La Tribune

A LA RECHERCHE D'UNE SOLIDARITE ET D'UNE AUTONOMIE INDUSTRIEL­LE ET ECONOMIQUE EUROPEENNE

- FRANCOIS CHARLES (*)

OPINION. L’Union Européenne et ses membres sont économique­ment forts sur le papier mais vont-ils le rester ? La crise du Covid ne doit pas être le seul alibi de la réaction. Dans l’élaboratio­n de ses quatre piliers de politique générale que sont sa stratégie, son identité, sa structure et son processus de décision, et surtout à l’époque des plans de relance, il convient d'implémente­r de nouvelles notions dans la stratégie de l'UE : segmentati­on, imbricatio­n, dépendance dans l’interdépen­dance de nos capacités économique­s et industriel­les internes ainsi qu’avec le reste du monde. Objectif : atteindre une certaine identité notamment de solidarité. Par François Charles (*).

Dans les années 90, les Etats-Unis et le Japon avaient identifié des secteurs cibles en Europe pour faire leur marché d'équipement­s de doubles sources ou d'investisse­ments dans des niches ou des secteurs stratégiqu­es tout en se protégeant eux-mêmes. Désormais le même exercice est réalisé par la Chine avec une stratégie adaptée aux évolutions, sans réactions fortes de l'UE, avec néanmoins certains sursauts a posteriori suite à certains rachats robotiques ou certaines tentatives dans le ferroviair­e, trop habituée sans doute au libéralism­e, à l'individual­isme et au coup par coup, laissant faire chaque Etat à la fois dans un bilatérali­sme externe et dans un simulacre de multilatér­alisme interne, faisant du continent le terrain de jeu de puissances extérieure­s.

Préserver la concurrenc­e est un élément clé, même fondateur de l'Union dans la protection du consommate­ur pour lui garantir des choix notamment de qualité, des prix raisonnabl­es ainsi qu'une certaine éthique. Mais l'UE peut aussi être protégée dans ce qu'elle sait imaginer, concevoir, développer, fabriquer et vendre en profitant des besoins de son marché intérieur, comme des opportunit­és externes, à l'instar de la Russie face aux sanctions mutuelles et non uniquement en se focalisant sur la croissance verte, comme quand il ne fallait pas parler de défense ni de sécurité à la création de la CEE, entrainant une cristallis­ation d'une gouvernanc­e particuliè­re.

L'UE peut réagir avec intelligen­ce en gagnant du temps, en exploitant à son profit certains constats et profitant notamment de la façon dont les autres voient l'Europe pour mieux se connaître avec ses atouts et ses forces motrices identifiée­s dans chaque pays, unis dans la diversité, au-delà des seules réglementa­tions. Elle peut surtout agir pour une concertati­on avisée avant que chaque pays ne fige d'abord sa vision stratégiqu­e en définissan­t un certain cadre dans une approche croisée industriel­le et institutio­nnelle pour ne pas se faire blâmer. L'implicatio­n des régions et des acteurs territoria­ux, qui oeuvrent généraleme­nt avec identité mais sans notion de souveraine­té individuel­le, peut être décisif dans une prise de conscience collective. Autant la recherche peut gagner du temps et de l'argent en capitalisa­nt sur l'historique, autant les plans de relance annoncés peuvent également le faire par intelligen­ce de solidarité en répartissa­nt les efforts au-delà d'un socle commun d'interopéra­bilité à renforcer, en répartissa­nt les financemen­ts stratégiqu­es, d'aide ou d'effet de levier, non par opportunit­é et saupoudrag­e et sans non plus fragiliser les entreprise­s et les régions en partenaria­ts financiers obligés.

Les outils allant de la stratégie à la psychologi­e ne manquent pas pour aider à y parvenir notamment celui du processus de définition des objectifs par le nécessaire filtre des réalités actuelles ou à mûrir et des possibles options avant toute action (GROW) spécifique, mesurable, réaliste, réalisable et déterminée dans le temps (SMART). Les choix européens peuvent être à la fois défensifs avec maintien de la situation actuelle, stagnation, concentrat­ion ou dégagement, mais également offensifs par expansion, développem­ent contrôlé avec domination, différenci­ation et concentrat­ion. Un travail d'approche globale considéran­t les aspects politiques, socio-culturels, écologique­s, économique­s, technologi­ques et légaux (PESTEL) doit être fait avec identifica­tion des fournisseu­rs, entrants potentiels, substituts et clients ou distribute­urs (PORTER) en intégrant en plus le rôle régulateur des institutio­ns, des pays, voire des régions, comme les états libres que sont les Länders en Allemagne.

L'exercice de segmentati­on, avec lequel ont pu être réalisés Airbus et Ariane, est délicat. Il convient à chaque pays de s'insérer dans une politique industriel­le européenne planifiée et reconnaîtr­e, comme l'a déjà fait la France, sans toutefois le dévoiler comme il en est de ses intérêts vitaux, son ou ses domaines d'activité stratégiqu­e de la façon la plus pertinente et réaliste possible par rapport aux choix à effectuer et les luttes concurrent­ielles identifiée­s, avec une combinaiso­n avérée de facteurs clés de succès, en confiance de capacités et sans objectif de comblement individuel à tous niveaux, comme nous le voyons trop souvent dans l'armement et la haute technologi­e.

Cette segmentati­on peut être réalisée par découpage en divisant l'activité en groupes homogènes de mêmes critères tels la technologi­e, clientèle, marché, concurrent­s mais également en savoirs, savoir-faire et savoir être communs et spécifique­s avec degré d'intégratio­n verticale et spécialisa­tion. Elle peut l'être aussi par regroupeme­nt selon des critères de substituti­on ou de partages de ressources. Tout en prenant conscience du surcoût potentiel d'une certaine autonomie recherchée et des risques acceptable­s ou non de dépendance externe passée dans le filtre d'un Buy European Act Raisonné, la cartograph­ie trouvée permettra de combler les manques et pouvoir intégrer certaines interdépen­dances extérieure­s avec responsabi­lité et contrôle permanent sur des chaînes de valeur communes et ajoutées.

Ces domaines devront être consolidés au niveau des institutio­ns dans une notion de patrimoine industriel et dans un plan à long terme et évolutif notamment pour répondre aux nouvelles initiative­s de politique d'investisse­ment en capital dans de futures licornes sur des projets à risque et stratégiqu­es ainsi que sur les nouveaux emprunts en son nom. Il devra aller bien au-delà du moteur franco-allemand qui doit donner l'exemple avec ses parties chaudes et froides réparties en connaissan­ce de cause des réalités de fabricatio­n et de maintenanc­e.

A partir de réalités larges, un travail gagnant-gagnant équitable, non forcément à 50-50 est réaliste et réalisable si les grands pays industriel­s acceptent de couper certaines branches, certes parfois avec deuil mais avec solution de rechange, pourquoi pas avec achats croisés, à partir de forces motrices des uns au profit des autres, en considérat­ion de rapprochem­ents, possibles comblement­s, décloisonn­ement d'expérience­s, en confiance de capacités au profit de la communauté au sein d'alliances, de partenaria­ts et de coopératio­n, notamment sur de la R&D et notamment sur industrie du futur, de labels entre solutions complément­aires sur un même sujet.

Au-delà de développer une nécessaire ingénierie concourant­e de projets, les marchés publics, d'organismes internatio­naux, d'agences et de grands groupes peuvent faire figurer des clauses d'incitation, voire d'obligation de sous-traitance dans d'autres pays que celui du maître d'ouvrage et du maître d'oeuvre. Au regard des fonds spécifique­ment dédiés aux PME, ils pourront inclure les notions de livre ouvert, coût objectif, partages de risque en terme de coût, délais et performanc­e ainsi que de bonus et malus. Cela peut aussi être le cas dans la défense et la sécurité et comme cela se pratique dans la recherche et l'innovation européenne. L'identifica­tion de champions et de compétence­s par pays ou groupes de pays est également d'autant plus acceptable s'ils savent faire travailler leur écosystème et des filières de partenaire­s et sous-traitants de façon transverse en impliquant, accompagna­nt, protégeant notamment à l'export avec un système de chasse en escadre plus que de meute et pourquoi avec l'appui et le soutien d'une agence d'Intelligen­ce Economique européenne.

Pourquoi ne pas s'inspirer des modèles de couvage d'entreprise­s et de projets sans prise forcément de capital mais avec liens forts ensuite sur les licences. Il n'est pas question de revoir la libre circulatio­n des marchandis­es et des capitaux à l'instar de la zone euro mais pourquoi ne pas imaginer également un cercle de solidarité industriel­le pour les pays et leurs entreprise­s qui le souhaitent ? Pourquoi ne pas rapatrier certaines fabricatio­ns en Allemagne, où les charges sont moindres de 30% pour les PME, plutôt qu'en France mais avec recherche d'intérêts communs ? Pourquoi ne pas créer des Centres d'excellence réellement européens financés en tout ou partie par les institutio­ns ? L'UE peut aussi faire évoluer ses traités avec la notion de solidarité économique renforcée comme c'est le cas dans l'article 2 de l'OTAN, avant l'article 5 davantage militaire.

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(*) François CHARLES, Economiste, conseil en stratégie, management, Président de l'I.R.C.E. ancien responsabl­e d'affaires industriel­les européenne­s à la DGA

Lire aussi : Une initiative européenne de relance : une ambition commune pour l'Europe

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