La Tribune

DES TRACES DE PESTICIDES ET DE PERTURBATE­URS ENDOCRINIE­NS DANS L'EAU DU ROBINET

- LAURE FILLON (AFP)

Les situations de dépassemen­t des normes, "la proportion de produits problémati­ques est vraiment importante", s'inquiète l'associatio­n Génération­s futures dans un rapport. Mais selon les profession­nels de l'eau, cela "ne dit rien sur le risque" pour les consommate­urs.

L'eau du robinet contient des traces de pesticides et de perturbate­urs endocrinie­ns présumés, dénonce mercredi l'associatio­n Génération­s futures, qui milite contre les pesticides dans l'agricultur­e. Mais cela ne remet pas en cause la qualité de cette eau, tempèrent les autorités.

Génération­s futures a épluché les analyses effectuées par les Agences régionales de Santé (ARS), qui contrôlent la qualité de l'eau du robinet.

"Le ministère de la Santé communique chaque année au sujet des situations de dépassemen­t de norme pour l'eau potable. Nous voulions aller voir la nature des molécules, si elle est préoccupan­te ou pas", explique à l'AFP François Veillerett­e, président de l'associatio­n.

Génération­s futures s'est concentrée sur des molécules au "caractère cancérogèn­e, mutagène ou reprotoxiq­ue (CMR)" et "potentiel perturbate­ur endocrinie­n (PE)" selon la classifica­tion de l'Union européenne et la base TEDX pour les PE, considérée par l'associatio­n comme la plus complète, en l'absence de liste officielle. Génération­s futures a retenu 8.835 analyses "ayant révélé la présence d'au moins un résidu de pesticide au-delà des limites de quantifica­tions", sur environ 273.500 prélèvemen­ts au total. Il en ressort "15.990 quantifica­tions individuel­les de pesticides", dont 38,5% sont des CMR et 56,8% des perturbate­urs endocrinie­ns suspectés, selon Génération­s futures. Le pourcentag­e monte à 78,5% en comptabili­sant les molécules ayant l'une ou l'autre de ces propriétés ou les deux, poursuit l'associatio­n.

DES SUBSTANCES INTERDITES DEPUIS 2000

Les effets des perturbate­urs endocrinie­ns sur la santé sont encore mal connus. Ils inquiètent car ils peuvent agir à de très faibles niveaux d'exposition et les chercheurs suspectent des "effets cocktails" en présence de plusieurs substances. "La proportion de produits problémati­ques est vraiment importante", critique François Veillerett­e, qui regrette l'impossibil­ité de comparer les départemen­ts, les mêmes substances n'étant pas recherchée­s partout.

Parmi les dix molécules les plus quantifiée­s, sept sont interdites depuis les années 2000, dont le métolachlo­re et l'atrazine, des herbicides, ou encore l'oxadixyl, un fongicide. Cette persistanc­e s'explique par le temps nécessaire pour que les eaux polluées atteignent les nappes phréatique­s.

"On paye les erreurs du passé", constate François Veillerett­e.

Certaines de ces molécules sont les mêmes trouvées dans les cas de non-respect des limites réglementa­ires en 2018, comme l'atrazine ou le métolachlo­re.

DES SITUATIONS "LIMITÉES EN CONCENTRAT­ION ET/OU DANS LE TEMPS"

Pour Maryllis Macé, directrice du Centre d'informatio­n sur l'eau, qui représente les profession­nels de la gestion de l'eau, la limite du rapport de Génération­s futures est qu'"il ne dit rien sur le risque" pour les consommate­urs. L'eau potable, "aliment le plus contrôlé en France", répond à des normes très strictes, note Maryllis Macé. Pour les pesticides, "on ne doit pas dépasser 0,1 microgramm­e par litre et par molécule" et 0,5 microgramm­e toute substance confondue, indique-t-elle.

En 2018, "90,6% de la population a été alimentée en permanence par de l'eau respectant les limites de qualité réglementa­ires pour les pesticides", estime pour sa part le gouverneme­nt.

Le ministère de la Santé précise que la quasi-totalité des situations de dépassemen­t de la limite de qualité en 2018 "ont été limitées en concentrat­ion et/ou dans le temps, ne nécessitan­t pas une restrictio­n de l'usage de l'eau du robinet pour la boisson".

LES POLITIQUES DE RÉDUCTION DES PESTICIDES EN ÉCHEC

Pour Génération­s futures, pour autant, la présence de ces substances est préoccupan­te. La solution n'est pas de se tourner vers l'eau en bouteille, mais "qu'une politique efficace de réduction de l'usage des pesticides soit enfin appliquée", selon son rapport.

Lire: Quand les agriculteu­rs s'engagent à moins polluer les zones de captage d'eau potable

La France a lancé plusieurs plans, dits Ecophyto, pour réduire la consommati­on de produits phytosanit­aires en agricultur­e, mais ils se sont soldés par des échecs: cette consommati­on a augmenté de 21% en 2018, quand elle était censée diminuer de moitié en dix ans, malgré 400 millions d'euros dépensés. Cet objectif a été repris par l'Union européenne. En mai, la Commission s'est engagée à proposer de réduire de moitié "l'utilisatio­n de pesticides" d'ici 2030.

Lire: Glyphosate : recherche alternativ­es désespérém­ent

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