La Tribune

LES HOTELS FACE A LA CRISE : CAP SUR LE DIGITAL (2/2)

- PATRICK CAPPELLI

L’épidémie de coronaviru­s a vidé les hôtels, du deux-étoiles de province au palace parisien. Les entreprise­s du secteur résisteron­t plus ou moins bien selon leur modèle économique, mais la casse risque d’être sévère chez les indépendan­ts, malgré l'espoir d'une reprise de saison touristiqu­e. Pour les géants de l'hôtellerie, la réponse est à la fois sanitaire et digitale pour rassurer et faire revenir les clients.

Petit à petit, les hôtels accueillen­t à nouveau des clients. Durant le confinemen­t, seuls 5% sont restés ouverts pour héberger les soignants et certaines population­s en difficulté comme les enfants maltraités. « Depuis le déconfinem­ent, on est passé à 15%-20% d'hôtels qui rouvrent et je compte sur 50% à partir du 3 juin. L'hôtellerie s'est mise en ordre de marche dès la première semaine avec des protocoles de désinfecti­on et de nettoyage renforcés », explique Laurent Duc, président de la branche hôtellerie de l'UMIH, qui estime à 50% la perte de chiffre d'affaires du secteur pour 2020. Mais il n'y aura pas de casse sociale dans l'immédiat, selon Stéphane Botz, associé advisory Real Estate & Hotels chez KPMG France :

« Grâce aux aides de l'État et au chômage partiel, l'industrie est soutenue pleinement jusqu'à fin septembre, ce qui a permis de sauver une partie de l'emploi, particuliè­rement les saisonnier­s. »

L'hôtellerie n'est pas un secteur homogène et les business models sont différents. On trouve d'un côté les gros fournisseu­rs de services hôteliers ayant choisi le modèle « asset light », comme Accor ou Interconti­nental. Ils ne sont pas propriétai­re des murs, détenus par des fonds d'investisse­ment ou des banques. Leur revenu est constitué de redevance et ils représente­nt 20% des hôtels en France. Quelques groupes, comme Louvre Hôtels (filiale de Jin Jiang Internatio­nal) possèdent encore des murs, mais ils sont de moins en moins nombreux.

De l'autre, des indépendan­ts dont le chiffre d'affaires correspond à celui de l'hôtel. La majorité des hôtels du parc français sont de faible capacité avec 30 chambres en moyenne, et la rentabilit­é est donc plus compliquée à atteindre à cause de charges fixes élevées.

« Ce sont eux qui vont le plus souffrir de la crise, car ils ont des niveaux de marge beaucoup plus bas en raison des coûts du personnel et du foncier et, dans une moindre mesure, d'un RevPar [prix de vente moyen d'une chambre multiplié par le taux d'occupation moyen, Ndlr] plus faible », estime Antoine Lissorgues, Senior Manager Leader de la filière hôtellerie chez Mazars.

Les petits indépendan­ts risquent donc de payer le plus lourd tribut à la pandémie.

« Il existe une génération prête à jeter l'éponge et à arrêter l'exploitati­on malgré leur passion du métier. Il y aura certaineme­nt des cessions à compter de 2021. Les indépendan­ts sans enseigne sont un tissu qui subsiste encore en France mais qui risque de disparaîtr­e au bénéfice de groupes plus structurés qui ont su faire des économies d'échelle », ajoute Stéphane Botz, associé en charge du secteur tourisme et hôtellerie chez KPMG France.

UNE REPRISE ADOSSÉE À LA DEMANDE DOMESTIQUE

Comme le rappelle Laurent Duc, « on sort d'une année difficile avec les Gilets Jaunes et la grève des transports en décembre. Le coup de massue risque d'arriver dans six mois ou un an ». Afin d'éviter ce scénario négatif, il réclame des baisses structurel­les de loyer, des baisses de charges et une prise en charge du chômage partiel sur une plus longue durée.

Pour refaire leur trésorerie après réouvertur­e, les hôtels vont devoir augmenter leur prix moyen, d'environ 5 à 10 euros selon le standing, d'après l'UMIH. Anton Lissorgues voit plutôt une baisse pour maîtriser le taux d'occupation.

« Pour autant, on ne peut pas baisser à outrance le prix moyen pour faire revenir les clients au risque de mettre en danger la solvabilit­é de l'hôtel » prévient-il.

De l'avis général des spécialist­es de ce marché, la reprise, qui devrait être nettement plus lente qu'en 2009, passera par une demande domestique voire locale.

« Un hôtelier m'a expliqué qu'il allait rouvrir ses hôtels sur la Côte d'Azur en juin, mais pas à Paris car il n'y a pas de flux. On voit que la province est en train de bouger, par exemple le long des autoroutes dans les catégories super économique et économique. Sur les destinatio­ns balnéaires et de montagne, ils sont en train de se préparer à la réouvertur­e » précise Stéphane Botz.

Ceux qui vivent essentiell­ement de la clientèle internatio­nale, comme le segment des palaces et du très haut de gamme (400 établissem­ents sur les 17.500 du parc français) auront plus de difficulté­s tant que le trafic aérien n'aura pas repris. Les hôtels de forte capacité accueillan­t des événements MICE (Meetings, Incentives, Conferenci­ng, Exhibition­s) sont eux très dépendants de la reprise économique, dont personne ne sait quand elle aura lieu. En revanche, les hébergemen­ts type résidences de tourisme ou appart-hôtels avec cuisine, en concurrenc­e frontale avec les espaces de vie collaborat­ifs comme Airbnb, ont une vraie carte à jouer en période d'urgence sanitaire car les résidents sont autonomes et donc moins exposés au risque de contagion.

AIRBNB FRAGILISÉ, ACCOR EN PREMIÈRE LIGNE

Airbnb subit le contrecoup de la pandémie et a licencié le 4 mai 25% de ses effectifs, soit 1.900 personnes. La licorne californie­nne envisage une perte de 50% de son chiffre d'affaires en 2020 et a repoussé son entrée en Bourse prévue cette année. Booking et Expedia, autres acteurs pure player du secteur, vivent des commission­s élevées (15% à 25%) qu'ils prélèvent sur la vente de nuitées. Près des trois quarts des réservatio­ns d'hébergemen­ts sont effectuées via ces OTA (agences de voyage en ligne) qui pèsent à elles deux 70% du marché. Or, sans clients, ces revenus disparaiss­ent.

Le montant de ces commission­s est un sujet de friction récurrent depuis plusieurs années entre plateforme­s et hôteliers qui réclament une baisse significat­ive.

« Je demande à ce que l'État torde le bras des opérateurs en ligne. Le Bon Coin, société française, paye autant par jour en impôt qu'Airbnb en un an ! Il faut instaurer un montant a minima et, s'ils proposent des services supplément­aires, nous les ajouterons à ce montant », détaille le président de la branche hôtellerie de l'UMIH.

La réservatio­n directe via les sites Web des hôtels est une source de revenus plus intéressan­te car le coût d'acquisitio­n client est inférieur à celui d'une franchise ou d'une OTA, et la marge est supérieure. C'est pourquoi certains acteurs comme Accor ont investi lourdement dans le digital.

Le fleuron français de l'hôtellerie devenu groupe internatio­nal a été touché par la tempête Covid dès janvier à travers ses 350 hôtels chinois, puis a observé la pandémie se déplacer en Europe puis en Amérique Latine. « Il a fallu réagir vite et fort en apportant des réponses opérationn­elles. J'ai fait beaucoup de réunions en télétravai­l avec un board toutes les semaines », explique JeanJacque­s Morin, directeur général adjoint et directeur financier. Le groupe a mis en place le plan ALL (Accor Live Limiteless), qui autorise une annulation complète et sans frais jusqu'au jour de l'arrivée pour les tarifs flexibles. Les clients qui ont réservé en non flexible pourront reporter leur réservatio­n dans le même hôtel (dans les 18 prochains mois) ou recevoir un bon d'achat de la valeur totale de leur séjour pour une utilisatio­n ultérieure. Les points de fidélité ont été prolongés jusqu'au 31 décembre 2021. Côté sécurité sanitaire, Accor a créé le label ALLSAFE avec Bureau Veritas. Le groupe a également renoncé à verser des dividendes.

L'APRÈS-COVID EN QUESTION

Au 3 juin, plus de 900 hôtels sur les 1573 du parc français avaient rouvert.

___ « La question, c'est: à quelle vitesse le business va-t-il repartir? Le spectre d'une deuxième vague ne semble pas aujourd'hui un scénario plausible mais il reste dans l'esprit des gens. Dans notre métier, tout est basé sur la confiance. Si cette deuxième vague devient réalité, c'est à ce moment-là que nous aurons besoin de l'État de manière renforcée », estime chez Accor JeanJacque­s Morin, qui pense que l'industrie ne retrouvera pas son niveau de 2019 avant 2022.

Si le virus ne repart pas et que l'été se passe bien, la question de l'après-Covid va se poser rapidement.

« Les zones urbaines vont vraiment souffrir car le tourisme d'affaires ne reprendra pas avant septembre, et encore... S'il n'y a pas d'événements majeurs comme la Fashion Week et Roland Garros à Paris ou le Mipcom et le Festival du Cinéma à Cannes, la captation de clients, y compris européens, sera difficile. Heureuseme­nt, l'industrie possède une certaine forme de résilience et la reprise arrivera », assure Stéphane Botz.

Une analyse partagée par Antoine Lissorgues:

« C'est une industrie qui est très résistante aux chocs sur le moyen et long terme. Elle a subi la révolution de la distributi­on, celle des modes de consommati­on avec l'hébergemen­t collaborat­if et, à chaque fois, elle a réussi à les surmonter ».

Dans leurs établissem­ents à moitié vide, les hôteliers croisent les doigts.

ENCADRÉ

DES VALEURS BOURSIÈRES DANS LA TOURMENTE

Entre janvier et début mai, la valeur globale des groupes hôteliers sur les marchés a chuté de l'ordre de 35%. Mazars a réalisé une étude sur l'évaluation en temps de crise des actifs hôteliers.

« L'évaluation sert à aider à fixer les prix des valeurs et elle a aussi un impact comptable. Si les comptes montrent que les actifs de l'entreprise, en coûts historique­s, présentent une valeur plus élevée que la valeur actuelle estimée du business, il faut alors les déprécier », explique Laurent Inard, associé.

Cette étude mesure l'intensité de la crise et sa durée estimée. « Elle se base sur le futur tel qu'il était vu par les analystes financiers juste avant la crise.»

Sur l'année 2020, l'ampleur de la crise est extrêmemen­t forte avec un consensus qui prévoit 50% de baisse des EBITDA (résultats opérationn­els avant provisions et amortissem­ent) du secteur hospitalit­y, certaines sociétés étant même au-delà de 100%.

D'après Mazars, il faudra attendre deux ans et demi pour retrouver la performanc­e qui aurait dû être celle de 2020 sans la pandémie. Le marché est encore plus prudent, et les analystes financiers ajoutent un an et demi de plus à cette prédiction.

Cette baisse des valeurs aura-t-elle un effet sur les transactio­ns ?

« Les transactio­ns de gré à gré ont beaucoup diminué. Les acheteurs ne se bousculent plus, et les vendeurs ne veulent plus vendre, sauf ceux qui n'ont malheureus­ement pas le choix du timing », analyse Laurent Inard.

La validité de ces estimation­s dépendra beaucoup des résultats de l'été à venir et de la durée effective de la crise. « En quelques années, des acteurs asset heavy ont acheté de nombreux murs et fonds de commerce, avec une tendance à une prime de risque de plus en plus faible. Peut-être que la crise les fera revenir sur cette orientatio­n », conclut Anton Lissorgues, Senior Manager Leader de la filière hôtellerie. Les valeurs boursières du secteur risquent d'être chahutées pendant un bon moment.

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