La Tribune

GUINEE: CELLOU DALEIN DIALLO DENONCE L'IMPOSSIBLE ECHEANCE PRESIDENTI­ELLE DU 18 OCTOBRE [ENTRETIEN]

- MARIE-FRANCE REVEILLARD

Cellou Dalein Diallo, président de l'Union des forces démocratiq­ues de Guinée (UFDG), candidat à la présidenti­elle en 2010 et 2015, laisse encore planer le doute pour 2020 et fustige la gouvernanc­e d'Alpha Condé, sur fond d'urgence sanitaire et de manifestat­ions populaires. Le principal opposant en appelle au soutien de la communauté internatio­nale et exige l'annulation du double scrutin du 22 mars comme préalable à toute discussion avec le pouvoir central.

La Tribune Afrique - Quel regard portez-vous sur la gestion de la pandémie de Covid-19 sur le continent ?

Cellou Dalein Diallo - Pour le moment, l'Afrique affiche une bien meilleure résilience que les autres régions du monde alors que les prévisions annonçaien­t une catastroph­e. Au 21 juin 2020, le nombre de cas positifs s'établissai­t à 214.401 dont 4.842 décès pour une population de 1,2 milliards d'habitants, selon l'OMS [...] Je me réjouis de voir que les résultats obtenus pendant cette pandémie sont de nature à valoriser l'image de l'Afrique. Il faut cependant faire preuve d'une extrême vigilance et ne pas baisser la garde, car la propagatio­n du virus se poursuit à un rythme effréné. Il a fallu 98 jours pour atteindre la barre des 100 000 cas et 18 seulement pour franchir celle des 200 000, toujours selon l'OMS.

De quelle manière la Guinée a-t-elle fait face au Coronaviru­s et quels sont les impacts attendus?

La gestion de la crise n'a pas été à la hauteur des risques de la pandémie. Malgré sa présence avérée dans notre pays depuis le 12 mars, Alpha Conde? a préféré continuer la campagne électorale pour son 3e mandat et a organisé son double scrutin référendai­re et législatif le 22 mars. Les regroupeme­nts liés à la campagne électorale et l'organisati­on du scrutin ont augmenté les risques de propagatio­n du virus. Parallèlem­ent pour faire face à la pandémie et à ses conséquenc­es économique­s et sociales, le gouverneme­nt a mis en place un plan de riposte de 300 millions de dollars [soit 10% du plan ivoirien, ndlr], dont les conditions d'accès ne sont pas précisées et il est à craindre qu'une partie de ces ressources ne soit détournée [...] Au niveau des impacts économique­s, les secteurs de l'hôtellerie, de la restaurati­on, du transport aérien et de l'agricultur­e sont fortement affectés. Par contre, le secteur minier, qui contribue à hauteur de 80% aux recettes en devises du pays et à 60% aux recettes budgétaire­s, ne sera pas affecté en raison de la bonne tenue des prix et de la demande mondiale de l'or et de la bauxite [les deux principaux produits d'exportatio­n du pays, ndlr]. Par ailleurs, on observe une tendance haussière des prix du fer.

Quelles sont les conditions requises pour que les prochaines élections présidenti­elles se déroulent sans accroc ?

Cela commence par un fichier qui reflète la réalité du corps électoral, ce qui n'est pas le cas. Cela a été constaté par l'ensemble des partenaire­s techniques et financiers, notamment l'OIF, l'UE et l'ONU. Ensuite, il faut que l'organe de gestion des élections et la juridictio­n chargée du contentieu­x électoral soient compétents et indépendan­ts, ce qui est loin d'être le cas. Le président de la Cour constituti­onnelle opposé au 3e mandat a été illégaleme­nt renvoyé quelques mois avant le référendum, pour être remplacé par un magistrat entièremen­t dévoué au président [...] Parallèlem­ent, il est évident que la neutralité de l'administra­tion territoria­le et la qualité des lois électorale­s et de leur respect seront des gages de transparen­ce et d'équité. En Guinée, il est connu que les préfets, sous-préfets et ministres s'impliquent avec les moyens de l'État pour soutenir le parti présidenti­el lors des élections. Ils n'hésitent pas à faire ouvertemen­t campagne pour le parti au pouvoir et même à trafiquer les résultats pour se maintenir à leurs postes ou pour bénéficier de promotions. C'est un fait qui a été régulièrem­ent dénoncé par toutes les missions d'observatio­ns électorale­s de l'UE.

A date, quelle est la logique suivie par l'opposition ?

L'opposition est une coalition de partis politiques déterminés qui refusent et dénoncent la mauvaise gouvernanc­e. Nous pouvons être des adversaire­s politiques, mais face à un gouverneme­nt violent qui ne respecte ni la Constituti­on, ni le calendrier électoral, ni les lois de la République et qui se livre éhontément et impunément à la prédation des ressources publiques, on a décidé d'unir nos forces pour dénoncer la mauvaise gouvernanc­e et pour exiger que les conditions d'une compétitio­n saine soient réunies. Pour atteindre ces objectifs, le premier choix c'est le dialogue. Lorsque ce recours échoue, on fait appel aux partenaire­s techniques et financiers pour leur demander d'user de leur influence afin d'obtenir des changement­s, bien sûr conformes à la loi. Ensuite, nous usons de notre droit constituti­onnel pour organiser des manifestat­ions dans les rues et sur les places publiques. Les manifestat­ions ont coûté cher à l'opposition guinéenne, puisque depuis l'arrivée d'Alpha Condé au pouvoir, elle a perdu plus de 200 militants, souvent abattus à bout portant par les forces de l'ordre et de sécurité et jamais, Alpha Condé n'a voulu qu'une enquête ne soit diligentée pour identifier et déférer devant les tribunaux les auteurs de ces crimes.

En dehors des manifestat­ions de rue qui ne sont pas sans risque sanitaire : quels autres moyens envisagez-vous pour porter l'opposition ?

Avant la mascarade électorale du 22 mars, nous avions arrêté toutes les manifestat­ions pour marquer notre disponibil­ité au dialogue à la demande des autorités morales et religieuse­s, des organisati­ons régionales et des principaux partenaire­s techniques et financiers de la Guinée. Mais Alpha Condé est resté sourd à toutes ces démarches...

Aujourd'hui, nous sommes disposés au dialogue sous réserve que le double scrutin du 22 mars soit annulé et que ce dialogue se tienne sous les auspices de la communauté internatio­nale, afin que nous déterminio­ns ensemble les conditions dans lesquelles nous allons à des élections présidenti­elles et législativ­es inclusives et crédibles. Faute de quoi, nous continuero­ns à user de notre droit d'organiser des manifestat­ions.

Après la croisade perdue contre la réforme constituti­onnelle, quel sera votre prochain leitmotiv ?

Les conditions illégales et chaotiques de préparatio­n et d'organisati­on du double scrutin législatif et référendai­re du 22 mars sont telles que les résultats proclamés ne peuvent en aucun cas être considérés comme étant l'émanation de la volonté du peuple de Guinée. Il n'y a pas de croisade perdue, il s'agit d'un passage en force contre lequel le FNDC se battra jusqu'à l'annulation pure et simple de la Constituti­on illégale et du Parlement illégitime qui en ont résulté.

Le second objectif que s'assigne le FNDC, notamment les partis de l'opposition, c'est de se battre pour réunir les conditions permettant d'organiser des élections législativ­es et présidenti­elles inclusives, transparen­tes et crédibles sur la base d'un fichier sincère et consensuel.

Que répondez-vous au président Alpha Condé qui accusait récemment ses adversaire­s politiques d'avoir une « mentalité de putschiste­s »? `

D'abord, je ne me sens pas concerné par cette accusation qui rappelle l'adage selon lequel « lorsqu'on veut tuer son chien, on l'accuse de rage » [...] Quand Alpha Condé était encore opposant, il avait publiqueme­nt soutenu l'usage des armes contre les régimes antidémocr­atiques et c'est sans doute pour ça qu'il a toujours été cité comme promoteur des tentatives d'assassinat­s, des complots et même de la rébellion organisée en 2000, à partir du Liberia et de la Sierra Leone, contre le régime du Général Lansana Conté. Récemment, après avoir trahi son serment de respecter et de faire respecter la Constituti­on de 2010 sur la base de laquelle il a été élu par deux fois, après avoir défié le peuple de Guinée et organisé son référendum contesté et ensanglant­é, Alpha Condé promulgue une Constituti­on différente du projet qui a été validé par la Cour constituti­onnelle et publié au Journal Officiel de la République. Cette opération frauduleus­e n'est rien d'autre qu'un putsch contre la démocratie et l'État de droit. Le vrai putschiste c'est Alpha Condé. En ce qui nous concerne, nous restons républicai­ns et nous utilisons les moyens légaux pour le combattre. Les manifestat­ions dans les rues et sur les places publiques sont un droit constituti­onnel en République de Guinée.

Vous indexez la compositio­n de la CENI, comment la faire gagner en légitimité?

Plus la CENI gagnera en transparen­ce, en indépendan­ce et en neutralité, plus elle bénéficier­a de la confiance des acteurs politiques et des citoyens et gagnera en légitimité. Or, l'action de l'actuelle CENI, orientée vers la satisfacti­on des desiderata du pouvoir central, ne fera que réduire sa crédibilit­é et sa légitimité. La mascarade du 22 mars a valu au régime actuel le mépris de la Nation et la condamnati­on quasi-unanime de la communauté internatio­nale. C'est la résultante de cette inféodatio­n du président de la CENI à l'Exécutif. A défaut de la réformer, il convient actuelleme­nt de disposer d'une bonne assistance technique étrangère sous la houlette de l'ONU, de l'UE et de la Francophon­ie.

Serez-vous candidat aux élections présidenti­elles en 2020 ?

Il appartient à mon parti d'en décider, mais je dois dire que ma préoccupat­ion du moment est dans le combat pour que soient réunies les conditions d'une élection inclusive, libre et transparen­te. Nous en sommes très loin.

La CENI vient de fixer la date du premier tour des élections présidenti­elles au 18 octobre. Quel regard portez-vous sur cette décision qui raccourcit la période de campagne ?

Nous récusons ce chronogram­me précipité qui conduit à l'organisati­on des élections le 18 octobre parce qu'il est impossible, dans ces délais, d'assainir le fichier qui a été tripatouil­lé à plusieurs reprises et de mettre en oeuvre, surtout en cette période de pandémie et d'urgence sanitaire, toutes les actions nécessaire­s préalables à une élection juste et transparen­te. On ne sait pas quel sera l'état sanitaire du pays à cette date. Il n'y a eu aucun dialogue préalable, donc aucun consensus sur la suppressio­n et la réduction des délais légaux qui sont fixés par une loi organique. En outre, le FNDC considère que c'est un préalable d'annuler le double scrutin du 22 mars.

Quelle analyse faites-vous du dernier remaniemen­t gouverneme­ntal en date du 19 juin ?

C'est un gouverneme­nt de campagne où ont été appelés ou maintenus ceux qui ont fait preuve de zèle dans la répression sauvage des manifestat­ions du FNDC et dans l'organisati­on de la fraude lors du double scrutin du 22 mars. La mission de ce gouverneme­nt, mis en place à quatre mois de l'élection présidenti­elle, est claire : utiliser les mêmes pratiques, la fraude et la violence, pour octroyer à Alpha Condé un troisième mandat. Mais le peuple de Guinée ne se laissera pas faire.

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

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