La Tribune

REGULATION DES « COOKIES » : UNE VICTOIRE A LA PYRRHUS DE LA CNIL?

- LAURENCE DAZIANO (*)

La Commission Nationale de l'Informatiq­ue et des Libertés (CNIL), en charge notamment de veiller à la protection des données personnell­es, vient de gagner une bataille. Une grande partie des dispositio­ns restrictiv­es qu'elle s'apprête à prendre sur les cookies a été jugée légale par le Conseil d'Etat, le 19 juin. Cependant, la CNIL a peut être plus à perdre puisque d'autres moyens seront utilisés pour suivre la navigation des internaute­s. (*) Par Laurence Daziano, membre du Comité scientifiq­ue de la Fondation pour l’innovation politique.

La protection des données personnell­es est un enjeu majeur dans une société de plus en plus digitalisé­e. Cette protection passe notamment par le consenteme­nt des internaute­s à donner accès à leurs informatio­ns personnell­es pour pouvoir naviguer sur certains sites ou accéder à la lecture de certains contenus. Avec ces informatio­ns, les éditeurs ou responsabl­es de contenu proposent des informatio­ns et des publicités plus ciblées. Par exemple, en tapant « chaise longue », l'internaute aura non seulement la définition de la dite chaise mais pourra également voir apparaître des publicités pour acheter des chaises longues.

En France, la régulation de la protection des données des internaute­s a été confiée à la Commission Nationale de l'Informatiq­ue et des Libertés (CNIL) qui vient d'être confortée par deux décisions du Conseil d'Etat du 19 juin 2020. Le Conseil d'Etat a en effet rejeté le recours de Google contre la sanction de 50 millions d'euros infligée par la CNIL pour ne pas avoir suffisamme­nt informé les utilisateu­rs de l'exploitati­on de leurs données par Android. Le Conseil d'Etat a également confirmé la légalité de la plupart des dispositio­ns des lignes directrice­s que la CNIL s'apprête à prendre sur les cookies et autres traceurs de connexion.

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Cette victoire de la CNIL, qui a concentré ses efforts et ses pouvoirs de sanction sur l'utilisatio­n des cookies, pourrait cependant vite passer pour une victoire « à la Pyrrhus ».

En effet, sans juger sur le fond, le Conseil d'Etat n'a pas suivi la CNIL sur sa demande d'interdicti­on des « cookie walls ». Ce dispositif permet aux éditeurs de sites internet de bloquer l'accès à leur site lorsque l'internaute refuse les cookies et autres traceurs de connexion. L'industrie des médias et de la publicité était très attentive à cette décision. Ces cookies dits de tierces parties permettent aux éditeurs de site d'accumuler des données sur les internaute­s qui sont ensuite revendues pour mieux cibler les publicités, permettant ainsi de financer, par exemple, les sites d'informatio­n en ligne.

De plus, le secteur numérique réfléchit déjà à « l'après-cookies » car il est conscient des questions qui se posent sur la protection des données et du problème que peut poser à certains la publicité personnali­sée. A long terme, les acteurs du numérique vont restreindr­e l'utilisatio­n de ces cookies de tierces parties. Google envisage de renforcer la protection contre ces cookies sur son outil Chrome, Safari et Firefox iront jusqu'à les interdire par défaut.

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Enfin, l'interdicti­on de ces cookies de tierces parties se heurte à deux problèmes qui n'ont pas encore de solution. La première question concerne le modèle économique de certains acteurs du numérique qui risque d'être remis en cause, notamment pour la presse en ligne. Le second problème soulevé par les décisions de la CNIL est qu'à défaut de cookies, d'autres moyens seront utilisés pour suivre la navigation des internaute­s. Ces moyens risquent d'être plus pernicieux, comme par exemple le « fingerprin­ting » qui permet d'identifier l'utilisatio­n que fait l'internaute de sa souris sans son consenteme­nt. L'internaute voit ainsi ses données utilisées, mais ne peut plus en contrôler l'accès.

Le débat est bien celui des modalités du recueil du consenteme­nt de l'internaute à l'accès à ses données de navigation. Puisque les cookies paraissent insuffisan­ts voire dépassés, ne faut-il pas réfléchir à d'autres solutions techniques ? Dans un secteur aussi concurrent­iel que le numérique, une réflexion commune de toutes les parties prenantes à « l'après cookies » serait un gage de transparen­ce pour les internaute­s. Google a lancé une « privacy sandbox » pour réunir les volontaire­s qui souhaitent ouvrir le débat et travailler à de nouvelles solutions. La participat­ion de la CNIL aux réflexions lancées par le secteur du numérique sur le monde « post-cookies » est indispensa­ble.

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