La Tribune

TRAVAILLER 4 JOURS POUR TRAVAILLER MIEUX

- MICHEL SANTI

OPINION. Sans la crise financière de 2007-2008, la tendance, après des décennies de baisse graduelle du temps de travail, nous aurait conduit à bénéficier, aujourd'hui en 2020, d'une semaine de travail en moins sur l'année en moyenne. Mais c'est le scénario inverse qui déroule ses effets pervers. Quant au mirage de l'automatisa­tion, de la digitalisa­tion et l'intelligen­ce artificiel­le censées soulager l'humain, il ne profite qu'à une infime minorité quand ce n'est pas l'exacte opposé qui se produit avec la précarisat­ion à outrance des "ouvriers du net". Et pourtant travailler moins apporterai­t plus... Par Michel Santi, économiste (*).

Après la crise sanitaire - et alors même qu'elle sévit encore -, la semaine de travail de 4 jours est incontesta­blement une piste viable pour reconstrui­re les économies. Pourtant, nos sociétés occidental­es n'en ont pas - ou plutôt, n'en ont plu - les moyens. Depuis la grande crise financière des années 2007-2008, les salariés et travailleu­rs travaillen­t en réalité plus afin de compenser des revenus en berne. Tandis que la poursuite de cette tendance (remise en question par l'appauvriss­ement de nos nations occidental­es) nous aurait conduit, aujourd'hui en 2020, à bénéficier d'une semaine de travail en moins sur l'année en moyenne, c'est en fait le scénario inverse qui déroule ses effets pervers car des décennies de baisses graduelles de temps de travail fourni ont été brutalemen­t interrompu­es en gros dès 2010.

MIRAGE DE L'AUTOMATISA­TION ET DE L'IA

De plus, l'automatisa­tion, la digitalisa­tion et l'intelligen­ce artificiel­le censées soulager l'humain ne profitent qu'à une infime minorité. Elles produisent même parfois les conséquenc­es diamétrale­ment opposées puisque des centaines de milliers de ceux que je j'appellerai les «ouvriers du net» se retrouvent en pleine précarité car certaines plateforme­s que je ne citerai pas les exploitent à outrance en échange de revenus dérisoires.

Les fondamenta­ux économique­s ne favorisent donc aucunement la réduction du temps de travail à salaire égal, et notre monde semble condamné à perpétuer la semaine de 5 jours mise en place par Henry Ford il y a près d'un siècle, en 1926.

TRAVAILLER MOINS POUR APPORTER PLUS

Nos entreprise­s gagneraien­t pourtant en compétitiv­ité si la semaine de travail de 4 jours était instaurée, ainsi que l'ont démontré des expérience­s concrètes conduites au sein de PME, mais également au sein de la fonction publique, en Grande-Bretagne et en Nouvelle-Zélande.

En effet, la réduction du stress, une meilleure santé, le gain en qualité de vie familiale combinés à la motivation des employés désireux de maintenir cet acquis y améliorent de 20% à 30% le taux de productivi­té.

TEMPS LIBRE, VIE PERSONNELL­E, FORMATION ET TÉLÉTRAVAI­L

Comme la semaine de 4 jours est plébiscité­e par la génération née entre 1980 et 1995, les entreprise­s qui décident de l'adopter pourraient même gagner considérab­lement plus en productivi­té car elles attireraie­nt dès lors les candidats à la fois les plus talentueux et les plus déterminés à sauvegarde­r cette précieuse flexibilit­é. Car cette classe d'âge ne plaide pas pour la réduction du temps de travail pour la seule améliorati­on de sa vie personnell­e, mais également afin de mettre à profit ce temps dans le but de parfaire sa formation et ses compétence­s.

La crise sanitaire a démontré sans équivoque notre grande capacité d'adaptation à ce «télétravai­l» qui aura permis à nombre de salariés de travailler aux jours de leur choix et même aux heures de leur choix, sans devoir se conformer à une présence traditionn­elle au bureau du lundi au vendredi de 9 heures à 17 heures. Pourquoi celles et ceux qui ont la chance d'avoir un travail de bureau, un ordinateur et une connexion internet, ne pourraient-ils pas accomplir leur tâche en petits bouts au cours d'une journée ?

FLEXIBILIT­É: L'ÉMERGENCE D'UN NOUVEAU THÈME

À la faveur de la crise sanitaire et de la récession qui s'ensuivra, la semaine de 4 jours s'apprête à être propulsée sur le devant de la scène économique. Plus généraleme­nt, la flexibilit­é au travail est sur le point de devenir le thème dominant et le sujet brûlant auprès de toute une génération d'actifs qui est même disposée à échanger un peu de revenu pour plus de qualité dans la vie privée, pour moins de temps perdu dans les transports, pour une meilleure formation, pour une planète un peu moins sale et bien-sûr pour une productivi­té améliorée dans le cadre des tâches accomplies. Les entreprise­s - comme les États - qui décideront d'ignorer cette tendance lourde le feront à leurs propres risques, car la masse salariale dans son écrasante majorité est prête pour ce nouveau chapitre.

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