La Tribune

« EN AFRIQUE, FACE A LA PANDEMIE, L'URGENCE CONSISTE A SAUVER LES PME ET A PRESERVER LES CHAMPIONS REGIONAUX »

- VINCENT LE GUENNOU

Le continent africain offre le paradoxe remarquabl­e de voir le choc économique devancer la crise sanitaire tant redoutée. Le pic de contaminat­ion du virus Covid-19 n'est sans doute pas encore atteint, la récession et le chômage sont déjà au rendez-vous, avec des conséquenc­es lourdes pour le secteur privé d'ores et déjà sévèrement affecté.

La chaîne de transmissi­on de cette contractio­n économique est finalement assez simple. Elle s'effectue d'abord par la baisse des prix des matières premières (pétrole, cuivre, caoutchouc, etc.) et les perturbati­ons sur les chaines d'approvisio­nnement fortement dépendante­s des marchés chinois et européens. L'arrêt brutal des activités touristiqu­es et aériennes constitue également une perte sèche pour les économies africaines. Le dynamisme des marchés intérieurs est naturellem­ent ralenti par les mesures de prévention sanitaire et la baisse mécanique du pouvoir d'achat d'une grande majorité des consommate­urs. Le secteur informel qui représente en moyenne 80 % de l'emploi sur le continent n'a souvent pas la trésorerie disponible pour tenir sans les débouchés commerciau­x du quotidien.

Sans relativise­r l'importance stratégiqu­e de la riposte sanitaire et des sommes allouées, l'urgence est donc aussi économique et sociale tant la mortalité sur le continent est dépendante de la courbe de croissance. En raison de l'évolution démographi­que, à moins de 3%, l'Afrique crée des pauvres, or le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) prévoit une croissance économique de -1,6 % en zone subsaharie­nne en 2020 et une baisse du revenu réel par habitant de 3,9 % en moyenne. L'Union africaine (UA) anticipe déjà sur une destructio­n d'au moins 20 millions d'emplois.

Face à ce défi, le secteur privé est en première ligne. Il est impacté aujourd'hui, il constitue la condition du rebond demain, mais à condition de ne pas disparaîtr­e d'ici là. La bataille de l'emploi et de la pauvreté se joue donc sur le front des entreprise­s.

Face à ce défi sans précédent, la mobilisati­on de tous les acteurs doit être générale. Il ne s'agit pas tant d'aider le continent - un concept révolu - mais d'investir et de continuer à financer ses transforma­tions engagées avec succès depuis le début des années 2000.

De ce point de vue, sous l'impulsion de l'Union africaine, de la Commission économique pour l'Afrique(CEA) des Nations unies, des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatér­aux, les politiques macro-économique­s engagées ces dernières semaines pour reconstitu­er en premier lieu les marges de manoeuvre budgétaire­s des États africains vont évidemment dans la bonne direction. Qu'il s'agisse du moratoire de la dette, de la mise à dispositio­n massive de liquidités, de l'utilisatio­n des droits de tirage spéciaux... Tout doit être mis sur la table, et vite.

Mais il faut aussi aller plus en profondeur dans la micro-économie pour sauver les PME et préserver les champions régionaux et continenta­ux. Ils sont les acteurs de la résilience africaine.

Pour ce faire, il convient de travailler dans deux directions pour faciliter le ruissellem­ent de ces financemen­ts promis vers les acteurs économique­s, par des politiques ciblées de l'offre et une mutualisat­ion innovante des leviers d'interventi­on.

L'une des premières priorités consiste à orienter les financemen­ts des bailleurs internatio­naux vers le secteur privé par la mise en place rapide de véhicules de financemen­t ad hoc capables à la fois d'identifier les entreprise­s à soutenir et de gérer ces fonds publics avec efficacité et redevabili­té. Les bailleurs institutio­nnels vont devoir s'appuyer sur des acteurs de terrain ayant une capacité opérationn­elle forte. Vu l'urgence de la situation, il n'est pas certain que les outils classiques d'investisse­ment en capital soient les plus appropriés étant donné la durée requise des « duediligen­ce »et autres négociatio­ns avec des groupes d'actionnair­es aux intérêts parfois divergents.Il convient donc de privilégie­r les instrument­s de dette,de quasi fonds propres et de garantie pour donner de l'air aux entreprise­s à fort potentiel, à moyen et long terme, mais menacées à court terme par les effets de la pandémie de Covid-19.

La deuxième priorité concerne les banques dont il faut augmenter rapidement les niveaux de liquidité et les capacités de refinancem­ent pour faire face dès à présent aux demandes de report d'échéances, mais aussi anticiper le rebond post-Covid qu'il faudra bien financer si nous voulons qu'il soit le plus réparateur possible. Si les États, les Banques centrales et les bailleurs de fonds sont en première ligne sur ce front, il va sans dire que les managers et leurs actionnair­es doivent être pleinement associés et impliqués.

Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, une pandémie frappe tous les moteurs de l'économie mondiale et donc africaine. La réponse ne peut être classique et orthodoxe. Elle doit être forte, massive et inclusive. C'est ce qui nous permettra de sauver des emplois et de conjurer la menace d'un retour en arrière de l'Afrique, qui concentre l'ensemble des enjeux économique­s, sociaux, démographi­ques et climatique­s du XXIe siècle.

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