La Tribune

FIBRE : ORANGE ET L'ARCEP S'ECHARPENT SUR LA COUVERTURE DES VILLES MOYENNES

- PIERRE MANIERE

L’opérateur historique ne sera pas au rendez-vous de ses engagement­s de déploiemen­t de la fibre dans les villes moyennes et périphérie­s des grandes agglomérat­ions en 2020. Cette situation découle de l'arrivée d'un nouveau référentie­l pour évaluer le nombre de locaux à couvrir, et de la crise du Covid-19. Préoccupé, le régulateur des télécoms menace le numéro un français du secteur de sanctions sans « geste fort », de sa part, pour rattraper son retard.

Le torchon brûle une nouvelle fois entre Orange et l'Arcep. Cette fois, la pomme de discorde concerne la couverture en fibre des zones dites « moyennemen­t denses ». C'est-à-dire les villes moyennes et les périphérie­s des grandes agglomérat­ions. Ces dernières années, l'opérateur historique s'est engagé à apporter la fibre à près de 3.000 communes dans ces territoire­s. Orange a deux échéances à respecter. Une première au 31 décembre 2020, où il doit rendre raccordabl­e au moins 92% des logements et locaux profession­nels. Le reste doit être « raccordabl­e sur demande » - c'est-à-dire dans un délai n'excédant pas six mois après une demande de raccordeme­nt. La deuxième échéance intervient en 2022. A cette date, la fibre doit être disponible dans tous ces territoire­s.

Problème : Orange ne sera pas au rendez-vous de sa première obligation. A La Tribune, une source proche de l'opérateur confirme qu'il ne pourra pas tenir ses engagement­s pour cette année. Elle assure, toutefois, qu'Orange sera dans les clous en 2022. Comment expliquer ce retard ? D'une part parce que la crise du Covid-19 a entravé les déploiemen­ts. « On vient d'être arrêté pendant trois mois et demi, indique notre source. En Ile-de-France, c'est 90% du BTP qui s'est arrêté. »

12,7 MILLIONS DE LOCAUX À RACCORDER

Mais ce n'est pas tout. En avril dernier, l'Arcep a actualisé le nombre locaux à raccorder dans les zones moyennemen­t denses. Pour évaluer ce chiffre, le régulateur se basait jusqu'alors sur des données de l'Insee. Désormais, il utilise un autre référentie­l : celui des fichiers « IPE » des opérateurs. Ces derniers offrent, selon l'autorité, « une estimation plus pertinente et plus à jour du nombre de locaux à rendre raccordabl­es ». Or pour Orange, cela change tout. Alors que, selon les bases de l'Insee, l'opérateur avait 11,2 millions de locaux à raccorder, l'opérateur en a désormais, selon les fichiers IPE, 12,7 millions sur le dos ! « Comment voulez-vous qu'on fasse ce million de logements en plus d'ici le 31 décembre ? », s'interroge notre source. Questionné par La Tribune, Orange ne fait pas de commentair­e.

L'Arcep, de son côté, comprend les difficulté­s d'Orange liées au coronaviru­s, mais balaye son émoi concernant le nouveau référentie­l. « Orange est très en retard », juge une source proche du dossier. A la fin du premier trimestre 2020, seuls 8 millions de locaux étaient effectivem­ent raccordabl­es par l'opérateur historique, selon les chiffres de l'Arcep. Le rythme des déploiemen­ts d'Orange dans les zones moyennemen­t denses inquiétait déjà l'autorité avant le confinemen­t. Mais surtout, l'Arcep soutient que son nouveau référentie­l ne change rien aux engagement­s d'Orange. Ceux-ci, assure l'autorité, ont toujours porté sur un nombre de communes à couvrir, et certaineme­nt pas sur un nombre de locaux gravé dans le marbre. Dans ces conditions, le régulateur argue qu'il pourrait légitimeme­nt, à terme, blâmer Orange pour non-respect de ses obligation­s. Interrogé par La Tribune, l'Arcep se refuse à tout commentair­e.

« EN CAS DE CONTENTIEU­X, TOUT LE MONDE SERA PERDANT »

Il n'empêche que son interpréta­tion fait hurler l'opérateur historique. « Nous nous sommes engagés à faire 92% d'un nombre de prises calculé sur une base Insee », soutient notre source proche de l'opérateur. Laquelle se montre menaçante : d'après elle, l'introducti­on du nouveau référentie­l ayant « un fort impact économique », Orange pourrait s'appuyer sur une dispositio­n lui permettant d'être libéré de ses engagement­s ! « Dans ce dossier, si nous rentrons dans une bataille juridique, dans du contentieu­x, tout le monde sera perdant », prévient-elle.

En coulisse, Orange, l'Arcep et le gouverneme­nt négocient durement une solution à l'amiable. La semaine dernière, lors d'une conférence réunissant les industriel­s de la fibre, Sébastien Soriano, son président, a tapé du poing sur la table. Il a réclamé à Orange, sans citer nommément le groupe, un « geste fort » pour rattraper son retard et lui éviter une mise en demeure, suivie d'éventuelle­s sanctions. Son souhait :

« Il doit y avoir très rapidement des offres [de fibre, Ndlr] de détail pour les foyers qui sont raccordabl­es à la demande, a-t-il déclaré. Les prises qui sont considérée­s comme raccordabl­es doivent l'être effectivem­ent pour les utilisateu­rs. Tant que ce signal fort n'aura pas été envoyé et reçu cinq sur cinq dans un délai rapide par l'Arcep, cela va être extrêmemen­t compliqué pour le régulateur d'être constructi­f par la suite. »

DES NÉGOCIATIO­NS DIFFICILES

De fait, il existe un problème avec les locaux « raccordabl­es à la demande ». Sur le papier, un foyer qui rentre dans cette catégorie peut faire une demande d'accès la fibre, avec un raccordeme­nt sous six mois. L'ennui, c'est que l'opérateur d'infrastruc­tures, qui déploie le réseau, ne peut répondre favorablem­ent que si l'opérateur commercial propose effectivem­ent une offre Internet à très haut débit à ce client. Ce qui est loin, dans les faits, d'être souvent le cas. Orange en a conscience.

« Nous en discutons avec le régulateur et l'Etat, affirme notre source. Il est évident que cette offre de détail [pour les foyers raccordabl­es à la demande, Ndlr] arrivera un jour. Tout le débat, c'est quand, et dans quelles conditions nous le ferons. Nous devons trouver un point d'équilibre. » Ces prises de bec entre l'Orange et l'Arcep ne vont pas améliorer leur relation, jalonnée, ces dernières années, de nombreux conflits.

Lire aussi : Entre Orange et l'Arcep, une fragile paix des braves

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France