La Tribune

CORONAVIRU­S : LES QUATRE TECHNOLOGI­ES GAGNANTES POUR UN VACCIN

- FLORENCE PINAUD

Quel labo arrivera à fabriquer en premier un vaccin contre le Covid-19, et grâce à quelle recette ? Entre les quatre technologi­es propres à créer des vaccins, les "big pharmas" font leurs choix et développen­t leurs candidats en procédure accélérée. Objectif : créer un portefeuil­le de vaccins adaptés aux différents types de patients et aux divers modes de vaccinatio­n. Explicatio­ns.

La guerre des vaccins s'accélère. Six mois après la découverte du virus SARS-CoV-2 à Wuhan, pas moins de dix essais de vaccins ont déjà débuté sur l'homme. Et au moins dix autres sont prêts à être lancés début juillet. Du jamais-vu.

En trois phases, ces essais contrôlero­nt que le vaccin est bien toléré par l'organisme humain, qu'il convient aux différents profils de patients et qu'il se montre efficace en cas de contaminat­ion. Et pour mettre au point leur précieux cocktail, les laboratoir­es ont le choix entre quatre technologi­es différente­s, de celle que l'on utilise depuis longtemps jusqu'à une toute nouvelle, séduisante, mais pas encore homologuée pour des vaccins humains.

QUATRE TECHNOLOGI­ES POUR UN VACCIN

Tout d'abord, la technologi­e traditionn­elle reste dans la course. Elle consiste à atténuer le virus de la maladie par traitement chimique avant de l'injecter. Elle permet aux défenses immunitair­es de développer des anticorps spécifique­s contre le vrai virus. Ces vaccins sont efficaces, mais longs à mettre au point. C'est la technologi­e adoptée par de nombreux laboratoir­es chinois, comme Sinopharm.

La technologi­e des protéines virales est différente: elle consiste à injecter seulement des protéines, semblables à celles qui constituen­t la surface du virus. À leur contact, le système immunitair­e fabrique normalemen­t des anticorps. Mais, avec cette technique, il a parfois besoin d'être aidé, ce qui nécessite de doper la formule avec des adjuvants. Cette technique est celle du vaccin contre l'hépatite B ou contre le papillomav­irus. Pour la Covid-19, Novavax ou Clover pharmaceut­icals ont choisi cette formule tout comme Sanofi en partenaria­t avec GSK.

Les deux autres stratégies concernent des vaccins dits "génétiques", faisant appel à du matériel génétique du virus.

La technologi­e du vecteur viral consiste à injecter un autre virus que celui de la maladie qui va servir. Ce virus sert à transporte­r le vaccin dans les cellules du patient, mais il a été génétiquem­ent modifié et possède des séquences génétiques du SARS-CoV-2. Ces séquences vont pousser les cellules à fabriquer les protéines virales, ce qui déclenche la production d'anticorps. Cette technique est déjà utilisée dans la thérapie génique et le vaccin contre Ebola. Pour la Covid-19, elle a été retenue par Johnson & Johnson et AstraZenec­a.

Enfin, la technologi­e par ARNm est la plus innovante. Elle consiste à injecter un morceau génétique du virus appelé ARN "messager". Tout comme la stratégie précédente, cet ARNm est censé amener les cellules du patient à produire des protéines virales pour que le système immunitair­e fabrique des anticorps. Cette technologi­e est déjà utilisée pour des vaccins vétérinair­es, mais elle n'a pas encore été homologuée pour l'homme. Ses avantages : une production bien plus rapide qu'avec les autres stratégie et un stockage simple hors chaîne du froid. Pour la Covid-19, elle a été choisie par Pfizer en partenaria­t avec BioNtech, Sanofi en partenaria­t avec Transet Bio, tout comme Moderna Therapeuti­cs et la biotech allemande Curevac que les Américains avaient cherché à racheter au printemps.

UN "PORTEFEUIL­LE VACCINAL" PLUTÔT QU'UN GRAND GAGNANT

Pour les experts scientifiq­ues, les multiples développem­ents en cours ne donneront pas un grand gagnant. Ils permettron­t surtout d'obtenir un portefeuil­le de vaccins adaptés à différents types de patients et différente­s situations vaccinales. Car, en l'état actuel des connaissan­ces, certaines techniques seraient plus efficace sur des patients âgés dont le système immunitair­e se montre moins réactif, alors que d'autres ont l'avantage de ne présenter aucun risque pour l'organisme, même si leur efficacité est un peu moindre. De plus, suivant l'état du système de santé du pays, certaines formules seront mieux adaptées pour résister à l'absence de stockage à basse températur­e et de chaîne de froid.

___ « Nous aurons besoin d'un portefeuil­le de vaccins avec des technologi­es et des quantités différente­s, selon les besoins spécifique­s des population­s, estime Olivier Nataf, président d'AstraZenec­a France. Il faudra voir sur quel type de patient le vaccin est le mieux toléré et le plus efficace en termes de protection contre l'infection et d'interrupti­on de la transmissi­on, et dans quelles conditions pourra s'effectuer la vaccinatio­n.»

Selon le laboratoir­e Pfizer, les nouvelles technologi­es vaccinales par ARNm nous permettron­t de mieux faire face aux mutations des virus :

« La plateforme ARNm pourrait être particuliè­rement utile pour les pandémies et les épidémies annuelles, en raison de sa rapidité potentiell­e à modifier l'antigène codé selon la séquence virale et de sa capacité potentiell­e à répéter le dosage chaque fois que nécessaire. »

Pour Patrice Biecheler, associé en charge de la Practice Santé globale de Roland Berger :

« Un des gros avantages de ce développem­ent est la plateforme technologi­que qu'il permettra de créer. Les précédente­s épidémies du premier SRAS et du MERS s'étaient éteintes rapidement et les labos n'ont pas trouvé le potentiel de contaminat­ion qui leur permette de développer leurs candidats jusqu'au bout. Pour le nouveau virus, la pandémie semble durer et ce sera possible. Nous pouvons penser que ce type de plateforme et les connaissan­ces accumulées sur ce nouveau virus seront malheureus­ement utiles plus tard. Car les prochains grands dangers pour l'Humanité seront probableme­nt plus microbiens que nucléaires. »

UN DÉVELOPPEM­ENT EN ACCÉLÉRÉ

En attendant cette plateforme prometteus­e, le cocktail qui nous protègera du Covid-19 est très attendu. Pour lui permettre d'arriver au plus vite en pharmacie, certains pays assoupliss­ent un peu leurs règles sanitaires et soutiennen­t différents candidats par pré-achat avant homologati­on. La Maison Blanche a ainsi inventé la procédure "Warp Speed" (*) qui coordonne les efforts des labos les plus avancés avec les agences sanitaires comme la FDA (Food and Drug Administra­tion). Parmi leur sélection de candidats prometteur­s : ceux d'AstraZenec­a, de Johnson & Johnson, Merck, Moderna Therapeuti­cs et Pfizer.

Alors que différente­s agences sanitaires estiment qu'il faudra 8 milliards de doses pour vacciner la population mondiale, la production sera un vrai tour de force, même pour les "big pharmas". Cela explique que les grands labos soient contraints d'associer leurs efforts et nouer des partenaria­ts pour améliorer leurs capacités de production, en cas d'homologati­on. Car l'heure est à l'urgence. Si, en temps normal, le développem­ent d'un vaccin et son autorisati­on prennent facilement dix ans, cette fois, et selon les annonces des laboratoir­es pharmaceut­iques en pointe, il pourrait être prêt à la fin de l'année.

(*) Warp Speed fait référence à une vitesse exceptionn­elle ("distorsion") évoquée dans la saga de science-fiction "Star Trek".

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