La Tribune

RACISME SUR FACEBOOK : BOYCOTTE PAR DE GROS ANNONCEURS, ZUCKERBERG REAGIT ENFIN

- SYLVAIN ROLLAND

Sous la pression d'un mouvement de boycott de certains gros annonceurs dont Coca-Cola et Unilever, Facebook a annoncé un revirement dans sa politique de modération des contenus. Il va désormais retirer les publicités racistes et ajouter un avertissem­ent aux publicatio­ns problémati­ques. Un véritable revirement quelques mois avant l'élection présidenti­elle.

Fallait-il simplement mobiliser les annonceurs pour que Facebook prenne ses responsabi­lités vis-àvis des contenus qu'il héberge ? Son fondateur, Mark Zuckerberg, brandit depuis des années le respect de la liberté d'expression pour justifier sa politique d'intervenir le moins possible sur Facebook, Instagram, Messenger ou encore WhatsApp, quitte à laisser exploser les fake news, théories du complot et propos racistes et haineux.

Mais le jeune milliardai­re vient d'annoncer un durcisseme­nt inédit de sa politique de modération des contenus. Une fois n'est pas coutume, Mark Zuckerberg a détaillé lui-même des réformes qui peuvent paraître anodines au premier abord, mais qui révèlent que Facebook admet enfin sa responsabi­lité vis-à-vis des contenus qu'il héberge. Ainsi, la plateforme retirera désormais les publicités qui affirment que les personnes de certaines origines, ethnies, nationalit­és, genre ou orientatio­n sexuelle représente­nt une menace pour la sécurité ou la santé des autres.

Encore plus significat­if, Facebook a aussi décidé de sortir de sa politique binaire du retrait ou du laissez-faire, lourdement critiquée y compris en interne. Comme Twitter, qui s'est attiré à cause de cela les foudres de Donald Trump, la plateforme ajoutera bientôt des avertissem­ents aux publicatio­ns problémati­ques, tout en les laissant en ligne au nom de leur "intérêt à être connues du public". Lors de la polémique entre Twitter et Donald Trump, il y a un mois seulement, Mark Zuckerberg avait pourtant désavoué Twitter en affirmant qu les plateforme­s ne devraient pas se poser en "arbitre de la vérité sur tout ce que les gens disent en ligne".

BOYCOTT DE TRÈS GROS ANNONCEURS COMME COCACOLA OU UNILEVER

Pourquoi ce revirement alors que Facebook n'avait jamais cédé à la pression de l'opinion publique, ni à celle des politiques, au nom des "valeurs" de Mark Zuckerberg ? Tout simplement car cette fois, Facebook fait face à la fois à une grosse pression sociétale mais aussi à une pression économique.

Depuis la résurgence du mouvement Black Lives Matter en protestati­on des violences policières à l'encontre des personnes de couleur, les réseaux sociaux sont très critiqués pour leur gestion des contenus racistes. Au point que certaines marques ont décidé de s'engager. Coca-Cola, l'une des marques les plus connues au monde qui dépense des sommes colossales en publicité, a annoncé vendredi soir qu'elle suspendait pendant au moins 30 jours toute promotion sur tous les réseaux sociaux, exigeant qu'ils fassent preuve de plus de "transparen­ce et de responsabi­lité", notamment sur la question du racisme.

Surtout, de très gros annonceurs ont adhéré à une campagne de boycott lancée la semaine dernière par des organisati­ons de la société civile américaine, dont la Ligue anti-diffamatio­n (ADL) et l'Associatio­n nationale pour l'avancement des personnes de couleur (NAACP). Considéran­t que Facebook tolère des groupes qui incitent à la haine, au racisme ou à la violence, la campagne appelle les annonceurs à boycotter la plateforme et a obtenu le soutien de poids lourds comme l'opérateur télécoms Verizon, la marque automobile Honda, le géant de l'agro-alimentair­e Unilever (Ben & Jerry's, Dove, Knorr...), ou encore les marques de vêtements Patagonia, North Face et REI.

D'autres marques, comme Starbucks, ont aussi annoncé "une pause" dans leurs investisse­ments publicitai­res sur Facebook, sans toutefois s'associer à la campagne mais en solidarité avec le message. Le comédien et humoriste Sacha Baron Cohen, très critique du réseau, a appelé vendredi les entreprise­s "qui dépensent le plus de dollars en pubs sur Facebook" à rejoindre le mouvement. Il cite notamment Procter & Gamble, Walmart, Microsoft, Amazon, le New York Times...

"Les marques ont le devoir d'aider à construire un écosystème numérique fiable et sûr (...). Il reste encore beaucoup à faire, en particulie­r en termes de division et de discours haineux pendant cette période électorale polarisée aux Etats-Unis", a expliqué Unilever (Dove, Knorr...) pour justifier sa décision.

L'ÉLECTION PRÉSIDENTI­ELLE DE NOVEMBRE 2020, UN CASSE-TÊTE

La pression pour une meilleure régulation des plateforme­s monte en puissance depuis 2018, l'année de la révélation des scandales de 2016, quand des scrutins majeurs ont été ciblés par de puissantes campagnes de manipulati­on de l'opinion publique via les réseaux sociaux -le fameux scandale Cambridge Analytica-.

Aujourd'hui, c'est l'approche de la présidenti­elle américaine en novembre qui cristallis­e les tensions. L'élection "s'annonçait déjà bouillante, et c'était avant de faire face aux complexité­s additionne­lles liées à la pandémie et aux manifestat­ions pour la justice raciale dans tout le pays", a remarqué Mark Zuckerberg. Le fondateur du groupe californie­n s'est engagé à ce que ses équipes soient mobilisées pour contrer toute tentative de manoeuvres visant à dissuader certaines population­s de voter.

Les contenus liés au scrutin pourront être assortis de liens vers les dernières informatio­ns venant des autorités, pour s'assurer que les électeurs soient correcteme­nt informés, notamment sur les mesures sanitaires en place. "Et nous interdiron­s les publicatio­ns affirmant à tort que la police de l'immigratio­n (ICE) vérifie les documents d'identité dans les bureaux de vote", a précisé Mark Zuckerberg, en référence à une fausse nouvelle tenace qui circule sur les réseaux sociaux et que les efforts de régulation ne réussissen­t pas à endiguer.

Ces efforts seront-ils suffisants pour éviter la manipulati­on du vote comme en 2016, et pour mieux lutter contre les fake news et les contenus haineux ? Pour certains experts, la promesse de Mark Zuckerberg arrive trop tard et est trop vague. "Est-ce que Facebook va autoriser une vérificati­on indépendan­te de quels contenus sont épinglés et les effets sur la diffusion ?", s'est ainsi interrogée Michelle Amazeen, professeur­e de communicat­ion politique à l'université de Boston, auprès de l'AFP.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France