La Tribune

COTE D'IVOIRE : A QUI PROFITE LE JEU DU DON ET DU CONTRE-DON DANS LA LUTTE CONTRE LA PANDEMIE ?

- DEBEGNOUN MARCELLINE SORO ET KOFFI PARFAIT N'GORAN

Sur toute l'étendue du territoire, villes et campagnes sont prises d'assaut par des politicien­s et de nouveaux acteurs en quête certaineme­nt de visibilité... La médiatisat­ion des dons dans le contexte de la pandémie suscite beaucoup de controvers­es

En décembre 2019, alors que rien ne présageait que l'année 2020 débuterait avec d'aussi grands bouleverse­ments, survint l'une des plus graves crises sanitaires mondiales, la pandémie du coronaviru­s. Parti de la Chine, ce virus s'est rapidement propagé sur l'ensemble des cinq continents. Le caractère alarmiste des statistiqu­es mondiales a fini par convaincre même les plus sceptiques, qui comme Saint Thomas attendaien­t de voir avant de croire, de la gravité de la situation. Aujourd'hui, les impacts sanitaires, économique­s et sociaux de la Covid-19 sont incommensu­rables.

En effet, en obligeant au confinemen­t modulaire des population­s, elle a profondéme­nt contribué à saper les bases des économies des pays touchés. Elle a accentué la vulnérabil­ité sociale du fait de la disparitio­n partielle ou totale de leurs moyens de subsistanc­e. Face à cet ennemi très virulent, les pays s'organisent médicaleme­nt pour la riposte, politiquem­ent et socialemen­t. Partout dans le monde, l'on assiste à des formes de solidarité sociales aux multiples facettes. Par exemple faire des courses pour des personnes âgées en France, une offre d'espace au sein des églises à des musulmans pour conduire des prières dans le respect des règles de distanciat­ion à Berlin ou encore une mobilisati­on nationale pour coudre des masques et faire les courses des personnes âgées en Turquie, etc.

La Côte d'Ivoire, pays d'Afrique de l'Ouest à l'instar de nombreux autres pays va aussi construire sa riposte sociale autour de la solidarité, sous forme de dons en faveur des population­s vulnérable­s. La présente réflexion questionne la solidarité née du contexte de la Covid-19 comme forme controvers­ée de la résilience - entendue ici au sens de capacité d'adaptation face à un choc - de la Côte d'Ivoire face à la pandémie.

LA RIPOSTE IVOIRIENNE FACE À LA COVID-19

La Côte d'Ivoire a enregistré son premier cas d'infection de la maladie à coronaviru­s, le 11 mars 2020. Et, à l'instar de tous les autres pays touchés par la pandémie,elle a mis en place un plan de riposte sanitaire et autre humanitair­e pour lutter contre les impacts socio-économique­s de la Covid-19 sur les population­s, en particulie­r sur les couches sociales vulnérable­s. Pilotée par le ministère de la Solidarité, de la cohésion sociale et de la lutte contre la pauvreté, cette action publique se structure autour de la notion de solidarité. Cette solidarité est mise en oeuvre via un appel à une mobilisati­on des ressources, notamment des dons vivres et non vivres.

A côté des dons de l'Etat ivoirien aux population­s vulnérable­s à travers son ministère de la solidarité, l'on observe de nombreuses autres initiative­s en faveur desdites population­s. Ces initiative­s sont portées par des individus, des organisati­ons de la société civile, des associatio­ns ou organisati­ons religieuse­s ou encore des entreprise­s.A priori, cet élan de solidarité est vu comme un acte de citoyennet­é.Mais, à la pratique cet idéal commun est éprouvé non pas dans ses principes, mais dans sa forme.

CONTROVERS­ES AUTOUR DES DONS LIÉS À LA COVID-19 : LES ENTREPRENE­URS AU BANC DES ACCUSÉS

Dans le contexte de lutte contre la Covid-19, l'élan de solidarité nationale, tel que perçu à travers la médiatisat­ion des dons, est soutenu par divers acteurs : des institutio­ns régionales et internatio­nales des industriel­s, des entreprise­s, des organisati­ons féminines de la société civile, des politiques, opérateurs économique­s, des ONG, des organisati­ons religieuse­s, etc.De ces donateurs, l'attention reste focalisée sur les dons des acteurs politiques. En effet, sur toute l'étendue du territoire, villes et campagnes sont prises d'assaut par les ministres, des présidents d'institutio­ns de la république ou de conseils régionaux, des cadres et élus locaux, ainsi que de nouveaux acteurs en quête certaineme­nt de visibilité. Ces dons, bien que n'étant pas remis en cause dans les principes, suscitent beaucoup de controvers­es et ce, malgré les interpella­tions de certains leaders religieux sur les dérives de l'instrument­alisation politique des dons liés à la Covid-19. Ces controvers­es sont alimentées par des leaders de partis politiques issus de l'opposition qui dénoncent ce qu'ils qualifient de récupérati­on politique, de campagne illégale avant la campagne officielle. Certains acteurs de la scène politique ivoirienne profiterai­ent ainsi de l'opportunit­é de la pandémie d'une part, et de leurs positions actuelles d'autre part, pour faire une campagne électorale en vendant leur image à travers des dons estampillé­s de leur effigie. Dans un contexte d'élection prochaine, la logique des dons comme forme de solidarité pour lutter contre la pandémie à coronaviru­s, semble de ce fait, accroître les enjeux politiques en Côte d'Ivoire.

ENTREPRENE­URS POLITIQUES VS POPULATION­S : LE JEU DU DON ET DU CONTRE-DON DANS LA LUTTE CONTRE LA COVID-19

Le don est un acte social, une pratique inhérence dans les interactio­ns sociales. La vie est faite de dons à diverses occasions mariage, funéraille­s, baptême, etc., pour marquer sa solidarité, témoigner soit de la compassion, soit soutenir dans l'adversité. La religion invite d'ailleurs chacun au don comme un véritable acte de charité, d'amour du prochain. Par conséquent, le don ne devrait pas impliquer des attentes en retour. Cette vision religieuse s'oppose à une autre selon laquelle derrière un don il y a forcément un contre-don. Le don est toujours codifié tant du côté du donneur que du receveur. Les pratiques cérémoniel­les qui entourent certains évènements de remise de dons contribuen­t en quelque sorte au processus de reconnaiss­ance publique du contrat scellé entre les parties prenantes impliquées dans l'action du don.

Vue sous ce dernier angle, la controvers­e autour des dons liés à la pandémie aux population­s constitue un analyseur intéressan­t pour questionne­r les attentes implicites liées à l'action de donner et de recevoir. La question trouve tout son sens surtout dans le contexte actuel ivoirien d'approche des élections présidenti­elles en octobre 2020. Quelles pourraient être les attentes des acteurs politiques à travers les dons offerts aux population­s ? Inversemen­t, comment les population­s pourraient-elles exprimer leur contre-don ? Difficile de répondre à ces questions. Toutefois, le fait marquant ici dans cette atmosphère de bataille sournoise entre acteurs ou groupement­s politiques, les population­s pour lesquelles l'action solidaire est dirigée apparaisse­nt pour l'heure comme de grandes muettes. Consciente­s ou inconscien­tes de leur instrument­alisation par les acteurs politiques, en tout cas les population­s se prêtent bien au jeu de ces derniers. En attendant peut-être une réédition des comptes, elles profitent bien en captant les dons de tous les entreprene­urs, surtout politiques. Finalement, dans ce contexte de marketing politique, à qui profite réellement le jeu du don et du contre-don dans la lutte contre la Covid-19 ? Les futures joutes électorale­s permettron­t aux observateu­rs avisés de s'en faire une idée.

(*) Débégnoun Marcelline Soro est sociologue, université Alassane Ouattara. (**) Koffi Parfait N'Goran est socio-anthropolo­gue à l'Université Alassane Ouattara.

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