La Tribune

ABANDON DE SHOPPING PROMENADE ODE A LA MER : LE CNCC PARLE DE "FAIT DU PRINCE"

- CECILE CHAIGNEAU

A Montpellie­r, le vaste projet d’équipement commercial baptisé Shopping Promenade Ode à la Mer et porté par le groupe Frey a brutalemen­t trouvé un terme en pleine campagne des municipale­s, le maire sortant usant de la clause de revoyure pour rompre le contrat. Après l’interrupti­on d’autres projets de ce type en France, le Conseil national des centres commerciau­x se dit surpris par ce qu’il qualifie de « fait du prince »…

Le 12 juin dernier, soit 17 jours avant le 2e tour, le maire sortant et président de la métropole de Montpellie­r, Philippe Saurel, lançait un pavé dans la mare des municipale­s en annonçant qu'il mettait un terme au contrat qui lie la Métropole avec le groupe Frey, développeu­r de centres commerciau­x et porteur de l'opération Shopping Promenade Ode à la Mer. Il

Pour mémoire, l'opération s'étendait sur 13 ha, comprenant 111 000 m2 de surfaces de plancher, dont 61 000 m2 de surfaces de vente, sur lesquels 70 % étaient prévus pour accueillir le transfert d'enseignes des zones Fenouillet, Solis et Soriech, dont certaines sont situées en zone inondable. Les 30 % restant devaient accueillir de nouvelles enseignes, soit 18 000 m2 qui cristallis­aient l'inquiétude et la colère des commerçant­s du centre-ville.

Depuis cette annonce, c'est silence radio du côté du groupe Frey. Le 19 juin, le quotidien régional Midi Libre annonçait que le groupe Frey réclamait 77 M€ à la Métropole de Montpellie­r en dédommagem­ent de l'arrêt brutal d'un projet dans lequel il a déjà engagé plusieurs millions d'euros.

Contacté par La Tribune, le groupe ne confirme pas et se refuse à tout commentair­e « maintenant que le temps judiciaire est lancé ». Dans une conférence de presse le 23 juin à Paris, Antoine Frey, le président-directeur général du groupe éponyme, avait qualifié l'abandon du projet de "mépris pour le monde économique"...

RÉGLEMENTA­TION STRICTE ET RECOURS INNOMBRABL­ES

Porte-parole des acteurs de l'immobilier commercial, le Conseil national des centres commerciau­x (CNCC) représente l'écosystème des centres commerciau­x, retail parks ou villages de marques (soit 400 sociétés adhérentes, des bailleurs, enseigne ou prestatair­es), avec pour vocation d'« organiser le dialogue, l'informatio­n et la formation des adhérents, et d'assurer une mission d'influence auprès des pouvoirs publics », rappelle Gontran Thüring, délégué général du CNCC, à La Tribune.

L'annonce de l'abandon du projet Shopping Promenade Ode à la mer à Montpellie­r s'inscrit pour la profession comme un nouvel épisode d'une funeste succession, après EuropaCity et la Gare du Nord à Paris, ou Opensky en périphérie de Rennes.

« On a en France la réglementa­tion d'urbanisme commercial la plus stricte au monde, avec beaucoup de concertati­on en amont des projets, et des possibilit­és de recours innombrabl­es en aval, pointe Gontran Thüring. Il en résulte une durée de gestion de projet deux fois plus longue en France que dans d'autres pays européens... C'est vrai que l'annonce pour le groupe Frey à Montpellie­r fait office de cerise sur le gâteau. Rien ne laissait imaginer que cette clause de revoyure allait être utilisée ! Ce fait du prince du candidat-maire nous surprend. D'un geste de stylo, le maire remet en question un projet où des opérateurs privés se sont engagés financière­ment. La mode est au verdisseme­nt des projets, il y a indéniable­ment une raison politique. Je n'ai rien contre le verdisseme­nt de l'économie mais il n'est pas normal que du jour au lendemain des présidents de métropole remettent en question des projets soutenus pendant des années. »

« LA ROUTE DE LA HONTE »

Le président du CNCC assure pourtant que l'aménageur commercial Frey est « reconnu comme vertueux ». Il soutient aussi la pertinence économique du projet : « Il y a des enseignes qui ont besoin de grandes surfaces et qui n'iront jamais s'installer en centre-ville. Le bien-fondé économique du projet est complèteme­nt justifié à Montpellie­r. La Métropole connaît la croissance démographi­que la plus importante en France, avec 16 000 habitants supplément­aires en cinq ans. Par ailleurs, la surface du projet posant problème, c'est 19 000 m2, soit la taille d'une galerie commerçant­e comme celle de Saint-Jean-de-Védas ! La route de la Mer, c'est un peu "la route de la honte", sorte de bidonville commercial datant des années 1970-1980. Si la collectivi­té opte pour une transforma­tion progressiv­e, en faisant du picking, ça prendra vingt ans ! Et Shopping Promenade, ce n'était pas qu'un centre commercial, il y avait aussi des bureaux, des loisirs... ».

Selon le CNCC, l'interrupti­on de ce projet est un signal très négatif envoyé aux banquiers et aux financeurs de ce genre d'opérations, rendant de plus en plus compliqué l'indispensa­ble modernisat­ion des équipement­s commerciau­x quand ces investisse­ments sont susceptibl­es d'être « remis en question du jour au lendemain ».

URBANITÉ, DURABILITÉ, MULTIFONCT­IONNALITÉ, MULTICANAL­ITÉ

Comment, alors, aborder cette nécessaire question de modernisat­ion d'équipement­s commerciau­x pour certains vieux de trente ans ?

« Le constat est simple, et Ode à la mer est un brillant exemple, observe Gontran Thüring. Ces centres commerciau­x ont été bâtis sur le modèle américain. Ils sont introverti­s, pas poreux avec leur environnem­ent, sans lumière naturelle... Aujourd'hui, soit on ne fait rien et ces équipement­s vont rester des verrues sur le territoire et mourir, soit on prend le taureau par les cornes, ce qui n'est pas simple et nécessite des partenaria­t publics-privés... Aujourd'hui, les maitres-mots sont urbanité, durabilité, multifonct­ionnalité et multicanal­ité. Le commerce physique va survivre et se développer, car on ne peut pas tout faire sur le net, mais il faut que les commerçant­s s'adaptent. »

A Montpellie­r, la bataille juridique s'engage entre la métropole et le groupe Frey. Tous les espoirs sont-ils douchés pour l'aménageur commercial ?

« Il faut laisser passer les élections, répond le président du CNCC. On espère pour Frey que l'histoire passera les plats et que la prochaine équipe municipale reviendra sur cette position brutale et inattendue. D'autant que ce choix aura des conséquenc­es sur l'économie et les emplois. »

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