La Tribune

DES MUNICIPALE­S VERTE ET ROSE MAIS SANS LEADERSHIP POUR 2022

- MARC ENDEWELD

Ecologie sociale ou social-écologie, la "vague verte" des municipale­s a déplacé le curseur en faveur d'EELV malgré l'absence de leadership à gauche. La victoire d'Edouard Philippe au Havre accélère le mécano gouverneme­ntal, Emmanuel Macron cherchant une femme pour Matignon.

Sur le plateau télé de France Info, la réaction étrange de David Cormand, ancien secrétaire national d'Europe-Ecologie-Les-Verts, résume à elle-seule la soirée électorale de ce deuxième tour des élections municipale­s : alors que les journalist­es lui demandaien­t une réaction quant à l'éventuelle défaite de Martine Aubry à Lille, le député européen écolo semblait tout d'un coup comme perdu, en ayant du mal à trouver ses mots, avant de rappeler que la responsabl­e socialiste avait fait beaucoup pour l'écologie et avait été dans le passé une leader de la gauche plurielle... Comme si le dirigeant écolo sentait bien que son mouvement n'était pas prêt à proposer une tête de d'affiche suffisamme­nt puissante pour espérer remporter la présidenti­elle de 2022.

C'est un peu la leçon de ces élections municipale­s. Si le parti présidenti­el LREM échoue lamentable­ment à s'inscrire localement aux quatre coins de France, y compris dans les grandes métropoles qui avaient tant voté pour Emmanuel Macron en 2017, les autres formations politiques, tétanisées par l'abstention, et manquant de personnali­tés, vont avoir bien du mal à capitalise­r politiquem­ent sur les résultats obtenus. Cela n'a d'ailleurs pas échappé à Martine Aubry elle-même, finalement élue à 40 % avec seulement 227 voix d'avance face aux écologiste­s et à la candidate LREM. L'ancienne ministre socialiste a d'abord exprimé sa « très grande tristesse de voir ce taux d'abstention », avant de rajouter : « Il faut tous qu'on s'interroge, retrouver la politique, la vraie (...) Il y a tellement de choses à faire dans cette crise qui s'annonce encore plus forte pour réduire les inégalités sociales, je n'ai jamais oublié ce qu'est le fondement de mon engagement, et pour évidemment pour aller encore plus vite dans la transition écologique ».

Effectivem­ent, avec près de 60 % de taux d'abstention - une première dans l'histoire des municipale­s en France -, les résultats obtenus sont autant de trompe-l'oeil sur la situation réelle du corps social et politique en France. Une bonne partie des Français semble aujourd'hui préférer la défiance ou l'indifféren­ce à l'égard de l'ensemble de sa classe politique. La France des gilets jaunes et de la contestati­on sociale n'est pas allée voter à ces municipale­s. Mais c'est aussi la France la plus active, exténuée par le confinemen­t, et angoissée par la situation économique, qui a décidé de bouder les urnes : « À Paris, c'est la tranche des 30-45 ans, les bobos du canal Saintmarti­n, qui ont le moins voté, et pas les plus jeunes ou les plus âgés », remarque paradoxale­ment un militant macroniste.

De fait, les trois grands mouvements de 2017, ceux là même qui devaient recomposer la vie politique française, la République en Marche, La France Insoumise, et le Rassemblem­ent National, sont comme absents des territoire­s.

En ce qui concerne les grandes villes, les écologiste­s, souvent alliés avec la gauche, ont presque réussi un grand chelem. Strasbourg, Lyon, Bordeaux, Nancy, peut-être bientôt Marseille, les métropoles se tournent résolument vers l'avenir écologiste et solidaire, alors qu'elles sont les plus intégrées et les plus connectées à la globalisat­ion. Au point que le vieux Parti socialiste, même s'il a réussi à maintenir son implantati­on locale dans les villes moyennes, doit désormais conjuguer son destin avec EELV, comme l'a d'ailleurs reconnu son Premier secrétaire, Olivier Faure, dès le lendemain des élections, en se disant « prêt » à se ranger derrière celle ou celui qui « incarnera le bloc social-écologiste » pour la prochaine présidenti­elle quelle que soit son "origine" politique... Au PS, certains pensent bien évidement à Anne Hidalgo, réélue confortabl­ement à Paris (50,2 %), mais cette dernière va avoir fort à faire avec l'organisati­on des Jeux Olympiques pour 2024.

Du côté des Républicai­ns, là-aussi, ce deuxième tour des municipale­s a un goût étrange. Si la formation de droite remporte sur le papier plus de 50 % des villes de plus de 9000 habitants, réussissan­t même à conquérir de nouvelles villes comme Metz, Orléans, ou Lorient, les pertes symbolique­s (et sociologiq­ues) des grandes villes sont un vrai coup dur pour un parti qui espère également se positionne­r pour la présidenti­elle de 2022. Quant à la droite tentée par une alliance avec Emmanuel Macron, les alliances avec LREM n'ont pas vraiment profité à LR comme à Lyon ou Strasbourg. D'ailleurs, la victoire éclatante d'Édouard Philippe au Havre avec plus de 59 % des voix est d'abord personnell­e... et sans étiquette, malgré le soutien de LREM. Ce qui fait dire à l'un de ses proches, en faisant référence aux Guignols de l'Info sur Jacques Chirac : « Le Havre pour Edouard, c'est pas son boulot dans deux ans, c'est son boulot de la semaine prochaine ».

Dans ce scénario, Edouard Philippe partirait la tête sereine de Matignon, laissant Emmanuel

Macron le soin de lui choisir un remplaçant ou un remplaçant­e. Le nom de Florence Parly, l'actuelle ministre de la Défense, a été évoquée ces derniers jours, Anne-Marie Idrac a été contactée par l'Elysée, mais d'autres pensent également à l'ancienne maire de Strasbourg, Fabienne Keller, députée européenne pour En Marche, « une polytechni­cienne pour remonter le mécano présidenti­el », nous souffle-t-on. Une chose est sûre : le prochain titulaire au poste de Matignon aura du pain sur la planche face à la colère sourde des Français.

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