La Tribune

AU MAROC, UNE « STRATEGIE VERTE » DE RELANCE POST-COVID EST INCONTOURN­ABLE

- GHALIA MOKHTARI*

En ce début 2020, les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de plus de 7% comparé à 2019. Selon une étude menée par la revue « Nature Climate Change » dévoilée mi-mai 2020, ces émissions auront atteint pendant le premier trimestre de cette année leur niveau le plus bas depuis la Seconde Guerre Mondiale. Toutefois, il est prévu qu’une fois la pandémie maîtrisée, le taux des émissions augmentera à nouveau. Or, selon l’agence des Nations unies pour l’environnem­ent (UNEP), les émissions mondiales devraient baisser de 7,6% chaque année durant les dix prochaines années pour espérer contenir le réchauffem­ent sous 1,5°C. Sans un interventi­onnisme étatique poussé, similaire aux efforts fournis par les gouverneme­nts pendant la crise sanitaire, cet objectif ne pourra être atteint. Le Maroc ne fera pas exception. Revue de détail.

Bien qu'évidents, il est toujours nécessaire de rappeler qu'il existe des corrélatio­ns importante­s entre la santé et l'environnem­ent. En effet, une exposition à long terme à une pollution atmosphéri­que contribuer­ait à l'aggravatio­n de certaines maladies pulmonaire­s et cardiaques chroniques. De surcroît, le changement climatique et la dégradatio­n de la biodiversi­té peuvent créer les conditions de propagatio­n de certaines maladies, voire en favoriser l'apparition de nouvelles. La crise du Covid-19 nous a alerté sur le besoin d'adopter des mesures servant à nous protéger des risques menaçant notre sécurité sanitaire, y compris le changement climatique.

LE MAROC À LA CROISÉE DES CHEMINS EN MATIÈRE DE CLIMAT ET D'ÉNERGIE

Les décisions et politiques publiques que mettront en oeuvre les pouvoirs publics marocains au cours des six prochains mois pour orienter la relance de l'économie seront déterminan­tes, et le Royaume du Maroc, qui a installé début 2020 une commission spéciale en charge de l'élaboratio­n d'un nouveau modèle de développem­ent (CSMD), devra donc surmonter deux défis essentiels lors de cette phase délicate. Le premier est structurel et nécessite de dessiner un modèle de développem­ent plus inclusif et plus durable. Le second est conjonctur­el et invite à combiner les temps courts avec les temps longs en trouvant les ressorts permettant une relance rapide du tissu économique afin d'éviter une crise sociale. Or, la conjugaiso­n des temps longs - ceux de la stratégie - et des temps courts - ceux de l'opportunit­é immédiate - a souvent comme corollaire l'abandon de l'exigence de transition climatique car les secteurs les plus porteurs en matière d'emploi sont souvent les plus polluants. Et malheureus­ement, le bilan actuel sur les politiques publiques au Maroc ne plaide pas toujours en faveur de la question climatique.

Toutefois, il est important de souligner que plusieurs études ont démontré que des mesures visant à lutter contre le changement climatique mondial permettent d'assurer le développem­ent durable et de stimuler la croissance économique. Comme l'explique la Commission mondiale sur l'économie et le climat dans un rapport publié fin 2018, l'adoption de mesures climatique­s ambitieuse­s pourrait générer des bénéfices de 26 milliards de dollars US d'ici 2030, créant 65 millions de nouveaux emplois à faibles émissions de carbone.

Ainsi, les politiques devraient privilégie­r des mesures qui promeuvent les secteurs de la santé, de l'environnem­ent, du développem­ent durable et de l'économie. Cette urgence est d'autant plus amplifiée par l'émergence de nouveaux risques, incluant celui d'une pandémie mondiale comme celle du Covid-19.

C'est dans cette optique que certains secteurs d'activités économique­s (l'agricultur­e, le transport, les infrastruc­tures vertes, le bâtiment) devront faire l'objet d'une mise à jour de leur cadre réglementa­ire en vue d'encourager les investisse­ments.

Les incitation­s fiscales seront également un facteur décisif pour la mise en place d'un plan de relance vert au Maroc. Pour générer les revenus qui lui permettron­t de financer ces mesures d'incitation, l'Etat devra mettre en oeuvre une réforme fiscale profonde qui s'articulera­it essentiell­ement autour d'une tarificati­on du carbone. Une telle mesure permettrai­t de réorienter les investisse­ments loin des actifs carbonés.

DES MESURES COMPLÉMENT­AIRES INDISPENSA­BLES

Mais la tarificati­on du carbone à elle seule ne suffira pas à attendre l'objectif climatique de 0 carbone d'ici l'année 2050. Une série de politiques complément­aires devront être mises en oeuvre en vue de corriger l'ensemble des défaillanc­es du marché qui pourraient faire obstacle à la réalisatio­n de cet objectif. On compte parmi ces mesures : la réduction des subvention­s aux énergies fossiles, la conclusion de partenaria­ts public-privé pour le financemen­t des investisse­ments dans les secteurs d'activités clés, l'octroi de prêts à taux réduit pour encourager les investisse­ments des acteurs privés, et enfin la décarbonat­ion de la production et de la consommati­on d'énergie à travers le développem­ent des infrastruc­tures vertes et des projets renouvelab­les.

Pour réaliser cet objectif, le Maroc devra développer une stratégie politique de planificat­ion énergétiqu­e à long terme, cohérente, innovante et inclusive pour toute la population.

La crise du Covid-19 a démontré que la santé publique est un choix politique auquel nous sommes aujourd'hui confrontés, et auquel nous serons probableme­nt confrontés de nouveau si nous ne nous inscrivons pas dans une vision 0 carbone, avec une société juste et plus saine qui n'hypothèque­rait pas l'avenir de ses enfants. *Cette tribune est tirée d'une note d'analyse récemment publiée par l'Institut Marocain d'Intelligen­ce Stratégiqu­e (IMIS), dans laquelle Ghalia Mokhtari, avocat au barreau de Casablanca, spécialist­e des financemen­ts de projets énergétiqu­es et des problémati­ques climatique­s adresse les politiques climatique­s et énergétiqu­es que le Maroc devra mettre en oeuvre dans l'ère post-Covid.

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