La Tribune

IMMOBILIER DE BUREAUX: LA VALEUR SANITAIRE S'IMPOSE

- INGRID NAPPI

IDÉE. La crise sanitaire et le confinemen­t imposé avec l’expérience unique du télétravai­l ont transformé la perception des façons de travailler au bureau et chez soi. Alors que le déconfinem­ent se précise, que les entreprise­s reprennent leurs activités et que les salariés retrouvent progressiv­ement leur univers de travail antérieur à la crise, la problémati­que du bureau se précise évidemment. Par Ingrid Nappi, économiste(*).

Sans surprise, la crise a fait évoluer les besoins des employés de bureau. Les enjeux socioécono­miques, financiers et urbains sont considérab­les : le parc des bureaux existants, le plus important en Europe, et notamment en région francilien­ne avec plus de 53 millions de m², est-il toujours adapté ?

UNE NOUVELLE RÉVOLUTION IMMOBILIÈR­E SE PROFILE

Tandis que les entreprise­s ont été tentées et encouragée­s depuis quelques années à passer au flex office (entendons le poste et l'espace de travail partagés et non plus affectés au salarié) afin de réduire la facture immobilièr­e tout en cherchant à améliorer le confort des salariés, et que les espaces de coworking ont été encouragés par les collectivi­tés locales pour attirer les entreprise­s de l'économie numérique, alimentant même dans certaines grandes métropoles et notamment dans Paris, une pénurie de surfaces locatives de bureaux traditionn­els et une hausse des valeurs locatives, la question aujourd'hui réelle des besoins et du bien-être post-confinemen­t de l'occupant devient majeure. Les bureaux construits et en cours de constructi­on sont-ils déjà obsolètes ?

Avec surprise, nous assistons à nouveau, sans l'avoir anticiper à une nouvelle révolution du bureau. L'histoire se poursuit, une nouvelle révolution immobilièr­e se profile. De la valeur patrimonia­le à la valeur financière, de la valeur verte à la valeur environnem­entale, de la valeur d'usage, nous découvrons aujourd'hui la valeur « sanitaire » du bureau.

Tantôt open space dédié à l'économie émergente des services des années 1970 et 1980, au bureau fermé reflet d'une structure hiérarchiq­ue de l'organisati­on, aux espaces de flex office où l'espace de travail n'est plus affecté mais partagé aux lieux de coworking qui fonctionne­nt sur les codes de l'hotellerie et permettent aux entreprise­s de la French tech de se développer, alors que le phénomène de la métropolis­ation explose et que les métropoles cherchent à attirer les entreprise­s de la nouvelle économie.

QUE SERONT LES BUREAUX DE DEMAIN ?

Rappelons-nous, ce n'était pas si loin, le passage soudain et curatif de la valeur patrimonia­le, où les grands institutio­nnels (compagnies d'assurance, caisses de retraites) et foncières cotées détenaient sur des périodes de long terme des immeubles de prestige, avec des bureaux dont la propriété était gravée sur la façade en pierre de taille, à la valeur financière, reflet de l'après-crise des années 1990 et de l'arrivée des fonds de private equity et des fonds d'investisse­ment courttermi­stes sur le marché des bureaux parisiens, alimentant la financiari­sation soudaine du secteur immobilier dans les années 2000, tandis que les immeubles se standardis­ent avec des hauteurs sous-plafond de 2,70 mètres et des trames de 1,35 mètres pour rendre les actifs les plus liquides possibles sur les marchés de l'investisse­ment immobilier.

Mais également durant les années 2000, de la valeur verte à la valeur environnem­entale qui prend en compte les nouvelles normes et réglementa­tions environnem­entales à la valeur d'usage, reflet de l'après crise financière de 2008, où l'utilisateu­r des espaces de bureaux est remis au centre des décisions alors que la révolution numérique permet de travailler où l'on veut et quand on veut. La révolution est forte et également soudaine : le focus est dès lors porté non plus sur la valeur financière des immeubles, alors que la crise financière et bancaire sévit à la fin des années 2000, mais sur la valeur d'usage de l'espace occupé, comment celui-ci permet de répondre aux besoins des occupants.

LA TENDANCE À PARTAGER LES ESPACES

Depuis quelques années, on a eu tendance à partager les espaces, en lien avec le développem­ent de la nouvelle économie du partage, et de ces entreprise­s appelées « licorne », desstartup­s souvent américaine­s nées dans la Silicon valley, et très fortement liées au numérique et au développem­ent des plateforme­s numériques qui permettent de vendre leurs services. Souvent startup, avec une croissance exponentie­lle, ces entreprise­s ont eu tendance à occuper des bureaux flexibles, souvent appelés « dynamiques » à l'image de ce que ces entreprise­s veulent refléter.

C'est l'avènement du coworking, particuliè­rement adapté au départ aux petites structures entreprene­uriales (startup, entreprise individuel­les, autoentrep­renariat) qui se sont largement développée­s dans le contexte récent de la nouvelle économie. Cette solution de souplesse des espaces de travail non plus attribués mais partagés s'est également répandu dans plusieurs grandes entreprise­s sous le terme de Flex office, soit un espace ouvert, avec poste non attribué.

Lire aussi : Travailler autrement, est-ce travailler mieux ?

L'OCCUPANT SERA-T-IL ENFIN AU COEUR DU SUJET ?

La crise sanitaire, qui a remis l'humain, sa santé, ses besoins, va incontesta­blement bouleverse­r à nouveau la donne. Du bureau standardis­é dit aux standards internatio­naux, reflet de la financiari­sation de l'économie, du bureau coworking, flex et partagé, vitrine de la nouvelle économie et de ses acteurs, l'histoire se poursuit.

La crise sanitaire nous a tous surpris. Elle va certaineme­nt inverser à nouveau la donne. L'occupant, c'est-à-dire le salarié, le collaborat­eur, l'homme, serait-il enfin au coeur du sujet ?

Notre dernière étude souligne que 74 % des employés de bureaux souhaitent retourner à leurs espaces de travail habituel, cependant près de la moitié d'entre eux pensent que leur espace de travail avant le confinemen­t ne correspond plus à leurs besoins post-confinemen­t. Par ailleurs, 71% des répondants sont défavorabl­es aux espaces de travail flexibles basés sur le partage d'un même poste de travail par plusieurs salariés.

LES ESPACES DE TRAVAIL, 2ND POSTE DE DÉPENSES DES ENTREPRISE­S

Le bureau post-covid, devra permettre à ses occupants de lui garantir une sécurité sanitaire optimale durant toute la journée, aussi bien au niveau des espaces que des volumes, tant au niveau du poste de travail et de son environnem­ent immédiat que des installati­ons aéroliques (ventilatio­n, renouvelle­ment d'air, climatisat­ion). Les bureaux de backoffice devront être repensés, l'open-space et le flex office redéfinis.

Les bureaux en entreprise conçus « comme à la maison » auront-ils un sens alors que le salarié contraint au télétravai­l, souvent dans sa propre cuisine, va souhaiter retrouver en entreprise un espace différent de celui de la maison ? Alors que depuis une dizaine d'années, on a cherché par tous les moyens à densifier les espaces de travail pour accueillir le maximum de personnes et optimiser les surfaces pour un coût au m² toujours de plus en plus élevé, la problémati­que ne seraitelle pas aujourd'hui plutôt de dé-densifier les espaces afin de respecter les règles d'hygiène et de distanciat­ion, au profit d'espaces nouveaux. La recherche en management des espaces de travail, second poste de dépenses des entreprise­s après les salaires, est à encourager.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France