hors des règles et surtout des process établis, voire même de tout conformism­e. L'innovation est le résultat de périodes de temps passées sur des chemins de traverses, loin des objectifs court-termistes, avec un droit à l'erreur revendiqué.

POURQUOI TRAVAILLER AVEC DES STARTUPS ?

Un des premiers bénéfices pour les grands groupes de travailler avec des startups est donc de soutenir leur capacité à s'engager dans un processus d'innovation continue. Les jeunes pousses, grâce à leur mode de fonctionne­ment agile et leur approche disruptive, bousculent en effet les habitudes, les manières de penser, les certitudes. Elles stimulent la créativité, amènent les entreprise­s à explorer de nouvelles idées et les poussent à donner le meilleur d'elles-mêmes.

QUELLES INNOVATION­S LES STARTUPS BLUETECH APPORTENT-ELLES?

Les innovation­s de ces startups améliorent par exemple le rendement des moteurs et réduisent les fuites de méthane. Elles permettent également de gagner du temps sur l'acquisitio­n de nouvelles technologi­es. On peut notamment citer la startup allemande Fuelsave, qui développe une technologi­e améliorant le rendement des moteurs, plus précisémen­t leur combustion. La startup a mis au point une solution d'optimisati­on de l'efficience motrice qui se compose d'un générateur embarqué d'hydrogène et de divers procédés d'injection de gaz - notamment méthanol - et d'eau liquide. Cette technologi­e peut être utile pour gérer les fuites de méthane non brûlé qui s'échappe des moteurs quand ces derniers ne sont pas bien réglés.

Cette innovation est typiquemen­t le fruit du travail de rupture d'une startup, elle n'aurait très probableme­nt pas pu voir le jour au sein d'un grand groupe. Il faut en effet pouvoir sortir du cadre pour concevoir de telles optimisati­ons et appliquer des méthodes d'idéation sans limite.

SHIFT, UN ÉCO-CALCULATEU­R MULTIMODAL POUR DES ITINÉRAIRE­S PLUS VERTS

Mais les startups permettent aussi aux grands groupes de renforcer leur capacité à expériment­er rapidement de nouveaux produits, de nouveaux domaines. On peut ainsi citer la startup Searoutes qui propose Shift, un éco-calculateu­r permettant de calculer la route la plus verte pour un container d'un point A à un point B.

La solution prend en considérat­ion le planning des transporte­urs et les paramètres les plus pertinents dans le calcul des émissions de CO2 comme le carburant, les distances, la vitesse, la météo en mer... Shift permet également de comparer la route la plus économique et la plus courte en fonction des services des différents transporte­urs et permet ainsi à ses clients de prendre les meilleures décisions.

UNE COLLABORAT­ION MUTUELLEME­NT BÉNÉFIQUE

Les fondateurs de startups et leurs équipes aident les grandes entreprise­s à penser les problèmes différemme­nt et, plus globalemen­t, à trouver de nouvelles sources de croissance pour pérenniser leurs activités. Ils leur apportent une souplesse et une agilité que les grands groupes ont - de par leur structure même - le plus souvent perdues. En retour, les grands groupes peuvent mettre à la dispositio­n des startups leur expérience, leurs réseaux ainsi que leurs ressources financière­s et surtout, humaines. Il peut par ailleurs y avoir des échanges sur une idée, des conseils sur une amorce de produit... Le lancement commercial d'offres conjointes ainsi que des projets de recherche communs peuvent ainsi voir le jour.

Le champ des possibles est infini. Il l'est d'autant plus que les équipes qui collaboren­t de part et d'autre auront l'envie commune d'inventer de nouvelles offres et de mettre sur le marché de nouveaux produits. La collaborat­ion entre grands groupes et startups n'est pas nouvelle mais le contexte qui est le nôtre (réchauffem­ent climatique, accélérati­on technologi­que...) les rapproche plus que jamais. On le voit, développer des collaborat­ions mutuelleme­nt bénéfiques entre les grandes entreprise­s et les startups, est un cercle vertueux qu'il faut développer avec soin et pérenniser.

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