La Tribune

A TRIPOLI, LA COLERE DES PLUS PAUVRES FACE AU NAUFRAGE ECONOMIQUE DU LIBAN

- JANA DHEIBY, AFP

Aujourd'hui, 45% de la population libanaise vit sous le seuil de pauvreté, et plus de 35% est au chômage. Pour certains, survivre est devenu un combat de tous les jours.

Rêvant d'une vie meilleure, Ahlam a bravé les périls de la mer pour rejoindre l'Allemagne il y a cinq ans. Mais la mort de son fils l'a obligée à rentrer au Liban, où elle est aujourd'hui prise au piège de l'effondreme­nt économique.

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Dans un immeuble délabré du quartier populaire de Bab al-Tabbané à Tripoli, cette grand-mère âgée de 54 ans évoque une situation insoutenab­le dans la deuxième ville du Liban, une des plus pauvres du pays.

Toute de noir vêtue en signe de deuil, Ahlam se lamente sur son sort: "j'ai fui la pauvreté et les privations [...] pour les retrouver à nouveau".

Elle fait partie des milliers de Tripolitai­ns qui sombrent un peu plus dans la précarité, dans un pays frappé par une profonde crise économique et financière qui a provoqué en octobre un soulèvemen­t populaire inédit.

Avec la dépréciati­on de la livre libanaise et une inflation galopante, son pouvoir d'achat s'est effondré: "il y a des jours où on n'a rien d'autre à manger que des restes".

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Ahlam et son mari ont vendu en 2015 leur mobilier pour pouvoir payer un voyage en Turquie puis un passeur afin de rallier l'Europe.

Ils ont entrepris une périlleuse traversée en mer, à bord d'une embarcatio­n de fortune avec des réfugiés syriens, soudanais, afghans.

Arrivés en Autriche, ils ont marché jusqu'en Allemagne, où réside un de leurs enfants.

Elle dit avoir vécu deux années durant une "vie digne". Mais la mort accidentel­le d'un fils au Liban a contraint le couple à rentrer en 2017, pour s'occuper de sa belle-fille et des deux petits-enfants.

"VOLEURS"

Employée de maison chez une famille aisée de Tripoli, elle est payée chaque mois 500.000 livres libanaises. Soit l'équivalent de 333 dollars avant la crise, selon le taux officiel de 1.507 livres pour un dollar.

Désormais elle touche à peine une centaine de dollars, avec la chute de la monnaie nationale où le taux de change a atteint récemment le seuil historique des 5.000 livres sur le marché parallèle.

"Je dois m'endetter parfois pour acheter de l'huile et du pain", explique Ahlam, alors que l'inflation a bondi de plus de 70% entre octobre et mai.

"Tous les partis nous volent et nous pillent", accuse Ahlam, qui s'en prend surtout aux politicien­s de sa ville, parmi les plus grosses fortunes du pays.

Elle se dit prête à reprendre la mer malgré les périls "pour fuir l'humiliatio­n et un pays en faillite".

Aujourd'hui, 45% de la population libanaise vit sous le seuil de pauvreté, et plus de 35% est au chômage.

À Tripoli, la situation est plus grave: en 2015 déjà, plus de 57% des habitants vivaient sous le seuil de pauvreté, dont 26% dans une extrême pauvreté, selon l'ONU.

"Les responsabl­es sont tous des voleurs", fustige Fayyad Darwich, 55 ans et père de sept enfants.

Ce vendeur de pièces automobile­s a vu son revenu chuter à 20.000 livres par jour (moins de cinq dollars au marché parallèle), alors qu'il doit payer un loyer de 300 dollars par mois.

Il appelle à manifester "pour faire exploser la colère contre les supermarch­és, qui nous volent, et devant les maisons des députés, tous des criminels".

Place forte des manifestat­ions antipouvoi­r, Tripoli a connu la semaine dernière un regain de la contestati­on en plein effondreme­nt de la livre libanaise.

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