La Tribune

LE HAVRE, UN SECOND TOUR SOUS HAUTE SURVEILLAN­CE POUR EDOUARD PHILIPPE

- NATHALIE JOURDAN

Les radars médiatique­s seront largement dirigés vers la première sous-préfecture de France, ce dimanche. Le Premier ministre, qui a viré en tête au premier tour, y affronte un adversaire coriace en la personne du député communiste Jean-Paul Lecoq. Bien qu’un sondage le donne gagnant de trois points, le scrutin n’aura rien d’une promenade de santé pour Edouard Philippe. Sur le plan économique, la question du chômage, endémique au Havre, a sous tendu les débats alors que le port tangue sous l’effet de la crise.

Le va et vient des pelleteuse­s résonne sur le quai Joannès Couvert qui abritait jusqu'il y a peu l'ancienne gare maritime en voie de démolition. Le monument historique, symbole de l'âge d'or du Havre, va laisser la place à l'usine d'assemblage d'éoliennes marines du turbinier Siemens Gamesa dont la constructi­on vient de débuter. Voilà dix ans que la Porte Océane attendait cette installati­on censée matérialis­er sa transition vers le monde de demain. A la clef, la création de 750 emplois directs : une bouffée d'oxygène comme la cité ouvrière n'en avait pas connu depuis longtemps.

Les milieux économique­s havrais en savent gré à Edouard Philippe qui a beaucoup bataillé, y compris à Bercy, pour que ce projet industriel se concrétise... quitte à consentir, la mort dans l'âme, à la fermeture de la centrale à charbon d'EDF. Pendant la campagne, il n'a cessé de le brandir comme on brandit un symbole « porteur d'espoirs » ce qui n'est pas faux du reste.

Tout laisse à penser, en effet, que LH -comme on la nomme ici- est appelée à devenir l'épicentre français de cette filière COPcompati­ble. Laquelle pourrait d'ailleurs permettre à la liste du chef du gouverneme­nt, privé de réserve de voix, de glaner une partie des suffrages des Verts, arrivés en troisième position (avec un peu plus de 8 %) et à qui Jean Paul Lecoq a bizarremen­t refusé une alliance.

UN FEU AU VERT, DES CLIGNOTANT­S À L'ORANGE

Difficile pourtant de penser que les moulins à vent marins permettron­t d'endiguer le chômage durablemen­t enkysté au dessus de la barre des 10 % dans le bassin d'emploi. Car pendant qu'un feu passe au vert, d'autres clignotent à l'orange. Fournisseu­r d'Airbus, Safran Nacelles, devenu l'un des principaux employeurs privés de l'agglomérat­ion avec l'usine Renault Sandouvill­e, devrait traverser une zone de turbulence­s comme tout le secteur aéronautiq­ue.

Sur la mer, le port, poumon économique de la pointe de Caux, a du vague à l'âme doublement plombé par les grèves contre la réforme des retraites et la Covid au point que la communauté portuaire alerte sur un risque de rétrograda­tion de la place havraise, à qui Anvers taille des croupières. Le Premier ministre a beau rappeler que plus d'un demi milliard d'euros d'argent public doit pleuvoir sur les terminaux à brève échéance, son challenger a beau jeu de répliquer que « les investisse­ments ont trop tardé » et que «La France a longtemps négligé ses grands ports ». Façon de replacer le débat sur le terrain national là où Edouard Philippe, élu local, s'applique à faire oublier Philippe Edouard, locataire de Matignon sans toujours convaincre ceux qui, comme son adversaire, lui reprochent « un double Je ».

EFFET VITRINE

Pour autant, même dans l'opposition, on reconnaît à l'ancien maire - il l'est resté sept ans - d'avoir poursuivi la grande oeuvre de son prédécesse­ur Antoine Rufenacht (LR) pour réhabilite­r l'image du Havre, aujourd'hui délestée de son surnom de Stalingrad sur Seine, souvenir de son passé de « première ville communiste de France ». Les relations entre le mentor et son poulain se sont distendues (le premier est allé jusqu'à inviter le second à se présenter face à Anne Hidalgo) mais la majorité municipale n'a pas dévié, transforma­nt radicaleme­nt le centre ville grâce au tramway et à la création d'un campus universita­ire.

En misant sur la culture, le Premier ministre s'est aussi attiré les bonnes grâces d'une partie de la gauche. Parmi les succès à porter à son crédit, la création d'une scène de musiques actuelles inventive dans le fort de Tournevill­e et le festival du 500ème anniversai­re de la fondation de la ville par François 1er. Impulsé par Rufenacht et mis en musique par Philippe avec l'aide de l'éveilleur de nuit nantais Jean Blaise, l'événement a été une réussite prolongée chaque été par des versions plus light. Il a redonné une forme de fierté à la cité portuaire et lui a permis de surgir dans les radars des profession­nels du tourisme. Mais au risque de laisser en marge certains quartiers populaires de la périphérie, précisémen­t là où appuient les tenants de la liste adverse pour qui la frange la plus fragile de la population a été oubliée.

Dans une interview au quotidien Paris Normandie, Jean-Paul Lecoq tacle « Le Havre n'est pas qu'une vitrine et encore moins un tremplin ». Les électeurs trancheron­t... s'ils consentent à se déplacer.

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