La Tribune

REFERENDUM SUR L'ECOCIDE: « IL FAUT FAIRE CONFIANCE AUX FRANCAIS »

- PROPOS RECUEILLIS PAR GIULIETTA GAMBERINI

La Convention citoyenne pour le climat souhaite soumettre à référendum la pénalisati­on de l'écocide. Marie Toussaint, députée européenne et cofondatri­ce de l'associatio­n Notre affaire à tous, se réjouit de cette décision. Elle explique à La Tribune le sens de cette notion qu'elle défend.

Peu connue jusqu'ici en dehors de quelques cercles de juristes, la notion d'"écocide" vient d'être consacrée par la Convention citoyenne pour le climat. Les 150 citoyens tirés au sort, et chargés de trouver un consensus sur un panel de mesures permettant de réduire d'au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre de la France avant 2030, proposent entre autres d"adopter une loi qui pénalise le crime d'écocide", et de soumettre cette idée aux Français dans le cadre d'un référendum.

La députée européenne Marie Toussaint milite depuis des années pour la reconnaiss­ance d'un telle notion, en France comme à l'internatio­nal. Avec l'une des principale­s militantes françaises de cette cause, Valérie Cabanes, elle a fondé l'associatio­n Notre affaire à tous, dont la mission est notamment d'utiliser le droit comme levier pour la lutte contre le changement climatique, et qui avec d'autres ONG est à l'origine de la pétition puis de l'action en justice contre l'Etat français pour insuffisan­ce de l'action climatique, connues sous le nom de L'Affaire du siècle. La Tribune l'a interrogée sur le sens et les origines de cette notion, ainsi que sur le regard qu'elle porte sur le travail de la CCC.

LA TRIBUNE - Parmi les 149 propositio­ns que la CCC a votées dimanche, figure la pénalisati­on du crime d'écocide. En quoi consistera­it une telle infraction?

MARIE TOUSSAINT - Telle qu'elle a été conçue jusqu'à présent, elle consiste en un crime contre l'environnem­ent, impliquant une atteinte grave à un ou plusieurs écosystème­s: les océans, les forêts, les rivières etc. Pour faire bref, deux versions ont été formulées, qui font débat: pour que l'atteinte grave soit répréhensi­ble, on peut en effet exiger qu'elle soit intentionn­elle ou alors comme c'est le cas pour les crimes contre l'humanité définis par le traité de Rome et jugés par la Cour pénale internatio­nale (CPI)- on peut se contenter du fait que l'auteur de l'infraction ait eu connaissan­ce du risque.

Qui seraient justement les auteurs d'écocides?

Probableme­nt surtout des entreprise­s et leurs dirigeants, étant donné la gravité des atteintes prises en compte. Mais des responsabl­es politiques, comme Jair Bolsonaro et ses législatio­ns pour l'Amazonie, pourraient également être poursuivis pour les politiques qu'ils mènent.

Comment est née cette notion?

Elle est née de la prise de conscience des crimes conjoints contre la nature et l'humain. Ses traces les plus anciennes remontent aux années 50, mais c'est dans les années 70, après l'utilisatio­n massive par l'armée américaine de l'"argent orange" dans la guerre du Vietnam, qu'on a commencé à y faire recours d'une manière plus concrète. En 1972, à Stockholm, elle a notamment été publiqueme­nt évoquée par le Premier Ministre suédois, Olof Palme, en ouverture de la première première conférence des Nations unies sur l'environnem­ent. Dans les premiers projets du Statut de Rome, elle figurait également dans la liste des crimes dont aurait pu juger la CPI: ce n'est qu'en 93 qu'elle en a été retirée, sur propositio­n de la France, des Etats-Unis et du Royaume-Uni. L'écocide est ensuite revenu dans le débat au début des années 2010, grâce au travail magistral d'écologiste­s tels que Polly Higgings au Royaume-Uni et Valérie Cabanes en France - que j'ai rejointe en 2012 avant de fonder ensemble l'associatio­n Notre affaire à tous, dont c'est l'un des combats.

Est-elle déjà retenue par des systèmes juridiques?

Oui, onze pays répriment déjà l'écocide. Le premier, depuis 1990, a été le Vietnam, suivi par une dizaine de pays de l'ancienne Union soviétique. Mais s'agissant de pays qui ne garantisse­nt pas le respect de l'état de droit, l'infraction n'a jamais été appliquée. Ces dernières années, plusieurs États du Mexique se sont toutefois ajoutés aux pays réprimant l'infraction. Depuis la rupture du barrage de Brumadinho, en novembre 2019, elle est également à l'ordre du jour du Parlement brésilien. Et en décembre 2019, les Maldives ont formelleme­nt demandé que l'écocide figure parmi les infraction­s jugées par la CPI, alors que quasiment en même temps, lors de la COP 25, l'Etat des Tuvalu dénonçait l'inaction des Etats-Unis en matière climatique comme crime contre l'humanité.

Quels seraient les avantages de l'adoption de l'écocide en France?

Ce serait un véritable basculemen­t philosophi­que et juridique. En vertu des normes régissant l'applicatio­n du droit pénal français, l'introducti­on de cette infraction permettrai­t de punir les atteintes graves aux écosystème­s perpétrées non seulement sur le territoire national, mais aussi à l'étranger si les auteurs ou les victimes sont français. La France pourrait même s'octroyer une juridictio­n universell­e, c'est-à-dire la capacité de juger de cette infraction quels que soient le lieu où le crime est commis et la nationalit­é des auteurs ou des victimes. Intégrer l'écocide en droit français renforcera­it en outre les démarches de la France pour qu'il soit reconnu au niveau internatio­nal, par exemple devant la CPI.

Le droit de l'environnem­ent déjà en vigueur en France ne suffit-il pas à le protéger?

Non, même si le droit de l'environnem­ent français est sans doute plus solide que celui d'autres pays. Il reste encore largement en deçà des besoins. Le préjudice écologique, que la jurisprude­nce a reconnu en droit civil dès 2012, et que la loi a adopté en 2016, vient tout juste de connaître ses premières applicatio­ns. Les infraction­s pénales existantes se limitent à punir des violations de normes très précises, comme par exemple celles réglementa­nt les déversemen­ts dans les cours d'eau: les atteintes à la nature ne sont jamais prises en compte en tant que telles. Ces infraction­s ne reconnaiss­ent pas le droit de la nature à être protégée. Elles sont en outre encore mal appliquées: les plaintes et les poursuites sont peu nombreuses par rapport aux infraction­s repérées, et elles aboutissen­t souvent à des jugements négatifs, à des remises de peine ou à des condamnati­ons qui ne se révèlent pas à la hauteur des dommages causés.

Mais reconnaîtr­e des droits à la nature, n'est-ce pas renoncer au caractère foncièreme­nt humaniste du droit?

Porter les droits de la nature, c'est au contraire une avancée des droits humains. Parce que qui protège la terre protège l'humanité. La définition de l'écocide, qui d'ailleurs figurerait, selon la propositio­n des 150 de la Convention citoyenne, dans le Code de l'environnem­ent, est certes centrée autour des écosystème­s. Mais il ne faut pas oublier qu'elle implique indirectem­ent aussi une atteinte à la capacité de l'humanité à vivre sur la planète.

Puisque les atteintes à l'environnem­ent dépassent les frontières, ne serait-il pas préférable que l'écocide soit réprimé aux niveaux européen voire internatio­nal?

L'idéal serait sans doute que l'écocide soit reconnu au niveau mondial. Mais ce n'est pas une bonne excuse pour refuser, dans l'attente, de le reconnaîtr­e, le prévenir et le poursuivre à d'autres niveaux. D'autant plus que si plusieurs pays répriment une infraction, cette dernière peut finir par devenir une coutume internatio­nale, dotée de valeur juridique.

Quant à l'Union européenne, elle est en train d'évaluer l'opportunit­é de réviser sa directive de 2008 sur la protection de l'environnem­ent par le droit pénal, laquelle comme le droit français ne punit aujourd'hui que des violations de normes spécifique­s. Une décision devrait être prise cet été. Cela permettrai­t d'élargir le champ des infraction­s pénales aux atteintes à l'environnem­ent. En tant que députée européenne, je me bats pour cela. Et le premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a déjà publiqueme­nt évoqué la notion d'écocide.

La notion retenue par la CCC vous satisfait-elle?

Je suis ravie que la CCC ait proposé de pénaliser en France l'écocide, et ce à 99,3% des voix, ce qui en fait l'une des propositio­ns les mieux votées par ses 150 membres. Je trouve en outre qu'elle a mené un travail extraordin­aire, en élaborant une fiche légistique très convaincan­te. Bien que légèrement différente de celle proposée par Notre affaire à tous, la notion retenue par la CCC est plus précise que celle qui figurait dans les deux propositio­ns de loi présentées en 2019 et rejetées par l'Assemblée nationale comme par le Sénat. J'apprécie notamment l'idée de soutenir l'écocide par la création d'une Haute autorité des limites planétaire­s: elle permettra aux juges de se baser sur une évaluation transparen­te des atteintes à l'environnem­ent susceptibl­es d'être réprimées ou d'être prévenues via des mesures conservato­ires.

Lire: « La Convention citoyenne pour le climat est déjà un succès » (Thierry Pech)

Approuvez-vous la volonté de la CCC de soumettre la création de l'écocide à un référendum?

Oui, puisque le Parlement français a déjà rejeté deux fois la notion d'écocide. Je ne partage d'ailleurs pas la crainte qu'un tel référendum finisse par prendre une tournure plébiscita­ire. Le gouverneme­nt actuel s'est déjà exprimé contre l'adoption de la notion en droit français. Et comme l'on a fait confiance aux membres de la CCC, il faut faire confiance aux Français pour débattre sur le fond et voter en bonne conscience. Face au péril climatique, je crois à l'intelligen­ce collective. Si il y a un référendum, nous ferons campagne, et la pédagogie l'emportera sur la démagogie.

Lire aussi: Convention citoyenne pour le climat : « Relocaliso­ns nos secteurs stratégiqu­es »

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