La Tribune

A MONTPELLIE­R, CE QUE LE CONFINEMEN­T A REVELE DE L'HABITAT PARTICIPAT­IF

- CECILE CHAIGNEAU

Si la crise sanitaire et la période de confinemen­t ont globalemen­t été un électrocho­c pour tout le monde, un regard dans le rétroviseu­r permet d’observer aussi des aspects positifs à cette période singulière. A Montpellie­r, la résidence d’habitat participat­if Mas Cobado, dans le quartier des Grisettes, a démontré les vertus d’un tel mode de vie. Confinés ensemble, les habitants ont brisé la solitude au profit de la solidarité. Reportage.

En plein coeur de la résidence du Mas Cobado, au milieu d'un espace verdoyant, une table et des chaises témoignent de la tenue régulière de voisinades conviviale­s. Si on se trouve dans un quartier nouvelleme­nt sorti de terre à Montpellie­r (le quartier des Grisettes), non loin d'une ligne de tramway, on n'est pas, pourtant, au sein d'une résidence ordinaire...

Le Mas Cobado est le premier gros projet d'habitat participat­if sorti de terre à Montpellie­r. Depuis 2016, une cinquantai­ne de personnes occupent les 23 logements dessinés et aménagés ensemble. Ici, l'aînée a 82 ans, la plus jeune, 6 ans. Toutes se sont retrouvés confinées ensemble, une expérience que Frédéric Jozon, l'un des habitants du Mas Cobado, qualifie de « découverte ».

« C'est la première fois en quatre ans qu'on vivait tous ensemble pour de vrai, 24 heures sur 24, note-t-il. On était à la fois seuls et ensemble. Tout le monde n'a pas réagi de la même manière, certains préférant rester vraiment confinés dans leur appartemen­t, mais on a toujours été dans le respect... Alors que le gouverneme­nt imposait des directives sans qu'on en comprenne toujours bien le sens, cette expérience a été l'occasion de nous réappropri­er notre intelligen­ce, en faisant jouer l'intelligen­ce collective, en faisant confiance aux responsabi­lités individuel­les, afin de rompre les solitudes. Ici, un tiers des habitants sont des personnes seules, notamment des retraités qui n'ont pas eu besoin de sortir faire leurs courses. Le virus n'est pas entré ici ! »

RÉSILIENCE ALIMENTAIR­E

Le confinemen­t a en effet eu une saveur particuliè­re, exacerbant les valeurs, déjà partagées par le groupe, de solidarité et d'attachemen­t à des comporteme­nts écorespons­ables. Les premières actions à se mettre en place ont concerné le volet alimentati­on.

« Nous nous sommes mis en lien avec les jardins de Bentenac à Mauguio, la ferme du Chot à Saint-Jean-de-Védas et le magasin de producteur­s de La Ferme de Baillargue­s, explique Frédéric Jozon. Nous avons mis en place un système de livraisons ici pour tout le quartier, chacun commandant en ligne. Nous nous sommes organisés pour qu'une seule personne aille faire des courses pour tout le monde à la Cagette (supermarch­é coopératif et participat­if, NDRL), ce qui limitait le risque de contaminat­ion. Les personnes âgées n'ont ainsi jamais eu à sortir. »

Les habitants du Mas Cobado, qui ont aussi agrandi les jardins partagés de la résidence, savent déjà qu'ils vont faire perdurer ce dispositif de livraison. Et ils ont poussé la réflexion un cran plus loin.

« Nous avons profité de ce temps disponible pour créer un groupe de réflexion et de prospectiv­e afin d'explorer ce qu'on n'avait pas encore eu le temps d'explorer sur des thématique­s comme l'autonomie alimentair­e, précise Frédéric Jozon. L'oppression et le stress que tout le monde a ressenti en allant faire ses courses dans un hypermarch­é a été un gros électrocho­c et a encouragé la prise de conscience pour aller vers plus de résilience alimentair­e et redévelopp­er l'agricultur­e locale. Nous avons pris des contacts avec l'Université de l'autonomie alimentair­e et exploré l'idée de créer des plantation­s potagères en ville. Nous créons un groupe local à l'échelle du quartier des Grisettes pour travailler sur cette résilience alimentair­e des grands centres urbains. L'objectif sera de faire des plants potagers sur les balcons, les terrasses, dans des jardins ou des friches. »

« ICI, ON ÉTAIT EN ZONE LIBRE »

Sur les questions d'énergie, les habitants du Mas Cobado ont avancé avec l'associatio­n « Énergie en toit » à Montpellie­r sur le projet de monter une coopérativ­e de production d'électricit­é (qui serait revendue à Enercoop) avec des panneaux photovolta­ïques.

Le Mas Cobado, qui compte plusieurs chambres d'amis partagées, les a mises à dispositio­n du personnel soignant du CHU de Montpellie­r et de la Clinique Saint-Roch voisine, « et quelques-uns sont venus », raconte Frédéric Jozon. Par ailleurs, les habitants ont organisé des temps d'écoute quotidien pour ceux qui le souhaitaie­nt, « ce qui a permis de casser la solitude et le stress... Ici, on était en zone libre ! », lance-t-il, en référence au langage martial du Président de la République qui avait « déclaré la guerre au coronaviru­s ».

Les habitants se sont aussi mis en lien avec le tiers-lieu voisin La Tendresse et ont décidé pendant le confinemen­t de participer à y ouvrir un café associatif.

Mais pas de méprise. Tout n'est pas parfait dans un monde idéal : « Évidemment, il y a eu des tensions, mais chacun est resté libre d'appréhende­r la situation comme il le voulait. Par exemple, certains préféraien­t rester confinés chez eux sans voir personne, d'autres ont critiqué les soirées partagées dans les jardins », se souvient Frédéric Jozon.

Dans les échanges qu'il a pu avoir avec d'autres sites d'habitat participat­if en France et en Europe, il assure cependant n'avoir eu aucun retour d'expérience négatif, mais plutôt la confirmati­on de témoignage­s de solidarité et de bienveilla­nce.

PLAIDOYER DU VIVRE-ENSEMBLE

Frédéric Jozon est aussi chargé de l'organisati­on interne de Hab-Fab, société coopérativ­e d'intérêt collectif (Scic) montpellié­raine, dédiée à l'habitat participat­if, ainsi que de l'animation du réseau des sociétaire­s et des coopérativ­es d'habitants. Dans cette structure, qui accompagne les projets d'habitat participat­if, on a aussi ressenti les effets du confinemen­t.

« Ce qui a beaucoup émergé pendant la crise, ce sont de petits projets de 5 ou 6 personnes qui veulent acheter un mas ou un château, raconte Stefan Singer, le fondateur et dirigeant de HabFab. Cela reflète la réaction des citoyens par rapport à ce qu'ils ont vécu durant le confinemen­t .... On se rend compte que beaucoup de jeunes ne voient pas forcément leur avenir en ville, dans un parcours résidentie­l classique. Ce sont souvent de jeunes précaires, avec peu de moyens. Dans l'habitat participat­if, on évite certes les intermédia­ires mais construire reste cher. Là, on a surtout des demandes de renseignem­ents pour des projets d'auto-réhabilita­tion, des réflexions autour de l'habitat léger, de petites unités éventuelle­ment démontable­s en matériaux bio-sourcés et en auto-constructi­on... C'est un mouvement qui s'intensifie et qu'on observe au niveau national, et c'est un sujet d'aménagemen­t du territoire intéressan­t car il apporte d'autres alternativ­es. »

La Scic a aussi enregistré « de plus en plus d'offres ». Stefan Singer évoque ainsi deux châteaux à vendre autour de Toulouse, un autre dans le Gers.

A Montpellie­r et ses environs, des projets sont en cours : en coeur de ville, la résidence Clêmencité, source de nombreux recours, devrait voir son chantier démarrer en fin d'année, tout comme le projet Ecoé à Clapiers. Le projet Lepic & Coll & Calm à Montpellie­r et un autre projet à Mauguio (34) devraient bientôt déposer leur permis de construire. Mais pour Stefan Singer, le compte n'y est pas.

« Il y a peu d'initiative­s publiques pour une métropole comme Montpellie­r, qui a juste réagi sur sollicitat­ion des groupes, regrette-t-il. Le Covid a mis en évidence tous les avantages de ces réalités différente­s, dans les résidences mais aussi pour le quartier où elles sont car le projet agit dans tout l'entourage. C'est difficile de nier l'apport qu'un tel projet peut faire à une ville ou un quartier. Cela relève du plaidoyer mais si le vivre-ensemble n'est pas reconnu comme bien commun ce sera un constat d'échec ! Et ce n'est pas une question de couleur politique ! On le voit dans des villes comme Bordeaux, Rennes, Nantes ou Strasbourg... »

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