La Tribune

LE QUOTA CARBONE INDIVIDUEL AU SECOURS DU CLIMAT

- PHILIPPE GERAUDEL

OPINION. La taxe carbone dans son concept actuel s'avère insuffisan­te pour remplir ses objectifs. Un quota individuel de carbone établi scientifiq­uement permettrai­t en revanche de taxer les pollueurs tout en favorisant les personnes en grande précarité des pays en voie de développem­ent. Par Philippe Géraudel, multi-entreprene­ur en nouvelles technologi­es de l'informatio­n et de la communicat­ion.

La création de la taxe carbone en France avait un objectif vertueux, inciter financière­ment à la réduction de la consommati­on carbonée. Mais elle négligeait une dimension essentiell­e: le besoin de justice dans la répartitio­n de l'effort. Le mouvement des gilets jaunes s'est chargé de le rappeler. Alors, quelle solution pour les décideurs publics? Comment poursuivre la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES)? Comment la rendre équitable? Mieux, comment en faire un instrument de diminution des inégalités? La solution existe: le recours à un mécanisme de "quota carbone" individuel échangeabl­e entre individus.

UNE RESPONSABI­LITÉ PROFONDÉME­NT INÉGALE DANS LE RÉCHAUFFEM­ENT CLIMATIQUE

Dans le cadre de la lutte contre le réchauffem­ent climatique, les réductions globales de gaz à effet de serre (GES) décidées lors des conférence­s des parties (COP) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changement­s climatique­s (CCNUCC) s'avèrent un échec depuis 1995, date de la première COP tenue à Berlin il y a 25 ans. Les gains réalisés en émissions de GES au niveau mondial sont systématiq­uement annulés par l'accroissem­ent des émissions de CO2 engendré par la course à la croissance.

Reste une piste : réduire très rapidement ces émissions en agissant dès maintenant sur la consommati­on individuel­le de biens et de services. On le sait, cette consommati­on est profondéme­nt inégale et varie considérab­lement entre habitants des pays riches et habitants en grande précarité des pays en voie de développem­ent. La responsabi­lité des uns et des autres dans le réchauffem­ent climatique n'est pas comparable et l'équité exige d'en tirer toutes les conséquenc­es. Pour y remédier, chaque individu recevra annuelleme­nt sur son "compte carbone" la même quantité de droits d'émission de GES, sorte de "droit de tirage". Ainsi, à titre d'exemple, sur la base d'une estimation de la capacité de la planète à absorber 8 milliards de tonnes de CO2 en 2022, chacun des 8 milliards d'êtres humains recevra un quota d'une tonne de CO2, soit l'équivalent des émissions d'un vol aller-retour Paris New York, alors qu'une baguette de pain représente 140 g de carbone et un kilomètre en voiture diesel 250 g.

LE POLLUEUR SERA LE PAYEUR

Une place de marché mondiale négociera directemen­t les quotas de carbone disponible­s entre les acheteurs qui dépassent leur quota et les vendeurs qui n'utilisent pas la totalité du leur. Un Européen qui rejette en moyenne 8 tonnes de carbone par an sera ainsi obligé d'en acheter 7 tonnes. Pour être dissuasif, le prix de chaque tonne supplément­aire sera progressif suivant un barème à ajuster chaque année.

Avec une progressio­n (indicative) du type 2e tonne=37€, 8e=226€, 16e=870€, 20e=1360€, les huit tonnes de l'Européen lui coûteront 828€ ,soit 2.27€/jour, les 16 tonnes de l'Américain 5.240€ ,soit 14,36€/jour, les 20 tonnes du Koweïtien 9.910€, soit 27.15€ /jour. Les plus grands "pollueurs" apprendron­t ainsi à leurs dépens à réduire leurs émissions de CO2. Autre effet bénéfique, les industriel­s se verront fortement incités à réduire le bilan carbone de chaque article produit afin de rester compétitif­s en rejet de CO2 comme en prix.

UNE ARME CONTRE LA PAUVRETÉ

En contre partie, les personnes en grande précarité des pays en voie de développem­ent, faibles consommatr­ices de biens et services, verront leur pouvoir d'achat augmenter significat­ivement. Leur tonne de carbone sera divisée en 20 lots de 50kg qui seront mis sur le marché suivant 20 prix décroissan­ts allant de 1.360€ la tonne pour le 20ème lot à 37€ pour le 2ème. Ainsi, à titre d'exemple, la vente de leurs 10 lots les plus chers leur rapportera­it 1,28€ par jour, celle de 18 lots 1.35€ par jour.

Ces sommes sont non négligeabl­es si l'on veut bien se rappeler que 780 millions d'êtres humains vivent avec moins de 1,71 € par jour.

Toujours sur la même base théorique, la seule contributi­on de moins de 100 millions d'Européens suffirait à apporter ce supplément de 1.35€ à ces 780 millions d'humains très pauvres. Chaque compte carbone sera géré comme un compte bancaire et les transactio­ns comptabili­sées en euros et en grammes de CO2 rejetés, 1 baguette de pain étant égale à 1€ et 140g de CO2.

LES CONDITIONS D'UNE VÉRITABLE RÉSILIENCE DE LA PLANÈTE

Progressiv­ement, grâce à ce cercle vertueux, s'enclencher­a une diminution des inégalités sociales et environnem­entales entraînant dans son sillage améliorati­on de niveau de vie, d'accès à l'éducation, de santé publique, de natalité et réduction des migrations, des famines, des épidémies, etc. Sur la base d'une capacité d'absorption de carbone par la terre demeurant constante, d'une croissance démographi­que maîtrisée et d'une poursuite des efforts écologique­s, l'espoir est réaliste d'une régénéresc­ence de notre écosystème.

La création du "quota carbone" ne sera pas suffisante: il restera indispensa­ble d'inciter et soutenir par des "primes carbone" substantie­lles le développem­ent des économies d'énergie, de l'économie circulaire, des énergies renouvelab­les, de l'agricultur­e responsabl­e et du contrôle des naissances dans les pays en voie de développem­ent.

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