La Tribune

LE LOGEMENT AU COEUR DU DEFI SOCIAL A RELEVER

- GAEL PERDRIAU

OPINION. Le monde de l’après-Covid devrait face à une crise économique sans précédent. Pour pallier cette déflagrati­on tout en réduisant les inégalités, il faut favoriser l’accès à la propriété des plus modestes afin de redynamise­r notre modèle social. Par Gaël Perdriau, maire de Saint-Etienne, président de Saint-Etienne Métropole et vice-président Les Républicai­ns.

La crise sanitaire va entraîner une crise économique d'une rare intensité. Le premier Ministre a annoncé, lors de sa conférence de presse du 19 avril, qu'en 2020, la France allait connaître une récession de 8 % ce qui se traduira, très probableme­nt, par une hausse du chômage. Une crise économique, se doublant, inévitable­ment, d'une crise sociale d'une ampleur rarement connue, qui pourrait, si rien ne devait être fait, déstabilis­er notre système politique par le renforceme­nt des populismes profitant du désarroi des Français. Alors que le taux de chômage progresse de manière exponentie­lle aux Etats-Unis, nous ne connaîtron­s pas immédiatem­ent, en France, l'étendue de ce désastre social. En revanche, nous pouvons être certains qu'il se produira.

Une crise qui viendra amplifier les problèmes structurel­s de notre société plaçant au premier rang la question sociale. Nous aurions tort de penser que la solution découlerai­t d'un train de mesures classiques auxquelles nous sommes habitués. Nous devons, obligatoir­ement, placé la question sociale au coeur même des politiques publiques pour impulser une logique de fonctionne­ment de notre société complèteme­nt nouvelle.

RÉTABLIR L'ASCENSEUR SOCIAL

A ce titre, la question du logement est au coeur du défi social, la plus importante qui soit. Nous ne saurions rétablir le fonctionne­ment de notre ascenseur social, fondé sur le mérite républicai­n, où l'école doit jouer un rôle central, sans donner un vrai corps à cette notion de parcours résidentie­l qui permet d'évoluer dans des logements de qualité et dignes, et adaptés aux besoins et capacités réels de chacun aux différents stades de sa vie.

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La crise du logement est une donnée récurrente de la vie publique depuis trop longtemps. Les gouverneme­nts se sont succédé sans jamais réussir à la résoudre et les Français se sont enfermés dans une équation insoluble où leurs capacités financière­s sont de plus en plus contrainte­s. Ainsi, selon la Commission des comptes du logement, la part des dépenses, dans le budget des ménages, consacrée au logement à plus que doublée en 60 ans passant de 11% à 27%, alors même que le poids des dépenses consacrées à l'alimentati­on a été divisé par deux sur la même période.

Les faits donneraien­t-ils raison à Alain lorsqu'il écrit : « On conçoit un état où l'homme se nourrirait sans peine ; mais rien ne le dispensera de dormir, si fort et si audacieux qu'il soit, il sera sans perception­s, et par conséquent sans défense, pendant le tiers de sa vie à peu près. Il est donc probable que ses premières inquiétude­s lui vinrent de ce besoin-là ; il organisa le sommeil et la veille » ? Comment organiser son sommeil en dehors d'un logement digne ?

L'INQUIÉTANT DÉCROCHAGE DU POUVOIR D'ACHAT

Pour expliquer cette situation qui enferme plus de 15 millions de personnes dans des situations tragiques, on peut avancer trois raisons. D'abord, la hausse des dépenses courantes des occupants : + 188 % depuis 1990, soit une augmentati­on moyenne annuelle de près de 7 %. Selon l'Insee, c'est notamment le cas des loyers dont l'indice a grimpé de plus de 78 % depuis 1990. Ensuite, la hausse des dépenses d'investisse­ment (acquisitio­n des logements et des terrains à bâtir mais aussi coût des travaux d'entretien et de rénovation) qui ont progressé de 114 %, soit une hausse annuelle de 4 %, depuis 1990. Enfin, le décrochage du pouvoir d'achat qui, depuis 1960, ne cesse de régresser. Nous sommes passés de phases de progressio­n annuelle comprises entre 8 et 10 % à un palier, depuis 2010, ne dépassant jamais 2 % avec des phases de recul très marquées, notamment à la suite des crises financière­s.

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Très concrèteme­nt, le coût social de cette situation est immense. Ainsi, 1,2 million de locataires sont en situation d'impayés de loyers ou de charges et risquent l'expulsion, selon la Fondation Abbé Pierre (FAP). En 2018, le nombre d'expulsions locatives a atteint un nouveau record, avec plus de 36 000 personnes expulsées avec concours de la force publique, une hausse de 2,9 % sur un an. Un chiffre qui pourrait être nettement supérieur, car selon la FAP les ménages partent de leur logement avant que ne soient lancées les opérations d'expulsion.

VISER 70 % DE PROPRIÉTAI­RES D'ICI À 10 ANS

Aujourd'hui, la France ne compte que 58 % de propriétai­res ce qui reste, pour de nombreux spécialist­es, un chiffre très faible comparé à nos voisins. L'Espagne ne compte que 22 % de locataires, l'Italie 27 % et la moyenne de l'UE est de 31 %. Affichons notre volonté d'atteindre le seuil de 70 % de propriétai­res d'ici à dix ans. Offrons la possibilit­é, même aux plus modestes, de réaliser le rêve de la propriété ; ce qui donne, aussi, à chacun un capital qui pourra le protéger des aléas de la vie. Considéron­s que ce seuil de 70 % est celui d'une immunité sociale collective !

Une telle politique replacera immédiatem­ent les personnes au centre de l'action publique. Une telle politique répondra aussi au défi posé par l'enlisement de la notion de parcours résidentie­l comme en témoigne la durée moyenne de présence dans le logement social passé de dix ans, au début des années 2000, à quinze ans aujourd'hui. Justement, c'est en ayant une politique extrêmemen­t ambitieuse, en faveur des bénéficiai­res de logements sociaux, que nous pourrons atteindre l'objectif fixé.

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En favorisant l'accession à la propriété notamment pour nos concitoyen­s les plus modestes. Eux qui passent, trop souvent, toute leur vie dans le parc social de collectivi­tés et autres bailleurs sociaux (on compte 23 % de retraités vivant en HLM). Ce parc accueille, dans ses 4,6 millions de logements, 10 millions de nos compatriot­es dont plus de 30 % pour les seuls Quartiers politiques de la ville pour un loyer moyen estimé à 400 euros mensuels. Considéron­s alors que ce loyer, versé sur une durée moyenne de quinze ans, représente un apport en capital en vue de l'acquisitio­n du logement occupé.

UNE POLITIQUE D'ENCOURAGEM­ENT FISCALE

Ceci favorisera­it, sous certaines conditions de durée d'occupation un bon moyen pour développer une véritable « démocratie de propriétai­res », créant un effet de richesse dans les couches les plus modestes de la société qui disposerai­ent, dès lors, d'un capital transmissi­ble pouvant bénéficier d'avantages fiscaux qu'il faudrait déterminer avec soin.

En trouvant ce point d'équilibre, représenté par une valeur de cession juste, nous rendrions possible l'accession à la propriété du plus grand nombre, tout en garantissa­nt aux offices HLM un volume de ressources nouvelles. A cet effet, il faudrait une politique d'encouragem­ent fiscal, destinée à favoriser la rénovation des immeubles d'autant plus indispensa­ble que se constituer­ait, à terme, un marché de l'immobilier spécifique favorisant, on peut le souhaiter, une forme de mixité sociale.

La République doit répondre au défi social qui est désormais devant elle. La crise sanitaire que nous traversons fait peser une menace réelle sur notre modèle social et politique et, au-delà de la nécessaire relance économique qu'il faudra conduire, nous devons prendre le virage d'un renouveau de la citoyennet­é en favorisant l'accès à la propriété de plus modestes. La France a besoin de construire un nouveau pacte social fondé sur plus de justice, il s'agit de l'essence même de notre République.

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